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≪Durant des millénaires, les Juifs ont fait corps dans les persécutions subies pour la justice. Leurs rites, le mariage et la circoncision, les règles alimentaires et les fêtes furent des facteurs de cohésion, de continuité. Pas d'État puissant, mais l'espoir de la justice à la fin du monde, voilà ce qu'était le judaïsme. Ils formaient un peuple et le contraire d'un peuple, vivant reproche à tous les peuples. Désormais il y a un État qui revendique de parler pour le judaïsme, d'être à lui seul le judaïsme. Le peuple juif dont le cas dénonçait l'injustice de tous les peuples, ces individus dont les paroles et les gestes réfléchissaient le négatif de la réalité existante sont désormais positifs à leur tour, une nation parmi d'autres, des soldats, des chefs, des money-raisers pour leur compte personnel. Le judaïsme doit voir dans l'État d'Israël son objectif premier, comme autrefois le christianisme le voyait dans l'Église catholique, avec toutefois moins de perspectives que ce dernier ; mais combien ne s'est-il pas résigné en triomphant ainsi dans l'ordre temporel ! Il paye sa continuation par un tribut à la loi du monde tel qu'il est. Si sa langue est l'hébreu, c'est la langue de la réussite, non pas celle des prophètes. Il s'est assimilé à l'état du monde. Que celui qui se sait sans faute lui jette la première pierre. Seulement, c'est bien dommage, car une telle renonciation chasse justement du monde ce qu'elle devait y maintenir, comme ce fut le cas avec la victoire du christianisme. ― Le bien est le bien non lorsqu'il est victorieux, mais lorsqu'il résiste à la victoire. Puisse la soumission nationale à la loi de l'existence ne pas connaître une fin aussi radicale que celle des individus dans l'Europe de Hitler, de Staline, de Franco, avec leurs successeurs à venir.≫
(Max Horkheimer, ≪L'État d'Israël ≫,
in Notes critiques, 1961-1962)
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