mardi 30 janvier 2018

Le grand jeu

                 
Bon. Il va bien falloir que quelqu'un mange son chapeau, là. 
Parce que quasiment coup sur coup : 

1°) l'État turc annonce, fort virilement (le 26 janvier dernier), qu'il entend désormais, après Afrin, pousser ses opérations militaires contre les kurdes et leurs alliés arabes des Forces Démocratiques Syriennes (SDF) jusqu'à leur place forte de Manbij, 100 kilomètres vers l'est, débarrassée de DAESH à l'été 2016. Or, vu comme les sbires islamo-fascistes du sultan Erdogan galèrent déjà à Afrin (où ils n'arrivent pas à avancer d'un pouce, en dépit de toute leur artillerie et des bombardements sauvages de leur aviation), on leur souhaite bien du plaisir pour la suite. 

2°) les Yankees, qui forment et arment la coalition YPG-YPJ-SDF dominée par les kurdes, envoient (deux fois ces trois derniers jours) gentiment se faire foutre les turcs, qui, par la voix du ministre des Affaires étrangères Mevlut Cavusoglu, les sommaient de déguerpir au plus vite de Manbij, où un contingent opérationnel de 2000 soldats américains se trouve stationné. Le colonel Ryan Dillon, d'abord, porte-parole de la coalition anti-DAESH, ouvre le bal, le 27 janvier, annonçant lors d'un entretien (accordé à l'organe de presse Rudaw. net) que non seulement ses boys ne bougeraient pas d'un pouce, mais encore qu'ils continueraient à armer les kurdes, à les épauler dans la lutte contre les djihadistes, qui se poursuit, dans le but de stabiliser la région, etc. Puis, ce n'est rien moins que le général Joseph Votel (voir photo ci-dessus), dirigeant le Commandement central de l'Armée, qui déclare tout de go dans une interview donnée à CNN, ce dimanche 28, qu'un retrait américain de Manbij n'était pour l'heure nullement envisagé.

Difficile, donc, de savoir comment les choses vont tourner. Hypothèse probable : après ces échanges spectaculaires de rodomontades, turcs et ricains devraient s'entendre sur une soi-disant zone de sécurité neutralisée (comprendre : pro-turque) à l'intérieur d'Afrin. Difficile, en effet, pour les deux membres de l'OTAN, d'envisager de se mettre réellement sur la gueule. Troisième hypothèse, plus crédible celle-là : les kurdes ayant (devant l'inertie terrifiée des occidentaux libéraux) relancé en catastrophe le duo de bouchers Poutine-Assad, et leur ayant proposé, contre leur entrée en scène, un accord de livraison territoriale, ceux-ci acceptent (d'autant que la conférence de Sotchi, à laquelle ne participe aucune des parties locales intéressées au conflit : ni les rebelles anti-baasistes ni les kurdes, s'annonce comme un fiasco pour Poutine). Jusque là, il est vrai, l'idée des russes était de laisser tranquillement les pro-turcs de l'ASL (Armée Syrienne Libre, autrement dit : les djihadistes qu'ils se cognaient il y a peu à Idlib) s'user grandement contre les YPG-SDF tout en affaiblissant ceux-ci, ce qui se passe visiblement à Afrin (où les pertes de l'ASL sont énormes, au grand dam des turcs, qui les avaient au reste déjà vus en difficulté contre DAESH au moment de l'opération précédente Bouclier de l'Euphrate). L'échec de Sotchi, combiné à la résistance formidable, et imprévue, des kurdes, pourrait changer la donne du point de vue russe. Ce qui expliquerait, en retour, le surcroît de vigueur soudain des yankees, et leurs protestations réitérées de fidélité (ben, voyons !) à leurs chers alliés kurdes. Une seule certitude, donc : la résistance acharnée de ces derniers, et dernières (YPJ), apparaît bien comme le paramètre décisif. Sur le web erdoganiste, dans les communiqués des agences de presse occidentales d'ordinaire complètement à la botte du néo-sultan islamiste (comme Reuters, en particulier, qui relaie avec candeur ses body counts fantaisistes) et jusque sur les sites Loups Gris les plus fanatiques, le ton triomphal des débuts de l'offensive commence déjà à changer, à se faire modeste, à anticiper - sinon une cuisante humiliation - du moins un enlisement possible, face auquel faire bonne figure. 
                                                                               

1 commentaire:

  1. Les Américains entendent rester en Syrie, en s'appuyant sur un état kurde indépendant, qui aura difficilement la paix, s'il l'a un jour. Quand on voit l'Irak aujourd'hui, il est assez terrifiant d'imaginer ce que pourrait donner un pays que n'auraient de cesse de déstabiliser Turquie, Syrie, Iran, voire Russie. Les Kurdes se sont certainement choisis, stratégiquement parlant, le pire allié possible dans la région : https://www.iveris.eu/list/notes_danalyse/308-la_russie_offre_aux_usa_un__rameau_dolivier__a_afrin

    Les USA sont en train de se mettre à dos leur grand allié dans la région, tout en protégeant les restes de l'EI afin de contenir l'Iran et la Russie, ce alors qu'ils n'ont cessé de pousser au petit bonheur les chiites dans le jeu confessionnel irakien. Un article tentant de dégager les perspectives américaines : http://www.joshualandis.com/blog/a-sustainable-united-states-policy-for-north-syria-the-kurds-turkey-and-the-syrian-government-by-landis-and-barber/

    Plutôt qu'un fragile état indépendant (qui officiellement n'était plus à l'ordre du jour : Bookchin, etc.) une autonomie négociée avec Assad (boucher par ailleurs, mais allié sûr contre la Turquie et qui avec son pote Poutine n'ont aucun intérêt à prolonger cette guerre), avec les USA pour peser dans la balance en leur faveur. Il faut voir qu'actuellement l'aviation turque ne peut donner à plein régime. À terme, les Kurdes — qui eux aussi ont eu des pertes comme jamais — peuvent certes chier dans les bottes d'Erdogan pendant des années avec une guérilla, mais probablement pas garder le territoire.

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