On peut concevoir deux façons de se représenter ce phénomène d'arrêt du processus universel d'interactions fluides entre les hommes que l'on nomme réification.
La première éternise et fatalise un tel arrêt, sous le rapport postulé d'une objectivation nécessaire de toute action perpétrée par un sujet, de tout rapport vivant entretenu par lui à un autre sujet de départ. Chacun de ces deux sujets non seulement crée des choses qui en viennent ensuite, pour le formuler ainsi, à se retourner contre sa puissance active de création, mais encore chacun d'eux, en dépit d'éventuels efforts communicationnels les plus hystériquement pratiques, devra bientôt considérer - qui le cernent inéluctablement - un complexe universel de sujet-objets fixes vis-à-vis desquels, quoi qu'il en ait, il devra se distinguer radicalement : soit qu'il laisse ces sujet-objets à leur autonomie et adopte à leur endroit une vague forme de désespoir neutraliste et méprisant, soit qu'il décide plutôt, prédateur rempli de désirs et de convoitise, de s'en rendre maître et de les consommer. Tout sujet se trouve installé par son prochain (au sens morbide du prochain sur la liste) dans cette posture d'objet : réduit, comme n'importe quel autre objet, à l'usage consommable ou à la facticité impénétrable, donc sans intérêt. Se trouvent là essentiellement assimilés tout objet « naturel », en sa stupide rigidité et, vis-à-vis de soi, tout sujet extérieur, dans l'inaccessibilité obligatoire qu'il nous oppose. Y compris dans l'amour, et dans les manifestations comparables de la plus haute liberté intime, les rapports intersubjectifs, de toute éternité, devront se figer en stéréotypes. Les autres hommes, les autres femmes, toujours, demeureront trop éloignés et de même, leurs actes, leurs sentiments, leurs prétentions les plus intimes, entourés d'une solitude et d'une souffrance invincibles, auxquelles seule la disparition physique - absurde - viendra donner le coup de grâce libérateur.
Qu'il existe ou non une deuxième conception valable de la réification (ainsi que nous l'évoquions au début de ce billet), une conception laissant, elle, quelque place à l'espoir qu'il en aille potentiellement tout autrement de la vie des hommes et des femmes, cette question fait l'objet plus ou moins conscient du film The Lobster (Le homard), de Yorgos Lanthimos, sorti ces jours-ci sur les écrans de cinéma en France. Ce film, ainsi que le mentionne le sous-titre en ornant l'affiche officielle, est une histoire d'amour. Amour au singulier, ce qui est notable et pour ainsi dire décisif. L'amour, en effet, à le considérer comme unique, ou générique, ou indivisible, doit être ici uniment considéré comme constitutif exclusif de la solution ou du problème des rapports humains réifiés. Il n'y a jamais, pour Yorgos Lanthimos, qu'un seul amour en acte, quelles que soient ses richesses ou ses impossibilités.
L'histoire du Lobster est la suivante. Dans une société jumelle de la nôtre, pourvue des mêmes références culturelles générales (musique électronique, cinéma d'avant-garde, galeries marchandes) et d'une soumission à des normes technocratiques simplement un peu plus poussée (on ne voit ni n'entend police ou armée d'un régime déléguant sans doute désormais tranquillement la terreur à l'autogestion raisonnable de ses citoyens), la science fondamentale et le droit civil ont fait de singuliers progrès, lesquels se trouvent symbiotiquement mis en rapport. Le célibat est proscrit. La ville n'est plus peuplée que de couples dont l'assortiment sur des bases contractuellement ridicules (aimer communément le tennis, saigner du nez à l'occasion, être disposé à la cruauté ordinaire l'un autant que l'autre) est aussi nécessaire que la possession par chaque citadin d'un certificat régulier de vie à deux, exigible à tout moment de la part de quelque officier de la BAC (Brigade Attachée à la Conjugalité). Les réfractaires à cet état de chose, les handicapés solitaires (sorte de chômeurs, stigmatisés, du couple), se voient contraints de subir un séjour dans un lieu figurant le croisement entre un camp de concentration et de remise en forme, installé en lisière de forêt, dans le cadre d'un grand Hôtel dont les couloirs, en particulier, et la décrépitude eighties évoquent immanquablement l'Overlock de Shining. Là, chacun, chacune, dispose de quarante-cinq jours pour trouver sa moitié, via tout un appareillage socialisant de séances de danse, de dîners, de redoutables performances théâtrales et pédagogiques vantant la supériorité de la vie à deux. La masturbation est interdite, punie le cas échéant de sévères brûlures (administrées au grille-pain). Les échanges d'approche entre potentiels partenaires procèdent de la conversation la plus médiocre, débitée sur un ton robotique jusqu'en ses propositions sexuelles les plus explicites et crues, à l'image de ce que la politesse extérieure normative est universellement devenue. Au terme du délai imposé aux célibataires, si ceux-ci ne sont point parvenus à l'union affinitaire, les voilà transformés en l'animal de leur choix avant d'être relâchés dans la nature. Le héros du film (interprété par un Colin Farrell bedonnant et souvent émouvant de patauderie) a ainsi opté pour le homard (« parce qu'ils ont le sang bleu comme les aristocrates, vivent près de cent ans et sont très féconds jusqu'au bout »), d'où le titre du film. Afin d'étendre le délai accordé au départ, des séances de chasse sont organisées régulièrement dans la forêt voisine, peuplée de solitaires clandestins y subsistant selon des normes sociales réputées adverses, et dont la capture offrira, en attendant, aux célibataires encasernés un nouveau répit forfaitaire avant la fatale transmutation animalière. De cet enfer standardisé, le héros finit par s'échapper, après avoir été convaincu de traîtrise et de dissimulation dans l'érection de son propre couple, ayant menti, en effet, sur le sadisme intégral dont il prétendait partager les valeurs avec celle devenue sa femme, qu'il abat sauvagement puis transforme lui-même, tout de go, en bestiau (il ne précise pas lequel) avant de mettre les bouts dans la forêt voisine, où le voilà bientôt acoquiné à la bande inconnue des solitaires organisés.
Tout cela, c'est la première partie du film, et il faut bien reconnaître qu'elle est efficace et drôle comme toute mécanique plaquée sur du vivant : langagier, social ou sexuel. La dénonciation de la réification, en sa variante contre-utopique carcéralisée, sanctifiée par quelque loi civile restant à imaginer, en ses nuances infinies, est certes assez aisée par les mauvais temps présents qui courent. Et le réalisateur Yorgos Lanthimos n'est, en l'espèce, à cet exercice, ni le plus niais ni le plus mauvais. Le problème, la question et le malaise s'installent dès l'orée de la seconde partie, dans l'aperception de ce fait que la communauté forestière des solitaires semble tout autant réifiée que la précédente. Les interdits n'y pullulent pas, mais les rapports sexuels, ou simplement amoureux, y sont, par exemple, non plus imposés mais proscrits. Une femme (Léa Seydoux) règne sans pitié sur cette troupe pathétique (effectuant, çà et là, quelques coups de main spectaculaires de guérilla contre le camp d'en face), aux termes d'un contrat socio-dictatorial dont on ne sait rien. Les refus ou révoltes internes sont en son sein tout aussi inimaginables qu'auparavant. La soumission à des châtiments exemplaires, pour les amoureux quand même, y sont également remarquables (lèvres arrachées, mise à mort). On y impose à chaque nouvel arrivant, avant toute autre chose, de creuser sa tombe. On y danse seul au cours de fêtes lugubres, seulement relié aux autres atomes humains par la même pratique d'écoute solitaire, sur son I-pod, de la même désespérante ritournelle électronique. Le langage, l'échange quotidiens y demeurent froids et misérables. Le héros ayant néanmoins rencontré, dans un tel cadre enchanteur, une femme (Rachel Weisz), s'étant lancé avec elle dans une aventure physique clandestine, ladite donzelle - repérée - est aussitôt fourbement et ignoblement réprimée par l'autorité solitaire : elle subit (au coeur de cette ville moderne constituant, pour nos solitaires terroristes, le front de leur lutte, les deux mondes coïncidant ainsi beaucoup plus qu'il n'y paraît à première vue) une opération chirurgicale soi-disant bénigne mais la rendant, en réalité, aveugle. La liaison déjà difficile qui s'annonçait entre ces deux êtres promet ainsi d'être tuée dans l'oeuf. Après de laborieux épisodes d'errance, cependant, dans une nature dépouillée, de lande humide et hostile (y compris, alors, parfois, à l'attention et l'intérêt du spectateur), notre couple infortuné décide de venir terminer sa course parmi la mégapole autrefois honnie. Pour y parfaire définitivement leur égalité organique, l'homme entreprend alors de s'y aveugler lui-même, artisanalement, à coup de couteau à viande, dans les toilettes d'un restaurant en bordure d'autoroute. Et voilà la fin de cette histoire d'amour.
Au singulier.
La question est donc la suivante : la réification des rapports amoureux, dans The Lobster, se voit-elle critiquée au sens de Kant ou de Lukács ? Dépend-elle, comme l'entendait ce dernier de toute réification, d'une structure historique passagère favorisant passagèrement l'extension indéfinie de la sphère marchande et de ses vilenies ordinaires ? Serait-elle réversible au nom de quelque irrésistible tendance humaine libératrice ? Susceptible d'une abolition ? Ou l'incommunicabilité est-elle, au contraire, promise (règne de la marchandise ou pas) au triomphe éternel et définitif ?
Le film (et l'impression terrifiante qu'il produit) repose au fond tout entier sur cette ambivalence critique-comportementaliste. Qu'on le présente comme simplement pessimiste ne suffirait donc pas. Car il y a un pessimisme social et puis un pessimisme de l'homme. Chez Lanthimos, l'équilibre est fragile. Si l'amour s'insinue bel et bien, et tant bien que mal, au sein de l'univers réifié qu'il présente, cet amour y apparait toujours au mieux comme un recommencement infantile destiné à se voir brimé, élevé dans un cadre strictement répressif, où quelque réapprentissage de ce genre que ce soit, au plan sentimental, semble dès l'origine compromis. Les deux héros de Lanthimos, incontestablement amoureux, certes, sont moins maladroits dans leurs pulsions et leurs gestes érotiques, trouvant spontanément leur bonne direction, que dans les paroles qu'ils tenteraient en vain (semble-t-il suggéré : de toute éternité) de faire correspondre adéquatement à ceux-ci. La domination historique, bien réelle, du système totalitaire favorisant les couples dans la première partie s'efface peu à peu, dans le film, devant cette constatation désabusée d'une faillite programmée, où que ce soit, de toute dialectique du désir prétendant progresser socialement depuis les attouchements de base jusqu'aux échanges spirituels. De tels échanges subversifs ne se révèlent jamais en état de triompher. De même que, pour certains, il n'y avait autrefois pas de rapport sexuel, il semble ici ne pas devoir exister de rapport amoureux. Des amoureux qui ne se rejoignent jamais (explicitement, en tout cas, cette absence ayant alors valeur de sens) persistent, en un espace blafardement égal, à causer toujours le même langage inadapté de la marchandise, quoique il soit indéniablement suggéré qu'ils aspirent à progresser en la matière. Or, une telle progression pédagogique, platonicienne, érotico-esthétique, leur est simplement interdite. Cette possibilité doit demeurer hors de leur portée (voir la très signifiante scène de l'exécution du morceau Jeux interdits à la guitare). Il ne serait en effet envisageable de progresser, en amour, que vers cette urbanité moderne naguère tellement hostile, vers l'ennemi ancien aspirant désormais, comme un tourbillon sinistre, toute recherche pulsionnelle de bonheur. Vers cet unique horizon, somme toute indépassable, d'un hédonisme individuel aux marges de manoeuvres par principe infinitésimales, la distance entre deux amoureux, entre deux subjectivités, aussi rapprochées soient-elles, ne pouvant déjà être comblée autrement que dans la seule assomption d'une douleur commune (c'est ainsi que le héros se crève les yeux à l'issue du film, à fin de communion désespérée avec sa promise. Parce qu'ils ne sauraient partager rien d'autre). Qu'il s'agisse, donc, des couples de la première partie « critique » ou des atomes solitaires de la seconde partie « existentialiste » du Lobster, le constat est le même : le rapprochement, l'union se font sur une base d'identité minimale, non d'altérité. Le héros, devant son amoureuse aveuglée (qui partageait auparavant avec lui la myopie) leur cherche frénétiquement à tous deux, durant des jours, d'autres points communs dérisoires (aime-t-elle comme moi les myrtilles ? Parle-t-elle aussi l'allemand ? Joue-t-elle également du piano ?) avant de se résoudre, enfin, faute de mieux, à l'auto-mutilation identificatrice. Le semblable, toujours, ira au semblable. La tension entre l'obsession du couple et celle de la liberté individuelle abstraite, atomistique, se trouve ainsi résolue. L'échec étant celui de tout discours amoureux révolutionnaire, les êtres potentiellement les plus heureux du film ne sont autres que les animaux qui s'y déplacent et qui - eux - y pratiquent du moins l'acte de chair biologique en toute décontraction pré-discursive, n'éprouvant plus l'obligation normative insupportable de faire correspondre à la misère de l'acte la misère d'une théorie. Tel est probablement le sens de cette scène préliminaire du Lobster voyant une femme clairement jalouse jaillir soudain d'une voiture pour exécuter furieusement un âne à coups de pistolet. Un âne (jadis peut-être son mari ou son amant l'ayant en d'autres temps abandonnée) vers le cadavre duquel s'empresse alors d'accourir un autre âne bien plus spontanément solidaire - ou une anesse, préoccupée, apeurée, avec laquelle les choses devaient sans doute se passer tellement plus facilement dans cette nouvelle existence bestiale : à la grande rage, donc, de la femme. D'autres scènes (Léa Seydoux tenant en laisse un cochon, avec dans le regard une indicible mélancolie, une ex-domestique de l'hôtel se recoiffant lascivement devant un paon, etc) seraient pour nous tributaires de la même symbolique et de cette même idée de fond : il n'y a que dans la pure animalité que le sexe cesserait définitivement d'être un problème. Raison pourquoi la transformation fatidiquement prévue en animal semble l'objet, chez les personnages du Lobster, d'une telle ambivalence d'angoisse absolue et de désir réfléchi (que serais-je, au fond, dans le repos idéal de mes organes, si l'on me donnait à choisir, une fois pour toutes, entre le porc, le homard et le chameau ?)...
Étrange film d'amour, donc, que celui-ci. Les résistants amoureux n'y résistent pas. L'idylle n'y troue jamais, dans les normalités totalitaires, aucune échappée par où l'utopie, timidement, se ferait jour. L'amour n'y est jamais fou. Les amoureux ex-«solitaires» bientôt réunis, de leur propre initiative, certes (ce qui fait toute la différence) en «couple», une fois rendus, de là, à la seule liberté précaire par eux reconnue possible : celle de la normalité urbaine, y aspireront comme tout le monde aux voyages méditerranéens, aux séances communes de piscine et à tout autre projet de bonheur annexe, mais aussi, plus mystérieusement, à « certaines choses sérieuses et pas futiles » (dont la nature, peut-être intéressante, ne nous est cependant alors point précisée par Lanthimos. Pourquoi ?). La liberté véritable, plus que toute autre matrice secondaire de nouveauté, semble ici condamnée par principe. Le sacrifice (du plaisir, du sexe) est partout de mise. Simple étude polémique, dira-t-on, symétrique, des idéologies totalitaires en présence : conjugale et solitaire (pensons aux avatars de l'individualisme marchand contemporain, celui, par exemple, de la femme active, dit de « la carrière avant la famille ») ? En sorte que le diagnostic demeurerait fondamentalement critique, politique ? Peut-être. Il reste que le monde et toute l'esthétique de Yorgos Lanthimos semblent a priori bien froids, déshumanisés et, singulièrement dans The Lobster, privés de toute virtualité, ne serait-ce qu'au plan chromatique. La réduction nécessaire de l'univers subjectif à celui d'un martyr relégué dans son Tartare, voilà ce que cet esthétisme évoque. Pas n'importe quel Tartare, celui du design post-moderne, de sa très-adéquate performance extérieure, une performance libérale, calviniste ou mandevillienne d'autant plus efficiente qu'elle aura fait son deuil de toute bonté native de la « nature humaine », de la possibilité de faire du monde autre chose qu'un Royaume de Satan irrémédiablement mauvais et déprimant. Les divers déchaînements de cruauté (envers le corps des hommes et celui des animaux) scandant la progression du film prennent alors soudain une allure (de défoulement vengeur, voire haineux) tout autre que comique (à supposer, de toute façon, que rire en choeur à l'unisson d'une foule plongée dans les ténèbres d'une salle de cinéma libèrerait plus qu'il n'asservit. Tel n'était pas l'avis d'un Adorno, par exemple, s'ouvrant auprès de Walter Benjamin, dans une célèbre lettre de 1936, de la signification selon lui déjà pré-totalitaire de ce genre d'explosion collective et moqueuse).
Il n'y a pas loin de Lukács à Heidegger, et de la critique révolutionnaire de la réification à sa transformation en fait ontologique, constatable dans la douleur inextinguible de soi, dans la mélancolie à perpétuité. C'est précisément sur le pillage de sa notion révolutionnaire qu'aura été rendue possible la fructification finalement libérale (ou dégagée de la politique) de la réification existentielle. Axel Honneth montrait, voilà quelques années (dans sa Réification), comme Lucien Goldmann le fit avant lui, tout ce dont Lukács se sera ainsi trouvé dépossédé, volé comme dans un bois par Heidegger. L'exhaussement de la compréhension du monde, pourtant, et l'augmentation de l'intelligence sont évidemment inséparables d'une critique à mort de ce monde historique, d'une critique utopique unitaire exercée contre lui. C'est ainsi que notre propre mélancolie gît ailleurs. Dans l'ailleurs. Une nostalgie de demain, en vérité, plutôt que telle mélancolie factuelle méprisant le sens éthique, et préférant tirer d'elle-même, génétiquement, la translucide cohorte de ses incroyances, de ses lucidités glacées, de ses anti-valeurs fières de leur certitude post-métaphysique. Notre nostalgie s'édifie sur la haine, l'amour, la faim, pas sur la fin de l'amour et l'expérience de la solitude comme préambule tragi-comique à l'assomption de toute existence authentique. L'échec annoncé de l'amour peut bien être dit - tant qu'on le voudra - l'authenticité même. Nous n'aurons que faire, alors, de l'authentique, du vrai ou de l'incontestable. L'authentique nous répugnera aussi longtemps que les faits nous seront contraires, prétendront interdire le surgissement répété de la seule identité humaine (d'inachèvement) que nous acceptons de nous reconnaître, en laquelle la communication et la liberté amoureuses jouent un rôle tellement important. L'humour de Yorgos Lanthimos nous apparaît, pour cela, aussi rigoureux et triste que ce monde même qu'il prétend moquer. Il est, comme lui, fondamentalement éteint, ou rémanent. Il est présent comme la mort, vous colle à l'esprit longtemps, tels ces souvenirs de grenouilles disséquées et continuant à remuer, à l'agonie, sous l'impulsion de quelque décharge électrique sadiquement administrée, dans les écoles que nous traversions, enfants : ces petites grenouilles déjà cadavres dépiautés, dénudés, humiliés, et, elles aussi, alors, sans doute, horriblement ridicules et comiques. Telle est la terrible réussite de cette oeuvre dont la cohérence granitique nous semble hélas ! (loin de ce que pensent avoir observé de pertinentes mais trop formelles critiques) incontestable.