mercredi 21 septembre 2016

Croquer la poire, faire le Malin

Ainsi, donc, de tout temps, de Saint Augustin à Mickey Mosman et d'autres, les bandes de jeunes auraient aimé le vice pour lui-même ? Moins le produit, contingent, de leur chute que la chute elle-même. Toujours et partout, ils auraient surtout aimé raconter, confesser la chose, à quelque public de choix, dans les grandes largeurs ? Ils se seraient, tous, communément, la nuit, et ne pouvant dormir, précipités avec plaisir sur toutes sortes d'activités obscures, clandestines, illicites. Stupéfiant. Le point commun ne tiendrait-il pas, alors, au même besoin, explicable, d'expliquer, justement, de détenir enfin, de jouir de ce pouvoir d'expliquer, de s'expliquer, avec soi et avec le monde ? Ce pouvoir de connaissance, vous le savez, gît au tréfond de certain fruit défendu : pomme ou poire, ou même pamplemousse ou kiwi, à la rigueur, tout ce que vous voudrez, tout ce qu'il vous faudra. Ceci pour faire comme le premier d'entre les grands rebelle, à qui, chacun à notre modeste manière, nous tenterons sans répit, jusqu'à la fin, de ressembler, dans le pouvoir sanctifié du connaître. Croquer la poire, faire le Malin. Eritis sicut dii... 



« Il y avait dans le voisinage de notre vigne un poirier chargé de fruits qui n'avaient rien de tentant, ni la beauté ni la saveur. En pleine nuit (selon notre exécrable habitude nous avions prolongé jusque-là nos jeux sur les places), nous nous en allâmes, une bande de mauvais garçons, secouer cet arbre et en emporter les fruits. Nous en fîmes un énorme butin, non pour nous en régaler, mais pour le jeter aux porcs. Sans doute nous en mangeâmes un peu, mais notre seul plaisir fut d'avoir commis un acte défendu. Voilà mon coeur, ô Dieu, voilà mon coeur dont vous avez eu pitié au fond de l'abîme. Qu'il vous dise maintenant, ce coeur que voilà, ce qu'il cherchait dans cet abîme, pour faire le mal sans raison, sans autre raison de le faire que sa malice même. Malice honteuse, et je l'ai aimée ; j'ai aimé ma propre perte ; j'ai aimé ma chute ; non l'objet qui me faisait choir, mais ma chute même, je l'ai aimée. »

(Saint Augustin, Les confessions)


9 commentaires:

  1. Si vous avez du temps à perdre, je vous invite à feuilleter le bouquin de l'historien Muchembled, "Une histoire de la violence. De la fin du Moyen Âge à nos jours". Il constate au moins deux choses:
    1°. La violence criminelle n'a jamais cessé de diminuer en Europe, depuis au moins le 13ème siècle (période à laquelle il début son étude)
    2°. Il observe néanmoins, sur cette longue période, une constante dans la violence criminelle. Elle est toujours très majoritairement le fait des "jeunes mâles" (grosso modo, des 15 - 25 ans). Il ne donne pas d'explication définitive, propose seulement quelques hypothèses, pas très éloignées finalement de ce que vous dites (la question de l'insertion dans la société, prendre la place des pères, etc.).

    Amicalement,

    Prh

    ps: très bon clip de Democrate D

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    1. Il faut reconnaître qu'en matière de délinquance et d'ultra-violence systématique, François Villon ou ses potes coquillards (et goliards) dépassaient de dix mille coudées les prétentions pathétiques, et les rodomontades gangsta de la jeunesse d'aujourd'hui.

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    2. ça c'est certain, les coquillards feraient passer n'importe quelle bande de caïds modernes pour des enfants de chœur.
      Les traités de savoir-vivre du Moyen-Âge étudiés par N. Elias sont eux aussi éloquents sur les manières de se tenir à table. A les croire, on avait tôt fait, à l'auberge, à l'époque de Villon, de planter sa fourchette (longtemps interdite, notamment pour cette raison - et puis c'est quand même plus simple de manger avec les doigts, nom de diousse!) dans la cuisse ou l’œil du voisin, pour une parole de travers.

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    3. Verlaine n'était donc pas le premier à pratiquer le surinage impromptu de paluches de collègues de table (et d'absinthe, en l'occurrence)?

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    4. Verlaine n'était-il pas plutôt le dernier? n'était-il pas le dernier des poètes moyenâgeux? (question à soumettre aux étudiants en poésie)

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  2. Et outre la pratique, le langage était un peu classe!

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    1. Personnellement, je ne définirais pas comme "un peu classe", le jargon des coquillards. Vous déraisonnez, Jules ! à moins que vous raisonniez comme n'importe quel petit animateur de talk-show... Je ne vous connais pas mais je suis sûr que vous valez mieux que ce langage pré-conditionné et aseptisé. Il n'était donc pas "un peu classe", ce jargon, car il ne voulait pas briller, mais par contre c'était un langage "de classe" car se voulant incompréhensible pour ses ennemis (de classe également, bien-sûr).

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    2. Faut po vous énerver comme ça, m'sieur Henri...
      Ca sert à rien..

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  3. Z'avez moult raison, sieur Henri.
    Voilà ce qu'il advient lorsqu'on dicte au scribe tout en ripaillant avec quelques fripons et gueuses de qualité. Le bougre sera étrillé pour avoir laissé passer ça.
    Serviteur, beau sire.
    Mais rasez les murs, sait-on jamais ce qui peut advenir...

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