vendredi 26 septembre 2014

De l'illettrisme (3) tristes journées de Septembre

 
Madame de Lamballe (détail).


« À présent, esprit invisible et imperceptible, 
la maladie s'insinue dans toutes les parties nobles et les pénètre, 
elle s'est bientôt rendue profondément maîtresse de toutes les viscères 
et de tous les membres de l'idole inconsciente 
et un beau matin, elle "donne un coup de coude au camarade 
et patatras, l'idole est à terre". »

(Hegel, citant le Neveu de Rameau in 
Le combat des "Lumières" avec la superstition, 
Section I-a, Phénoménologie de l'Esprit).


Dans la vie, il y a les illettrés simples (incapables, par exemple,  de se tenir au courant de l'actualité que présente un journal) et les illettrés historiques. Difficile d'établir à laquelle de ces deux catégories appartenait exactement la princesse de Lamballe, surintendante de la Maison Royale restée à Paris au plus fort des troubles, exécutée semble-t-il par une foule correctement ivre le 3 septembre 1792, lors des fameux massacres du même mois, puis qu'on viola post-mortem, qu'on décapita, dont on découpa le sexe pour s'en faire des moustaches et dont on promena la tête au bout d'une pique, pendant trois heures, avant de la jeter aux chiens au fond d'un trou, quelque part.
Plus près de nous, si l'on peut dire, en ce qui concerne M. Emmanuel Macron, une relative incertitude demeure. Certes, nous considérons probable que M. Macron sache lire, et doive être en mesure de pouvoir exécuter sans difficultés excessives les quatre opérations mathématiques fondamentales. Jusqu'à la dernière heure de son existence, en revanche, M. Macron saura-t-il bien comprendre son époque ? Sera-t-il en capacité de la déchiffrer correctement ?
Nous le lui souhaitons, bien évidemment.
Un illettré ne saurait, sans imposture ni dommage, exercer la profession de M. Macron.

Assez rigolé. Venons-en au fait. La haine de classe, toujours, est homicide, ne serait-ce qu'en intention profonde. Elle l'est d'autant plus qu'elle demeure invisible aux illettrés authentiques la découvrant d'un coup et trop tard, tragiquement, pour eux au pire moment. La colère de l'esclave, toujours, veut la mort de son maître, bien outre son unique et triviale dépossession. La femme de chambre, toujours, rêve à l'endroit du corps de sa maîtresse les supplices les plus raffinés et cruels. Elle désire ceux-ci en leur précision même, elle les voit déjà, à mesure que son imaginaire se sera vu - lui - excité auparavant, des années, des décennies durant, dans le sens d'une fuite, d'une évasion perpétuellement mijotée au tréfonds de chaque détail infime d'une existence domestiquée, soumise à telle oppression diffuse quoique permanente et sans failles, simplement voilée par une légalité inique, le dogme servi quotidiennement de l'humiliation nécessaire, scientifiquement fondée, justifiée par les besoins obscurs de la Civilisation. C'est à cela que servent les curés et les économistes. L'opprimé antédiluvien, soudain rendu, par quelque fâcheux accident de parcours de l'époque, au pouvoir parcellaire momentané : au milieu d'une rue émeutière, d'une région en insurrection, toujours attentera de manière incompréhensible, ineffable pour ses seules victimes apeurées, à la vie charnelle, gorgée de sang et de tripes, de son oppresseur immémorial, à son honneur intime, à  toute la masse de ce qui représente à ses yeux terrifiés le plus suprêmement et chèrement important : sa famille, ses biens, ses animaux de compagnie, ses restaurants et ses automobiles de sport, tout son être organique et décentralisé, au cours d'explosions de barbarie aussi bouleversantes que réputées jusqu'alors inconcevables, étouffées dans leur possibilité même par un mépris de savant prosaïque, et recouvertes d'un vernis adéquat, et rassurant, de tempérance démocratique, clamées absurdes, enfin, de la bouche pourrie, des myriades de bouches uniques, graisseuses, molles et saindouesques, de tous les thuriféraires béats, tous les dominants illettrés de l'Histoire, inaptes à suivre, de celle-ci, le cours souterrain, les emmagasinements gigantesques, de poudre et de salpêtre moraux. Puis survient, malgré tout, le massacre archaïque, inattendu. L'opprimé, l'instant d'avant encore un mouton méprisé, moqué, statufié dans sa soumission cosmologique, se presse désormais de causer le plus de mal à son ennemi, formellement rétabli dans cette vérité d'opposition simple, forte et pure, et de le cerner, de le crever, de l'acculer de billions de souffrances physiques inédites, originales et recherchées, quoique sa jouissance procède, au vrai, d'autant mieux alors des larmes de rage stupéfiées, dont sa complète absence de pitié, son inhumanité pratique dans l'exécution glacée de l'opération vengeresse, auront proprement lessivé son adversaire.
Le retour au calme, le redoux (selon le mot de Villiers de l'Isle-Adam, qui baptise ainsi un de ces bourgeois emblématique, échouant toujours à approcher en compréhension, près d'un siècle après les événements, du phénomène de la Terreur politique) après l'écrasement inévitable de la jacquerie sanglante, se fait, pour la classe dominante, dans l'hébétude, la confusion et la désespérance d'un lendemain de viol, perpétré - comme c'est statistiquement presque toujours le cas - par un proche, un ami de la famille, un familier ex-innocent ex-inoffensif dont la monstruosité étrangère se trouve encore illisible, dans la grisaille froide. En hâte, cependant, comme un animal blessé, on renforce mécaniquement ce qui subsiste, c'est-à-dire hélas ! l'essentiel, on se maintient par les nerfs, on tire un peu plus, avec le dernier fanatisme reflexe, dans le sens même de ce qu'on connaît encore, dans le sens de l'Ordre. On renforce la police, la morale, les répressions diverses. On nie l'immédiat. Puis, le jour d'après, l'on commence à réaliser et à se représenter enfin un ennemi conscient, conscient de son être, c'est-à-dire de ses buts : la destruction sociale de ce qui l'entrave, la poursuite finale de la vengeance définitive. L'apocalypse, en somme. On connaît, désormais, l'harmonie des classes comme une chimère, la seule réelle chimère qui vaille, l'existence de vos dieux n'en constituant qu'un appendice, un prolongement ridicule, grotesque, hideux. On ne mésestime plus, de quelque plaisanterie de ministère ou de banque, les risques pesant, en sous-sol rapproché, dessus sa propre sécurité physique, et celle de tous les représentants de sa classe. On se sait, enfin, haï à un certain point, particulier. On se sait sourdement menacé d'homicide. Voilà que l'illettrisme - O pédagogie ! - vient de prendre fin, jusqu'à l'aube de la prochaine fois.
Jusqu'aux prochaines journées de Septembre.

4 commentaires:

  1. Vous frôlez le blocage de site prévu par la nouvelle loi socialiste cher Moine. Mais vous ne resterez pas un loup solitaire, nous nous associerons à votre entreprise.

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  2. J'ai rien fait.
    C'est la faute à la société.

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  3. Ceci dit, chaque société a-t-elle les ministres qu'elle mérite ?
    Voilà un problème sur lequel un avis Hégelien me fait défaut.

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  4. Vous savez, il en va des avis hégéliens comme de certain orifice élémentaire que nous ne nommerons pas : tout le monde en a un.
    Et pour ce qui nous concerne, nous ne donnons jamais le nôtre.
    Du moins pas le premier soir.

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