Léon Bloy par Félix Vallotton
« Leur mariage avait été un poème bizarre et mélancolique. Dès le lendemain de la mort de son protecteur, Clotilde était retombée dans la misère.
(...) les douleurs des pauvres ne sauraient entrer en comparaison avec les douleurs des riches, dont l'âme est plus fine et qui, par conséquent, souffrent beaucoup plus.
L'importance de cette appréciation de valet de chambre est indiscutable. Il saute aux yeux que l'âme grossière d'un homme sans le sou qui vient de perdre sa femme est amplement réconfortée, tranchons le mot, providentiellement secourue par la nécessité de chercher, sans perdre une heure, un expédient pour les funérailles. Il n'est pas moins évident qu'une mère sans finesse est vigoureusement consolée par la certitude qu'elle ne pourra pas donner un linceul à son enfant mort, après avoir eu l'encouragement si efficace d'assister, en crevant de faim, aux diverses phases d'une maladie que des soins coûteux eussent enrayée.
On pourrait multiplier ces exemples à l'infini, et il est malheureusement trop certain que les subtiles banquières ou les dogaresses quintessenciées du haut négoce qui s'emplissent de gigot d'agneau et s'infiltrent de précieux vins, en lisant les analyses de Paul Bourget, n'ont pas la ressource de cet éperon.
Clotilde, qui ne savait pas un mot de psychologie et qu'une longue pratique de la pauvreté parfaite aurait dû blinder contre l'affliction du coeur - exclusivement dévolue à l'élégance -, eut, cependant, l'inconcevable guignon de souffrir autant que si elle avait possédé plusieurs meutes et plusieurs châteaux. Il y eut même, dans son cas, cette anomalie monstrueuse que les affres du dénuement, loin d'atténuer son chagrin, l'aggravèrent d'une manière atroce. »
(Léon Bloy, La femme pauvre)
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