lundi 17 février 2014

Notes sur Chucho el Roto

La cellule de Chucho el Roto au bagne de San Juan de Ulua, Vera Cruz.
 
Les fragments ici présentés constituent des notes préparatoires à l’Avant-propos de l’ouvrage consacré au célèbre bandit mexicain, et publié en décembre 2012 par les éditions Sao Maï. Ils n’apparaissent évidemment point – sous cette forme en tout cas – dans l’édition définitive.

Barbarie actuelle au Mexique. Ce qui domine, l’opacité. La vérité sera connue plus tard, comme d’habitude. Telle est la logique des grands carnages. En attendant, donc : carnage. Dante. Agrippa d’Aubigné.

Liaisons dialectiques Banditisme-Révolution. Objet d’une importante littérature. Question au fond jamais tranchée. Condamnation à la fois pertinente et insuffisante du Lumpen par Marx, Hobsbawm, Adamic (Dynamite !), etc. Le Crime : « violence obligée des pauvres après la victoire du Capital » (Manchette). Crime : produit de la violence capitaliste et réaction de survie, d’adaptation à ce système, y compris à ses codes, que le Crime ne subvertit pas, mais radicalise, prend en quelque sorte au mot. Assurance de la promotion sociale du criminel que la légalité bourgeoise lui refuse dans les faits. Au mensonge formel capitaliste s’opposent ainsi : dissimulation, clandestinité, secret criminels, lesquels auront tôt fait de tomber sous le coup de la critique cléricale ou moralisante, etc. Fausseté contre fausseté. Statut, cependant, de la fourberie et du mensonge dans la société d’après. Comment revenir sur ces habitudes d’avant ? Est-ce souhaitable ? Ruse recyclable ? Voir là-dessus Chucho. Son intelligence d’adaptation. Question de la possibilité seulement de l’entrée en communisme d’anciens menteurs par nécessité, ayant de fait aimé le mensonge comme leur sécurité. L’ayant aimé au plus intime.

C’est en cela que les habitudes de Chucho sont passionnantes. Chucho se travestit pour commettre ses crimes. Son talent du déguisement : poussé nous dit-on au génie. Pas seulement extérieurement : dans l’emprunt des codes symboliques mêmes de cette bourgeoisie qu’il dépouille, et à laquelle de fait il ressemble furieusement.

Cette bourgeoisie portant le masque de l’humanité légale abstraite se heurte ainsi au bandit dont le propre masque, contrairement à celui de la classe ennemie, dirait plutôt la foncière honnêteté. Le masque du bandit : sa vérité d’homme libre. Sa vérité plastique. Expression spectaculaire de son authentique visage. Cette vérité, parfaitement entendue ailleurs, au plan esthétique, dans d’autres conditions (Goya, Ensor). Elle trouve ici son équivalent politique. Le masqué : à la fois le puissant, l’agent de la justice historique, de la vérité profonde. Opposées au visage dégagé, autrement dissimulateur et fourbe, de la Domination.

Le Masque. Le Mexique s’en est fait une coutume : « lutte libre », etc.
Chucho hier, Marcos aujourd’hui. 
Immortalité du premier.

(Laurent Zaïche, 2011-2012)

4 commentaires:

  1. Pas eu la chance d'avoir ce "Chucho" entre les mains.
    Pour dériver sur cette idée de masque- c'est de saison- on écoutera avec grand avantage les doctes rêveries de Claude Gaignebet ici :

    http://www.canal-u.tv/video/science_en_cours/le_masque_en_europe_occidentale_2002.21

    Trouvées via ce site

    http://lamaindesinge.blogspot.fr/search/label/Rabelais

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  3. Certes le Mexique est le pays roi en ce qui concerne les masques.
    Mais on peut parfois regretter que l'exemple vienne d'en haut : Benito Juarez, ce grand patriote qui dépouilla un peu plus les "indigènes" (pour pinailleurs de la traduction, je n'ai jamais pu me résoudre à "Indiens" appelation donnée par les colons espagnols ni à "autochtones" trop canadien encore moins à "aborigènes", on n'est pas en Australie. Fin de la digression) Lazaro Cardenas, ce grand "président révolutionnaire" qui fonda tout le PRI moderne, le PRI lui-même (Parti Révolutionnaire Institutionnel, admirez l'oxymore !) 80 ans de pouvoir et presque toutes ses dents.
    Assurément les seuls masques qui vaillent sont ceux d'en bas comme dirait l'autre..
    Et à propos de Marcos, malgré ma répugnance pour les leaders charismatiques, je le trouve assez en forme en ce moment. Ces derniers écrits dégueulant sur la gauche sont un régal !
    Quant à Sao Mai, on leur souhaite de poursuivre l'évocation des bandits d'honneur mexicains ou des guérilleros, ce qui est souvent là-bas la même chose.
    Gabino Barrera, Genaro Vasquez, etc. la liste est longue...
    Merci encore pour votre "Chucho el Roto" ainsi que pour l'évocation de cette saloperie que fut San Juan de Ulua.
    Abrazos fraternales
    Jules V

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  4. Mexique, pays roi des masques, cher Jules, et de la Mort : du squelette ricanant, du Masque suprême (de la vérité suprême), qu'on sent se poser, et recouvrir de plus en plus nettement, en avançant dans la vieillesse, ce visage SOCIAL, prétendument pur et vierge, formant le nôtre authentique.
    Memento mori...
    Se souvenir, de même, qu'avant le grand saut, toute ta vie, tu porteras tes masques et ta chimère. En choisir, alors : en assumer de plus grandioses que d'autres, voilà toute l'idée. Au besoin, comme nous le répétons souvent, faire plus de cas du mythomane inventif que du véridique médiocre, et jouir de cette subversion égalitariste de la pensée morbide, dès son plus jeune âge. " En la danza de la muerte participan todos : el papa y el emperador, caballero y villano, mendigo y vagabundo, hidalga y ramera..."
    Bien à vous.

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