Velléda dans la tempête, vers 1830-35.
Amis artistes : poètes, peintres, littérateurs, musiciens… comment composez-vous ? Un sujet s’impose-t-il à vous, immédiatement prêt, intégralement déterminé sitôt apparu à votre âme ? Un son, un thème mélodique s’enracine-t-il en vous, que vous n’aurez qu’à dérouler, peu à peu, faisant jaillir bientôt, de lui, de nuances en déplacements insensibles au grossier, une économie générale : l’œuvre suffisant et ample ? Au fait, composez-vous ? Ou plutôt décomposez-vous ? En agrégeant des motifs déjà pensés, travaillés, étudiés isolés, pour eux-mêmes, dans l’attente de quelque placement futur, opportun à servir un ensemble simplement pour l’heure esquissé ?
C’est précisément à ce type de réflexion sur l’esquisse que vous convie, pour quelques heures encore (cela finit aujourd’hui, 2 février 2014) le Musée de la vie romantique, à Paris. On échouerait toujours, aujourd’hui, à distinguer apodictiquement ce qui sépare l’esquisse du tableau « fini ». C’est que l’esquisse, comme ses innombrables avatars dans l’histoire de la peinture (étude, bozzetto, modello, schizzo, ricordo…) accuse en France, sous la Restauration puis la Monarchie de Juillet, un double statut : artistiquement, elle figure à merveille la liberté d’exécution, la spontanéité sauvage de création caractérisant le romantisme, cependant qu’économiquement, en retour, pourrait-on dire, de ce premier aspect artistique, le goût de l’esquisse suscite carrément, à cette époque, un nouveau marché esthétique, extrêmement dynamique. Corollairement, l’esquisse constitue, à l’école des beaux-arts, l’exercice maître depuis 1816 (date de l’installation de l’école sur le site des Petits-Augustins, où elle se trouve toujours) : au concours bi-annuel d’esquisses en Composition historique (1816) vient s’ajouter, en 1822, celui d’esquisses en Paysage historique. Tous deux sont préparatoires au prix de Rome. Le dessin est primordial, pour ne pas dire écrasant. L’on ne soucie que bien après du passage à la peinture, et même alors, celui-ci s’opère essentiellement suivant la copies d’illustres modèles (Raphaël, par exemple, chez les élèves d’Ingres) dont les esquisses – autant que les tableaux «achevés» – font autorité. Il s’agit, en quelque sorte, pédagogiquement, de se mettre dans la peau et la tête du Maître au travail, en train de composer, et dont la vision générale est privilégiée, au détriment du souci de détail. Au point que certains esprits bougons s’alarment de la baisse qualitative que cette obsession de l’esquisse dans l’enseignement artistique serait susceptible d’entraîner chez la jeune génération : « Si vous étiez ici, écrit Girodet à François-Xavier Fabre (alors en Italie), vous trouveriez, ce me semble, que l’École ne marche pas beaucoup dans la route d’études sévères que nous avons suivie. Vous pouvez même en juger, si vous voyez à Rome les expositions de MM. Les Pensionnaires ; aussi, aucun de nos élèves n’a encore pu remporter le prix à l’Académie ; nos confrères trouvent qu’ils finissent trop. On ne veut plus que des esquisses ; passe encore si elles étaient belles, mais il s’en faut souvent de beaucoup » (20 juin 1819). Cet intérêt pour le « faire vite », le premier jet dans sa vérité, l’inachèvement dont cette vérité procède suffira a posteriori à définir le romantisme pictural, une fois passé son triomphe absolu, quand, au début des années 1850, un collectionneur tel qu’Alfred Bruyas entreprend son travail mémorialiste : « Guidé par le désir de rassembler une galerie idéale où chaque artiste ayant joué un rôle dans l’histoire de la modernité au XIXème siècle serait représenté par une œuvre caractéristique, Bruyas et son acheteur, le critique Théophile Silvestre, délaissèrent les dispersions des grandes collections telle celle du comte Demidoff pour jeter leur dévolu, comme le marquis d’Hertford et le reste des amateurs, sur les fonds oubliés que les ventes des ateliers romantiques firent surgir à partir de la fin des années 1850, livrant au feu des enchères des esquisses comme le marché n’en avait quasiment pas connu, non pas des figures d’expression ou des tableaux au faire inachevé, mais de véritables études restées avec d’autres dans les fonds oubliés de 1830 » (Olivia Voisin, Esquisses peintes de l’époque romantique). Cette séduction exercée par l’esquisse, comme quintessence ressouvenue de l’idéal romantique, est encore, entre autres exemples, attestée en 1897 par le legs de la célèbre collection du marquis d’Hertford et de son fils sir Wallace. Ainsi que l’écrivait Diderot, annonçant ce succès et l’analysant déjà dans son Salon de 1767, « pourquoi une belle esquisse nous plaît-elle plus qu’un beau tableau ? (…) l’esquisse ne nous attache peut-être si fort que parce qu’étant indéterminée, elle laisse plus de liberté à notre imagination qui voit tout ce qui lui plaît. C’est l’histoire de l’enfant qui regarde les nuées, et nous sommes plus ou moins enfants. »
Au Musée de la vie romantique, vous ne trouverez donc pas trace d’Ingres, dont les conceptions en la matière semblent là diverger radicalement d’avec celles de Delacroix, par exemple (lui très représenté). Il est classique d’opposer les deux artistes suivant les modalités suivantes, d’ailleurs pertinentes : « Il est des hommes de génie, au sens romantique du mot – et Delacroix est de ceux-là –, pour qui concevoir et donner forme à la pensée sont deux opérations pour ainsi dire simultanées (…), et pour qui l’esquisse jetée en quelques instants sur la toile contient déjà tout, ou presque tout. Il est d’autres hommes pour qui le génie – mais le langage commun hésite alors à employer ce mot – est une longue patience. L’idée se présente à eux avec force, elle s’impose pour longtemps, mais de façon d’abord imprécise ou banale. Elle ne prend forme que peu à peu, à force de volonté, au prix d’un travail acharné. Et l’artiste n’aura de repos que quand il pensera avoir atteint cette perfection formelle poursuivie avec tant d’exigence. Ingres est de ceux-là. » (Daniel Ternois, Ingres et sa méthode, 1967)
Cette présentation, pourtant, d’un Delacroix purement et «génialement» spontanéiste devrait se voir relativisée. C’est en cela que l’exposition dont nous parlons se révèle utile. Elle montre en effet l’importance accordée par Delacroix au motif périphérique pour lui-même, motif dont l’artiste se constituait, en permanence, sur toute sorte de supports, une espèce de catalogue dans lequel il venait puiser afin d’en truffer tel dessein (dessin) général, suivant les occasions de lumière et, à dire vrai, plus profondément : les occasions poétiques offertes par les motifs en question (souvent de simples objets ou ornements usuels). En sorte qu’on se retrouve là devant une batterie préparée de correspondances précisant un sujet rien moins que déjà prêt, et fixé une fois pour toutes dans l’âme de Delacroix, ce qu’une trop rigide opposition à Ingres laisserait à tort supposer. Ingres lui-même, s’il tâtonnait et, dans sa progression, soignait le dessin même du détail, ne procédait de ce point de vue pas différemment, dans l’affinement spirituel de son projet initial. C’est ce processus, complexe et douloureux, que dévoilent les esquisses montrées au Musée de la vie romantique, en lien avec le tableau finalement exécuté lequel, souvent, leur correspond mais pas systématiquement : ce tableau final n’existe pas – ou plus – forcément toujours (témoins la belle Velléda dans la tempête, de Léon Cogniet ou Bacchantes et satyres, de Chassériau). Pour les autres, on mesure avec étonnement, parfois saisissement, le chemin parcouru de l’esquisse à l’œuvre « finale » : des motifs disparaissent, des mains étreignent originellement tel personnage, des poses se désalanguissent progressivement, des manières s’obscurcissent, etc. À ne prendre que le cas du magnifique Médée furieuse (Delacroix, 1838), dans l’esquisse, « la silhouette de Médée nimbée d’une cape bleue se détache sur un décor de bord de mer très lisible. Delacroix donna beaucoup de dynamisme au mouvement de la princesse orientale arrêtée en pleine course. Le buste de Médée n’est pas circonscrit de chaque côté par ses bras, comme dans le tableau final et la jambe avancée est moins allongée. Par rapport à l’esquisse peinte, le tableau de Lille [au palais des Beaux-Arts] équilibre plus subtilement la pyramide sculpturale formée par le groupe, la lumière se concentre sur la blancheur du buste de la magicienne et de ses enfants. » (Catalogue de l’exposition).
C’est précisément à ce type de réflexion sur l’esquisse que vous convie, pour quelques heures encore (cela finit aujourd’hui, 2 février 2014) le Musée de la vie romantique, à Paris. On échouerait toujours, aujourd’hui, à distinguer apodictiquement ce qui sépare l’esquisse du tableau « fini ». C’est que l’esquisse, comme ses innombrables avatars dans l’histoire de la peinture (étude, bozzetto, modello, schizzo, ricordo…) accuse en France, sous la Restauration puis la Monarchie de Juillet, un double statut : artistiquement, elle figure à merveille la liberté d’exécution, la spontanéité sauvage de création caractérisant le romantisme, cependant qu’économiquement, en retour, pourrait-on dire, de ce premier aspect artistique, le goût de l’esquisse suscite carrément, à cette époque, un nouveau marché esthétique, extrêmement dynamique. Corollairement, l’esquisse constitue, à l’école des beaux-arts, l’exercice maître depuis 1816 (date de l’installation de l’école sur le site des Petits-Augustins, où elle se trouve toujours) : au concours bi-annuel d’esquisses en Composition historique (1816) vient s’ajouter, en 1822, celui d’esquisses en Paysage historique. Tous deux sont préparatoires au prix de Rome. Le dessin est primordial, pour ne pas dire écrasant. L’on ne soucie que bien après du passage à la peinture, et même alors, celui-ci s’opère essentiellement suivant la copies d’illustres modèles (Raphaël, par exemple, chez les élèves d’Ingres) dont les esquisses – autant que les tableaux «achevés» – font autorité. Il s’agit, en quelque sorte, pédagogiquement, de se mettre dans la peau et la tête du Maître au travail, en train de composer, et dont la vision générale est privilégiée, au détriment du souci de détail. Au point que certains esprits bougons s’alarment de la baisse qualitative que cette obsession de l’esquisse dans l’enseignement artistique serait susceptible d’entraîner chez la jeune génération : « Si vous étiez ici, écrit Girodet à François-Xavier Fabre (alors en Italie), vous trouveriez, ce me semble, que l’École ne marche pas beaucoup dans la route d’études sévères que nous avons suivie. Vous pouvez même en juger, si vous voyez à Rome les expositions de MM. Les Pensionnaires ; aussi, aucun de nos élèves n’a encore pu remporter le prix à l’Académie ; nos confrères trouvent qu’ils finissent trop. On ne veut plus que des esquisses ; passe encore si elles étaient belles, mais il s’en faut souvent de beaucoup » (20 juin 1819). Cet intérêt pour le « faire vite », le premier jet dans sa vérité, l’inachèvement dont cette vérité procède suffira a posteriori à définir le romantisme pictural, une fois passé son triomphe absolu, quand, au début des années 1850, un collectionneur tel qu’Alfred Bruyas entreprend son travail mémorialiste : « Guidé par le désir de rassembler une galerie idéale où chaque artiste ayant joué un rôle dans l’histoire de la modernité au XIXème siècle serait représenté par une œuvre caractéristique, Bruyas et son acheteur, le critique Théophile Silvestre, délaissèrent les dispersions des grandes collections telle celle du comte Demidoff pour jeter leur dévolu, comme le marquis d’Hertford et le reste des amateurs, sur les fonds oubliés que les ventes des ateliers romantiques firent surgir à partir de la fin des années 1850, livrant au feu des enchères des esquisses comme le marché n’en avait quasiment pas connu, non pas des figures d’expression ou des tableaux au faire inachevé, mais de véritables études restées avec d’autres dans les fonds oubliés de 1830 » (Olivia Voisin, Esquisses peintes de l’époque romantique). Cette séduction exercée par l’esquisse, comme quintessence ressouvenue de l’idéal romantique, est encore, entre autres exemples, attestée en 1897 par le legs de la célèbre collection du marquis d’Hertford et de son fils sir Wallace. Ainsi que l’écrivait Diderot, annonçant ce succès et l’analysant déjà dans son Salon de 1767, « pourquoi une belle esquisse nous plaît-elle plus qu’un beau tableau ? (…) l’esquisse ne nous attache peut-être si fort que parce qu’étant indéterminée, elle laisse plus de liberté à notre imagination qui voit tout ce qui lui plaît. C’est l’histoire de l’enfant qui regarde les nuées, et nous sommes plus ou moins enfants. »
Au Musée de la vie romantique, vous ne trouverez donc pas trace d’Ingres, dont les conceptions en la matière semblent là diverger radicalement d’avec celles de Delacroix, par exemple (lui très représenté). Il est classique d’opposer les deux artistes suivant les modalités suivantes, d’ailleurs pertinentes : « Il est des hommes de génie, au sens romantique du mot – et Delacroix est de ceux-là –, pour qui concevoir et donner forme à la pensée sont deux opérations pour ainsi dire simultanées (…), et pour qui l’esquisse jetée en quelques instants sur la toile contient déjà tout, ou presque tout. Il est d’autres hommes pour qui le génie – mais le langage commun hésite alors à employer ce mot – est une longue patience. L’idée se présente à eux avec force, elle s’impose pour longtemps, mais de façon d’abord imprécise ou banale. Elle ne prend forme que peu à peu, à force de volonté, au prix d’un travail acharné. Et l’artiste n’aura de repos que quand il pensera avoir atteint cette perfection formelle poursuivie avec tant d’exigence. Ingres est de ceux-là. » (Daniel Ternois, Ingres et sa méthode, 1967)
Cette présentation, pourtant, d’un Delacroix purement et «génialement» spontanéiste devrait se voir relativisée. C’est en cela que l’exposition dont nous parlons se révèle utile. Elle montre en effet l’importance accordée par Delacroix au motif périphérique pour lui-même, motif dont l’artiste se constituait, en permanence, sur toute sorte de supports, une espèce de catalogue dans lequel il venait puiser afin d’en truffer tel dessein (dessin) général, suivant les occasions de lumière et, à dire vrai, plus profondément : les occasions poétiques offertes par les motifs en question (souvent de simples objets ou ornements usuels). En sorte qu’on se retrouve là devant une batterie préparée de correspondances précisant un sujet rien moins que déjà prêt, et fixé une fois pour toutes dans l’âme de Delacroix, ce qu’une trop rigide opposition à Ingres laisserait à tort supposer. Ingres lui-même, s’il tâtonnait et, dans sa progression, soignait le dessin même du détail, ne procédait de ce point de vue pas différemment, dans l’affinement spirituel de son projet initial. C’est ce processus, complexe et douloureux, que dévoilent les esquisses montrées au Musée de la vie romantique, en lien avec le tableau finalement exécuté lequel, souvent, leur correspond mais pas systématiquement : ce tableau final n’existe pas – ou plus – forcément toujours (témoins la belle Velléda dans la tempête, de Léon Cogniet ou Bacchantes et satyres, de Chassériau). Pour les autres, on mesure avec étonnement, parfois saisissement, le chemin parcouru de l’esquisse à l’œuvre « finale » : des motifs disparaissent, des mains étreignent originellement tel personnage, des poses se désalanguissent progressivement, des manières s’obscurcissent, etc. À ne prendre que le cas du magnifique Médée furieuse (Delacroix, 1838), dans l’esquisse, « la silhouette de Médée nimbée d’une cape bleue se détache sur un décor de bord de mer très lisible. Delacroix donna beaucoup de dynamisme au mouvement de la princesse orientale arrêtée en pleine course. Le buste de Médée n’est pas circonscrit de chaque côté par ses bras, comme dans le tableau final et la jambe avancée est moins allongée. Par rapport à l’esquisse peinte, le tableau de Lille [au palais des Beaux-Arts] équilibre plus subtilement la pyramide sculpturale formée par le groupe, la lumière se concentre sur la blancheur du buste de la magicienne et de ses enfants. » (Catalogue de l’exposition).
Ci-dessous, l'esquisse de Médée furieuse, puis la version définitive.
Une autre esquisse nous ayant fort charmés : Des religieux du Saint-Gothard portent secours à une famille (tableau édifiant s’il en est, commandé à l’artiste Louis Hersent par le très-chrétien Comte d’Artois, futur Charles X) laisse apparaître vis-à-vis de sa version finale quelques différences sensibles : « Le tableau achevé présente plusieurs variantes, ainsi des rochers entraînés par l’avalanche et, plus saisissant encore, le moine tenant fermement la main du père de famille, rendant plus vraisemblable l’issue heureuse du sauvetage. » (Ibid.)
Cette commande du Comte d’Artois nous amène d’ailleurs à une autre réalité ayant conduit, avec les traditions d’enseignement artistique déjà évoquées, au succès de l’esquisse : nous voulons parler ici de ce que l’exposition nomme la « validation par l’esquisse », le fait qu’à chaque commande passée à un artiste pour une oeuvre, celui-ci devait s’acquitter rapidement d’une esquisse (un projet devant d’abord être approuvé par le commanditaire) appelée, après exécution, à dormir ensuite dans les coffres de quelque administration (souvent). La prise en charge étatique, en effet, systématique, sous la Restauration, des décorations d’édifices religieux jusque-là maintenus désaffectés quand ils n’avaient pas été sérieusement vandalisés ou carrément détruits au cours de la période révolutionnaire, entraîna ainsi ce « réflexe » professionnel adéquat de recours à l’esquisse. D’autant que l’esquisse, comme emblème de la bohème artistique romantique, conquiert rapidement le goût bourgeois à partir du moment où celui-ci se voit consciencieusement travaillé par des entrepreneurs aussi opportunistes qu’Achille Ricourt, par exemple, fondateur du journal l’Artiste, qui au début des années 1830 offre systématiquement une lithographie aux souscripteurs réguliers. Or, en 1832, le modèle d’une de ces lithographies n’est autre qu’une esquisse, dont on apprend que le Roi lui-même a fait l’acquisition : Laure et Pétrarque, de Jean Gigoux. Dès lors, la mode est lancée. Séduisant la noblesse, l’inachevé doit intéresser les riches. Le succès de l’esquisse sera durable, notamment pour ces raisons éminemment pratiques dont la délicieuse classe marchande conserve toujours le monopole imparable. Et quand autrefois, par simple intérêt esthétique, les maîtres hantaient les ateliers des confrères, s’offrant réciproquement, comme cadeaux somptueux et gages d’amitié, ces esquisses dont l’urgence d’exécution même les questionnait (et avec elle les différences que ces oeuvres accusaient avec d’autres esquisses, « préparatoires » à la même œuvre hypothétique, mais prises à un stade ultérieur de réalisation, etc), MM. Prudhomme et Homais se ruent désormais sur ce type de production du fait que « par leur format, les esquisses constituent des œuvres facilement reproductibles dans le médium lithographique, qui retranscrit parfaitement la sensation de faire facile qui les caractérise. (…) En l’espace de dix ans, jusqu’à la fin des années 1830, l’esquisse sert tellement de matrice aux lithographies qui inondent le marché que l’Artiste, en 1837, regrette l’utilisation qui a été faite de cette technique pleine de promesses qui s’est vue livrée à la reproduction « d’ouvrages pour la plupart sans valeur, quelquefois de simples esquisses. » La destination populaire des estampes, en particulier des lithographies, a néanmoins assuré une reconnaissance indirecte aux esquisses qui ont imprégné le champ visuel de la décennie. Si l’esquisse fait ici l’objet d’un jugement dépréciatif par rapport aux peintures d’histoire, son ancrage dans la culture de la monarchie de Juillet a forgé un goût pour ce qui devient presque un genre autonome au sein de la hiérarchie. » (Ibid.)
On notera, pour finir sur l’émergence du « genre » nouveau que celle-ci est aussi due à des petits riens qu’on n’eût imaginés : le fait, par exemple, qu’autour des années 1830, tout bourgeois désireux de décorer son intérieur au goût branché du jour, ne serait-ce que le temps d’une soirée où l’on reçoit à domicile – histoire de marier sa fille ou de conclure toute autre affaire commerciale stratégique – pouvait recourir, afin de ne pas se ruiner, à la location d’esquisses, dont moult marchands d’art de la place de Paris s’étaient fait une spécialité (leur stock étant largement constitué d’œuvres laissées en gage par les artistes impécunieux) : « Ces esquisses peuvent se révéler plus lucratives à la location qu’à la vente, selon un système appelé à durer puisque, vers 1860, le marchand Grobon continue de louer des esquisses, à un tarif qui varie entre 12 et 24 francs par mois pour une esquisse de Corot. Les publicités publiées dans la presse pour annoncer les œuvres proposées par chaque marchand témoignent de la place qu’occupe l’esquisse dans ce marché méconnu de la monarchie de Juillet, où les aquarelles côtoient des esquisses ouvertement présentées comme telles (…). Les esquisses introduites par les artistes dans ce nouveau marché se trouvent ainsi livrées à la connaissance d’un public qui, de l’estampe aux expositions jusqu’aux vitrines des magasins de peinture, forge sa perception de l’esthétique romantique en accumulant ces images comme étant le ferment du style d’une époque. » (Ibid)
Et voilà comment on écrit l’histoire.
Mais, nous demanderez-vous alors : en dernière analyse, comment interpréter, au-delà des déterminations économiques, le succès civil de l’esquisse ? Comment le rattacher à une Weltanschauung romantique a priori incompatible avec le productivisme bourgeois ne tolérant rien moins que le sentiment d’inachevé, ce trou fatal dans les comptes de l’âme ayant tôt fait de vous ôter l’appétit et le sommeil ? Comment l’esquisse et son infini seraient-ils, en somme, passés si brusquement sous pavillon ennemi ?
Nous serons brefs.
Disons que
Et voilà comment on écrit l’histoire.
Mais, nous demanderez-vous alors : en dernière analyse, comment interpréter, au-delà des déterminations économiques, le succès civil de l’esquisse ? Comment le rattacher à une Weltanschauung romantique a priori incompatible avec le productivisme bourgeois ne tolérant rien moins que le sentiment d’inachevé, ce trou fatal dans les comptes de l’âme ayant tôt fait de vous ôter l’appétit et le sommeil ? Comment l’esquisse et son infini seraient-ils, en somme, passés si brusquement sous pavillon ennemi ?
Nous serons brefs.
Disons que
Par la mise en ligne de cet article vous nous montrez toute votre perversité, mon cher Moine. En digne émule du Divin Marquis vous nous faites saliver sur une exposition qui va fermer dans quelques heures, nous laissant ainsi sur notre faim, seuls avec notre frustration. Vous êtes pire que ces donzelles qui laissent entrevoir leurs charmes par l'exhibition de leurs dessous affriolants et qui se détournent subitement de leurs adorateurs ainsi émoustillés. On aimerait bien toucher (au moins du regard), mais le moment est passé et on doit se contenter de votre prose. Ah ! Je sens que je vais bientôt décharger !
RépondreSupprimerRetenez-vous, de grâce. Il n'y a pas que le sexe, dans la vie. Faites donc un petit passage à la Manif pour tous, histoire de vous détendre un peu.
RépondreSupprimerMerci mon cher Moine de vos bons conseils: après le petit massage que vous m'avez suggéré j'ai déchargé dans le bénitier. Je peux revenir à votre sainte prose, maintenant.
RépondreSupprimerHeureux de vous voir revenu dans l'orbite du seigneur (dont les voies sont impénétrables).
SupprimerCe commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerNe vous inquiétez pas : Rodin aussi était incapable de filer deux coups de marteau dans du marbre, même inspiré. Il faisait faire ça à d'autres, plus costauds, moins bien payés et aujourd'hui inconnus. On appelle ça la division du travail. Bonne journée.
SupprimerTout cela est bien joli, mais on ne dit pas "esquisse" (**) on dit "qui est-ce".
RépondreSupprimer(**) même en l'écrivant de façon un peu plus logique "est-ce qui-ce".
On ne dira pas non plus le trivial "qui c'est", et on évitera l'allusif "la femme de qui ?" (car on s'expose alors à un retour de manivelle du genre "qu'est-ce que ça peut te f.....".
Bien à vous,
Catherine
Catherine, vous avez fumé la kettemo.
RépondreSupprimerOui et je m'en repens sincèrement,
SupprimerLes esquisses de jeux de mots quand elle sont ratées, elles sont ratées !
Bien à vous,
Catherine