vendredi 24 octobre 2014

Magie des premières fois



« Contrairement à ce qui se passe d'habitude en cette nuit d'initiation, où le trouble absolu de leurs sens et de leurs pensées empêche les adolescents de rien distinguer, je me souviens des moindres faits, des moindres sensations. Jamais je ne fus plus lucide. C'est peut-être ce qui me perdit (...).

Je la pris néanmoins sur mes genoux, j'enlevai son corset, je découvris sa poitrine, dont les pointes, non encore mûrement développées, se roidissaient dans leur poussée de croissance, j'aspirai le parfum d'héliotrope qui s'en exhalait ; mes doigts errèrent, avec de visiteuses pressions, d'abord à l'entour des formes, sur le linge, puis ils s'insinuèrent sous le pantalon, montèrent le long du glissant ferme des cuisses... Mon corps s'échauffait, mes instincts d'animal fonctionnaient, j'étais viril, j'étais brute : mais je m'en apercevais avec un scepticisme qui croissait à mesure que j'approchais du fameux summum ; mon âme était déplorablement étrangère, j'étais plus que jamais dédoublé, mon moi psychologique regardant l'autre faire des saletés et prêt à se moquer de lui.

Enfin nous fûmes au lit.


Elle y mit toute la bonne volonté du monde ; je soupçonne les autres femmes de n'être pas plus chaudes, ni plus extravagantes ; beaucoup aussi ne doivent offrir à leurs amants autant de fraîcheur, de grâce, d'attraits physiques et de fantaisie dans leurs phrases entrecoupées et la modulation de leurs soupirs ; peu ont dû se livrer avec une ferveur si abandonnée... Hélas ! je suis obligé d'employer ces mots, indicatifs de délices, car alors quand pourraient-ils s'employer ? - D'autres peut-être, mieux disposés à se contenter de ce que le monde octroie, en eussent ajouté de plus émerveillants, eussent déchaîné tout le vocabulaire menteur de la poésie. - Malgré ces mots, je le vois bien, je m'en forgeais une idée encore trop belle, malgré mes prudences ; je ne pensais pas qu'ils correspondissent à de si piètres sensations, ni à de si ridicules réalités. Ce fut une tromperie, un vol, l'assassinat d'une espérance (...)

Je ne m'arrêterai pas que je n'aie tout dit.


Ce frottement d'une chair contre une autre, arrivé à ce degré où l'on tient l'objet du désir, naturel, matériel, sous soi, en soi, sans plus aucun reste à l'imagination, puisque la viande réelle, indéguisée s'écrase contre les bras, ce frottement est un supplice, le supplice de vouloir plus, on ne sait quoi, d'aller au-delà, quand il n'y a rien, de s'aplatir contre le but, lorsque l'élan est immense et calculée pour le dépasser infiniment. Je me heurtais à cette navrante certitude : j'ai épuisé la coupe et ma soif absorberait l'océan. Et tandis que mes membres, bandés à casser, s'épuisaient à ambitionner l'absolu, je vagissais désespérément en moi-même : « Ce n'est pas ça ! Ce n'est pas ça ! »

Oh ! l'horrible cauchemar !

Il y eut un terme aux efforts, il y eut l'instant où, les nerfs détendus par l'excès même de la folie, j'échappai au lit et et - comme Rolla - allai songeur m'accouder à la fenêtre. Comme Rolla ! ce souvenir me parut grotesque. Aurais-je choisi pour y mourir la couche de Marion ? Pas la peine assurément. Et je souris de ce pauvre romantique qui avait voulu quitter le monde sur une si misérable impression.


Or, la petite, en un nouveau spasme, m'exigeait, des pleurs dans la voix. Il m'eût plu de l'abandonner comme un paquet inerte, mais comme ce paquet pleurait, malgré la répulsion que m'inspirait alors cet acte dégoûtant, par pitié, froidement, ainsi qu'on accomplit un nauséabond labeur, je l'éventrai de nouveau.

Quand la peau harassée, elle fut assoupie, je m'enfuis.

Telle fut cette nuit, que je compare à un parterre de fleurs en un jardin : de loin, les roses semblent adorables ; on approche, beaucoup sont fanées, souillées, il en est de rongées, peu de pétales sont exempts de poussières ; on écarte les tiges, et l'on découvre que le fond d'où elles naissent n'est qu'un hideux mélange de terre et de fumier.

Ah ! l'amour. »

(Le dépucelage d'Albert, in Albert de Louis Dumur)


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