mardi 9 juin 2020

Entre terreur et désir : l'Homme au sable (Freud dialecticien)


«Ce qui est au centre du conte [L'Homme au sable, de Hoffmann] est (...) le même thème ayant donné au conte son titre, thème qui est toujours repris aux endroits décisifs : c'est celui de l'Homme au sable qui arrache leurs yeux aux enfants. L'étudiant Nathanaël, dont les souvenirs d'enfance forment le début du conte fantastique, ne peut pas, malgré son bonheur présent, bannir les souvenirs qui se rattachent pour lui à la mort mystérieuse et terrifiante de son père bien-aimé. Certains soirs, sa mère avait l'habitude d'envoyer les enfants au lit de bonne heure en leur disant : l'Homme au sable va venir (...). La mère, interrogée sur cet Homme au sable, démentit que celui-ci existât autrement qu'en une locution courante, mais une bonne d'enfant sut donner des renseignements plus précis : "C'est un méchant homme qui vient chez les enfants qui ne veulent pas aller au lit, jette des poignées de sable dans leurs yeux, ce qui fait sauter ceux-ci tout sanglants hors de la tête. Alors il jette ces yeux dans un sac et les porte dans la lune en pâture à ses petits qui sont dans le nid avec des becs crochus comme ceux des hiboux, lesquels leurs servent à piquer les yeux des enfants des hommes qui n'ont pas été sages."

(...) 

L'observation psychanalytique nous l'apprend : se blesser les yeux ou perdre la vue est une terrible peur infantile. Cette peur a persisté chez beaucoup d'adultes qui ne craignent aucune autre lésion organique autant que celle de l’œil. N'a-t-on pas aussi coutume de dire qu'on couve une chose comme la prunelle de ses yeux ? L'étude des rêves, des fantasmes et des mythes nous a encore appris que la crainte pour les yeux, la peur de devenir aveugle, est un substitut fréquent de la peur de la castration. Le châtiment que s'inflige Oedipe, le criminel mythique, quand il s'aveugle lui-même, n'est qu'une atténuation de la castration laquelle, d'après la loi du talion, seule serait à la mesure de son crime. On peut certes tenter, du point de vue rationnel, de nier que la crainte pour les yeux se ramène à la peur de la castration ; on trouvera compréhensible qu'un organe aussi précieux que l'œil soit gardé par une crainte anxieuse de valeur égale, oui, on peut même affirmer, en outre, que ne se cache aucun secret plus profond, aucune autre signification derrière la peur de la castration elle-même. Mais on ne rend ainsi pas compte du rapport substitutif qui se manifeste dans les rêves, les fantasmes et les mythes, entre les yeux et le membre viril, et on ne peut s'empêcher de voir qu'un sentiment particulièrement fort et obscur s'élève justement contre la menace de perdre le membre sexuel et que c'est ce sentiment qui continue à résonner dans la représentation que nous nous faisons ensuite de la perte d'autres organes.

(...)

Dans L'Homme au sable se rencontre encore le thème de la poupée animée que Jentsch a relevé. D'après cet auteur, c'est une circonstance particulièrement favorable à la création de sentiments d'inquiétante étrangeté qu'une incertitude intellectuelle relative au fait qu'une chose soit animée ou non, ou bien lorsqu'un objet privé de vie prend l'apparence trop marquée de la vie. Bien entendu, avec les poupées, nous voilà assez près de l'infantile. Nous nous rappellerons qu'en général l'enfant, au premier âge des jeux, ne trace pas une ligne bien nette entre une chose vivante ou un objet inanimé et qu'il traite volontiers sa poupée comme un être vivant. Il arrive qu'on entende une patiente raconter qu'âgée de huit ans déjà, elle était convaincue encore qu'en regardant ses poupées d'une manière particulièrement pénétrante celles-ci allaient devenir vivantes. Ainsi, le facteur infantile est ici encore facile à déceler, mais, chose étrange, si, dans le cas de l'homme au sable, il s'agissait du réveil d'une ancienne peur infantile avec la poupée vivante, il n'est plus ici question de peur :  l'enfant n'avait pas peur à l'idée de voir vivre sa poupée, peut-être même le désirait-elle. La source du sentiment de l'inquiétante étrangeté ne proviendrait pas ici d'une peur infantile, mais d'un désir infantile, ou, plus simplement encore, d'une croyance infantile. Voilà qui semble contradictoire...»

(Sigmund Freud, L'inquiétante étrangeté, 1919)


3 commentaires:

  1. Où l'on voit, pétri de désir, die andere Puppe, le terrible Bakouninorak s'exhumer du désert des Biopolitic Man que Jeunemarxator terrifie, juché sur un pont et armé de sa queue subjectiviste.

    " Ha Ha Ha Ha ! Die Lust der Zerstörung ist zugleich eine schaffende Lust" als Jules Elysard (dernière phrase) dans cette rugueuse publication d'octobre 1842.

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    1. Superman avait Clark Kent. L'avatar mainstream de Bakouninorak, c'était le "Docteur Schwartz" (le Dr Schwartz prescrivait-il déjà de l'hydroxycommunisme à ses patients ? Mystère), très lié à Richard Wagner, surtout au moment de l'insurrection de Dresde autour de 1848. Un peu auparavant, lors de l'exécution d'une Symphonie de Beethoven par Wagner, son photo le Dr Schwartz se serait approché, enthousiaste en hurlant qu'il fallait tout brûler dans l'univers intergalactique sauf ça, sauf cette oeuvre-là. Et Wagner se serait toute sa vie souvenu avec affection de lui (l'immortalisant, dans sa Tétralogie, sous l'autre avatar du Feu : le personnage de Loge. Comme le dit Bachelard, dans sa Psychanalyse du même nom, le Feu est l'élément le plus dialectisé. Il chauffe, réchauffe (désir) et crame (détruit, et effraie). Sacré Bakouninorak ! Il vous réduira tous en cendres, misérables vermisseaux capitalistes : ouahahaahouahaha !!!

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