lundi 11 mai 2020

Déconfinement, mon cul !


«La campagne pour la "deuxième phase de la révolution agraire" mobilisa les jeunes et les étudiants dans les "chantiers du Volontariat", que le pouvoir, dans un de ses tours de passe-passe, avait confié de la main gauche aux partis groupusculaires marxistes et trotskistes qu'il interdisait de la main droite. Qu'importait, pourvu qu'il y eût l'ivresse. Les chantiers du Volontariat furent le creuset de beaucoup d'espoir. Pour plus d'une étudiante, c'était l'occasion de découcher et d'échapper au contrôle des hommes de la famille sur leur vie sexuelle, un droit que la révolution socialiste n'avait pas remis en question. Quand nous rentrions à la maison après les meetings pour la libération des peuples opprimés, nous, le peuple des femmes, retrouvions nos oppresseurs familiers et bien-aimés, nos pères, nos frères et, le matin, à l'université et au bureau, nos oppresseurs patentés, les petits fonctionnaires socialistes tristes et moralistes qui tenaient les affaires courantes du pays. Les chambres des filles à la Cité universitaire étaient strictement interdites aux garçons. La tribu archaïque s'enfonçait dans sa nuit derrière un écran de mots, une lente dérive, mais la révolution agraire allait balayer tout et libérer les femmes. Hier par la guerre de libération, maintenant par la révolution agraire, nous (les femmes) forgions nos discours à la pointe du sacrifice et de la bonne conduite. Nous étions à fond dans la campagne, oubliant l'ambiguïté du pouvoir à notre égard. Nous espérions y trouver l'occasion de faire entendre nos revendications. Cela faisait dix ans que nous attendions de voir reconnaître nos droits ; nous touchions au but. La "deuxième phase" donnait du grain à moudre à nos idées utopiques. La liberté balbutiante des corps et des esprits était bien là. Petit poisson deviendra grand pourvu que Dieu lui prête vie. C'était le cas de le dire.»

(Wassyla Tamzali, Une éducation algérienne)

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