mardi 10 juillet 2018

L'appel de la lune


Il faudra beaucoup, beaucoup plus que les tortillements embarrassés d'une Rokhaya Diallo (face aux faits d'esclavage en Lybie, de chasse aux Noirs ou de déportations massives aux frontières de migrants subsahariens par les autorités militaires algériennes) ; beaucoup plus que les sophismes ordinaires balourds d'un Norman Ajari, philosophe officiel du PIR, sur la question de la « négrophobie arabe », pour dépatouiller nos misérables racialistes contemporainEs de contradictions que seuls les communistes peuvent poser dans leur vérité, sans parler encore de les résoudre. Ces contradictions se ramènent, en définitive, à une contradiction fondamentale, absolument non-négociable : une contradiction endogène de classe. Celle-ci se trouve masquée, et refoulée au bénéfice des propriétaires de chaque société : les dominés ne l'aperçoivent qu'à force de conscience (arrachée aux propriétaires) quant à leur propre situation économique, symbolique, psychique. Raison pourquoi l'acquisition d'une telle conscience de classe est aussi, chez chacun, tributaire d'une psychologie de masse indexée sur l'histoire politique diverse des sociétés. Quoique inaperçu, quoique idéologiquement dissimulé sous l'identité fausse que promeuvent tous les discours nationalistes, l'adversaire principal est ainsi, comme disait jadis quelqu'un, toujours d'abord dans notre propre pays. Dans notre propre pays, chez nous, en nous, et souvent par principe au plus profond de nous-mêmes. La chose est valable pour «les Blancs», «les Noirs», «les Arabes», etc, si ces termes génériques-là peuvent encore avoir un sens (provisoire) : pas d'émancipation véritable sans autocritique véritable, au sens d'une estimation libre de tout ce qui, en nous et pas chez l'autre, constitue l'obstacle principal à toute perspective d'affranchissement réel. Ce processus autocritique a pour nom vérité. Et que tu l'acceptes ou pas, elle a du plomb dans l'aile, ta « blanchité » transcendantale, connardSSE d'universitaire raciste.

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Interview de Tidiane N'Diaye, Le Monde, 18-05-17 :

« Économiste franco-sénégalais qui a fait carrière à l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) et anthropologue, Tidiane N’Diaye signe chez Gallimard son premier roman. L’Appel de la lune revient sur la construction dans le sang du royaume zoulou puis de la nation sud-africaine. A l’origine une tribu majeure du groupe Ngumi, fondé vers 1709 par Zulu kaNtombhela, le royaume zoulou a connu son apogée durant le règne de Chaka, devenu l’une des grandes figures épiques de l’Afrique précoloniale. Chaka « réussit à battre, à intégrer ou à écraser sans pitié nombre de miniroyaumes qui évoluaient dans une anarchie indescriptible ». C’est aussi un roman sur la diversité de la population européenne qui colonisa ces terres prometteuses. Une histoire narrée non sans une certaine poésie et sur fond d’amours interdites entre une jeune femme zoulou, Isiban, et un huguenot français, Marc Jaubert. Union que seuls soutiennent les grands-pères, l’imbogi Oumsélé, le récitant, gardien de la mémoire, et Georges Jaubert. (...)

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Le Monde : L’Afrique du Sud a-t-elle dépassé la question raciale ?

Tidiane N'Diaye : Aujourd’hui, en Afrique du Sud, le problème n’est pas racial, mais socio-économique. Il y a une mauvaise répartition des richesses : une minorité blanche et noire détient tous les pouvoirs économiques et sociaux et, en face, la grande majorité – noire en général – est celle des laissés-pour-compte.

LM : Il y a déjà eu des romans historiques sur le peuplement de l’Afrique du Sud, comme « Un arc-en-ciel dans la nuit », de Dominique Lapierre. Mais rarement présentés d’un point de vue africain. Comment avez-vous travaillé ?

TN : Dominique Lapierre a écrit son ouvrage avec l’approche d’un Européen. Moi, j’ai tenu à présenter comment vivaient les Zoulou, mais aussi les Européens dans cette région au XIXe siècle. J’ai fait trois séjours en Afrique du Sud pour consulter les archives à Pretoria et, grâce à une amie, la sœur de Steve Biko [figure de la lutte contre l’apartheid], les textes conservés dans des bibliothèques du Zoulouland des imbogi qui ont retranscrit et traduit la mémoire zoulou entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle. J’ai aussi consulté les écrits de Sol Plaatje. Cet historien sud-africain, formé en Angleterre et aux Etats-Unis, contestait la présence anglaise dans son pays et a couché sur le papier la mémoire de son peuple.

LM : Dans « Le Génocide voilé », vous expliquez que la traite arabo-musulmane est sans commune mesure avec la transatlantique.

TN : Oui. Et je ne parle de génocide que pour qualifier la traite transsaharienne et orientale. La traite transatlantique, pratiquée par les Occidentaux, ne peut pas être comparée à un génocide. La volonté d’exterminer un peuple n’a pas été prouvée. Parce qu’un esclave, même dans les conditions extrêmement épouvantables, avait une valeur vénale pour son propriétaire qui le voulait productif et sans doute dans la longévité. Pour 9 à 11 millions de déportés lors de cette traite, il y a aujourd’hui 70 millions de descendants. La traite arabo-musulmane, elle, a déporté 17 millions de personnes qui n’ont eu que 1 million de descendants à cause de la castration massive pratiquée pendant près de quatorze siècles.

LM : La castration était-elle systématique ?

TN : La castration totale, celle des eunuques, était une opération extrêmement dangereuse. Réalisée sur des adultes, elle tuait entre 75 % et 80 % des patients. Le taux de mortalité était plus faible chez les enfants que l’on castrait systématiquement. Entre 30 % et 40 % des enfants ne survivaient pas à la castration totale. Il existe une autre castration, celle où on n’enlève que les testicules. Dans ce cas, l’individu conservait une certaine force et de la résistance. Raison pour laquelle on en a fait des combattants utilisés dans les armées des sultans. Aujourd’hui, la grande majorité des descendants des captifs africains sont en fait des métis, nés des femmes déportées dans les harems. À peine 20 % sont noirs.

LM : Vous expliquez que presque toutes les civilisations ont pratiqué l’esclavage. À quand remonte cette pratique sur le continent africain ?

TN : C’est l’Empire romain qui a le plus pratiqué l’esclavage. On estime qu’à un moment, près de 30 % de la population de l’empire était mise en esclavage. Quant à l’Afrique, il faut préciser que tant que la propriété privée n’existait pas, les gens fonctionnaient en coopérative : ils mettaient en commun leurs biens, leurs terres pour les exploiter. Au fur et à mesure que la propriété privée s’est étendue, il a fallu de plus en plus de bras pour travailler. C’est à ce moment-là que les conflits ont commencé et se sont amplifiés. Les vaincus étaient alors réduits en esclavage. On estime que, au XIXe siècle, 14 millions d’Africains étaient réduits en esclavage. L’esclavage interne a existé avant et pendant les traites arabo-musulmane et transatlantique.

LM : Comment expliquer que la traite arabo-musulmane durera encore un siècle après la fin de la traite transatlantique ?

TN : Parce que les Anglais n’ont pas joué le jeu et ont laissé faire pour éviter qu’on ne leur coupe la route des Indes. Il y a toujours eu une stratégie politique et des enjeux économiques derrière cela. La culture du clou de girofle, par exemple, était très rentable et profitait à certaines sociétés anglaises. Or elle reposait sur l’exploitation des esclaves africains, en particulier pour le comptoir de Zanzibar. La France abolit l’esclavage en Tunisie, au Maroc, où le dernier marché aux esclaves a été fermé en 1820. Mais cela a continué par le Sahara parce qu’on ne peut pas surveiller les frontières. Les soldats français avaient autre chose à faire et cela a aussi pu se poursuivre, comme en Mauritanie, parce qu’il y avait des complicités africaines.

LM : Du fait de ce passé, le panafricanisme a-t-il jamais eu la moindre chance de se réaliser ?

TN : C’est une utopie ! Dans l’inconscient des Maghrébins, cette histoire a laissé tellement de traces que, pour eux, un « Nègre » reste un esclave. Ils ne peuvent pas concevoir de Noirs chez eux. Regardons ce qui se passe en Mauritanie ou au Mali, où les Touareg du Nord n’accepteront jamais un pouvoir noir. Les descendants des bourreaux comme ceux des victimes sont devenus solidaires pour des raisons religieuses.

LM : Vous faites le lien entre ce passé et les événements au Darfour, en Mauritanie ou en Libye. Vous constatez que la route transsaharienne de l’esclavage est aujourd’hui celle de l’émigration clandestine…

TN : Tout à fait. On retrouve des marchés d’esclaves en Libye ! Seul le débat permettrait de dépasser cette situation-là. En France, pendant la traite et l’esclavage, il y a eu des philosophes des Lumières, comme l’abbé Grégoire ou même Montesquieu, qui ont pris la défense des Noirs alors que, dans le monde arabo-musulman, les intellectuels les plus respectés, comme Ibn Khaldoun, étaient aussi des plus obscurantistes et affirmaient que les Nègres étaient des animaux. Aucun intellectuel du Maghreb n’a élevé la voix pour défendre la cause des Noirs. C’est pour cette raison que ce génocide a pu prendre une telle ampleur et que ça continue. Au Liban, en Syrie, en Arabie saoudite, les domestiques africains vivent dans des conditions d’esclavage. La fracture raciale est réelle en Afrique.

LM : À la lecture du « Jaune et le Noir », on découvre que les Chinois, qui prétendent n’avoir aucun contentieux avec l’Afrique, ont bel et bien pratiqué l’esclavage…

TN : Les Chinois ont une façon très subtile de passer sous silence leur implication avérée dans les tragédies des peuples noirs. Une inscription trouvée à Java et datée de 860 après J.-C., identifie sur une liste de domestiques des Zendj, originaires d’Afrique orientale vendus en Chine. Une autre mentionne des esclaves noirs offerts par un roi javanais à la cour impériale de Chine. Les Javanais avaient envoyé plus de 30 000 esclaves noirs à la dynastie des Ming. Un ouvrage écrit en 1178 par Tcheou Kin-Fei, Lingwai-Taita, indique que des milliers de Noirs provenant de K’ounLoun (l’île de Pemba, dans l’archipel de Zanzibar, et Madagascar) étaient vendus comme esclaves en Chine. On les appelait notamment he-hiao-seu («serviteurs noirs»), ye-jen («sauvages») ou encore kouinou («esclaves ressemblant à des démons»). Ce ne sont là que quelques exemples. Les Occidentaux n’ont pas été les seuls acteurs ou bénéficiaires de la traite et de l’esclavage des Noirs. »

(Propos recueillis par Séverine Kodjo-Grandvaux (contributrice Le Monde Afrique, Douala)

2 commentaires:

  1. Question du jour posée à N. Ajari et aux fellow indigènes : le CRS maghrébin qui a buté le jeune homme noir à Nantes c'est un "blanc" contrarié, un "racisé" aussi victime du racisme structurel "blanc" ?
    Ou juste un flic qu'a choisi de faire ce qu'il fait ?

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    1. L'essentiel, comme le rappelle le très macronien indigéniste Yassine Bellatar (qui assure ici le service après vente pour M. Collomb), c'est que "Jeunes et police doivent se parler " :

      https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/nantes-44000/yassine-belattar-nantes-jeunes-et-police-doivent-se-parler-5873914

      La paix sociale, y a que ça de vrai.

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