lundi 21 juillet 2014

Dedans-dehors

Jour de kermesse à l’hôpital de Picauville (date et photographe inconnus). 
Image tirée des Archives de la Fondation Bon-Sauveur, et du livre L'Asile des photographies (signé Philippe Artières et Mathieu Pernot, aux Éditions Point du Jour). L'exposition du même nom s'est tenue à Paris de Février à Mai 2014.

              

« Comme il avait toujours été très attentif à tous les termes qu'on employait à son propos, il savait que cela s'appelle des hallucinations, et il admettait volontiers qu'il possédait là un avantage sur ceux qui ne peuvent en avoir ; il voyait en effet beaucoup de choses que les autres ne voient pas, d'admirables paysages, des créatures de l'enfer, mais il trouvait très exagéré l'importance qu'on accordait à cette faculté, et quand le séjour dans les asiles commençait à lui peser, il prétendait sans plus qu'il s'agissait de simples vertiges. Les «savants» lui demandaient de quelle intensité étaient les bruits qu'il entendait ; cette question n'avait pas grand sens ; c'était, naturellement, tantôt aussi fort qu'un coup de tonnerre, tantôt plus léger qu'un murmure. De même, les souffrances qui le tourmentaient de loin en loin pouvaient être intolérables ou bénignes comme un songe. Là n'était pas l'essentiel. Il eût été souvent dans l'incapacité de décrire ce qu'il voyait, entendait ou flairait ; il n'en savait pas moins ce que c'était. C'était quelquefois extrêmement confus ; les visions venaient du dehors, mais une lueur d'observation lui disait en même temps qu'elles n'en venaient pas moins de lui-même. L'important était qu'il n'est pas important qu'une chose soit dedans ou dehors ; dans son état, il n'y avait plus qu'une eau claire des deux côtés d'une cloison de verre transparente. »

(Robert Musil, L'homme sans qualités)

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