jeudi 14 novembre 2013

Désirs et volupté dans tes rêves.


Pour ceux que mortifie l’idée de ne pas avoir encore visité l’exposition intitulée Désirs et volupté à l’époque victorienne, au Musée Jacquemart-André (jusqu’au 20 janvier 2013), nous avons une bonne nouvelle : vous pouvez rengainer vos onze euros. Le Moine bleu, qui voit tout, est allé la voir pour vous, et ladite exposition ne vaut pas tripette. Il vous sera donc possible, si vous y tenez absolument, de réinjecter prochainement la somme économisée dans l’engraissement de Fabrice Luchini, qui sapprête (ô divine originalité !) à très bientôt lire du Louis-Ferdinand Céline, afin de s’acquitter de ses impôts auprès de l’implacable dictature socialo-métèque nous gouvernant sans égard (ainsi que leût noté le bon docteur Destouches dans une lettre à Minute). Précisons, avant de clore ce chapitre, que la performance feutrée de l’ex-garçon-coiffeur rohmérien, quelque visqueuse qu’elle soit, ne pourra de toute façon égaler en nullité lultime exécution en date (c’est bien le mot) du Voyage par Jean-François Balmer au Théâtre de l’Oeuvre, distant d’environ cent mètres du - lui - fort recommandable Café Wepler de la Place de Clichy. La douzaine d’huîtres, tellement plus savoureuse, y coûte peu ou prou le prix d’un billet d’entrée au théâtre de lOeuvre, sans compter que, suivant la formule célinienne consacrée, on se trouve là sur les lieux précis où cela « avait débuté comme ça. »
Bref. Revenons, si vous le voulez bien, à nos « voluptés victoriennes » du huitième arrondissement de Paris. 
Avec un titre pareil, vous comprendrez aisément que nous nous imaginions des choses. Nous verrions, pensions-nous, du Aubrey Beardsley, avec des queues et des seins portés, dans la même élégance indolente, par des cohortes d’hermaphrodites offusqués, pour l’occasion, de loups salaces (pas le canidé, le masque). On nous expliquerait, on nous rappellerait, on nous circonstancierait longuement, pédagogiquement, le cas Oscar Wilde, à nous pour qui la chose est entendue (les gauchistes de chez M. Hazan, les réactionnaires et autres indigènes de gnagnagna nous le serinant assez sur tous les tons, à longueur quotidienne de pamphlets « antiféministes blanches ») : les gouines et pédés, aujourd’hui, dominent le monde, disposent de tous les droits, forment un lobby impérialiste des plus puissants et scandaleux de l’Univers, imposent leurs vues ignoblement ethnocentriques (quoique parfois sévèrement burnées) aux dominé(e)s du tiers-monde, ici et ailleurs, etc. En clair, on nous instruirait de comment que c’était dur avant, pour les tafioles. Mais l’on nous ferait, aussi, nous esclaffer au souvenir du jeu de mots rigolo de notre cher Edward Burne-Jones, pour qui les initiales (PRB) de la « Fraternité Pré-Raphaélite » qu’il fonda avec ses potes au mitan du dix-neuvième siècle (soit en anglais : Pre-Raphaelite Brotherhood), renvoyaient surtout à l’expression éloquente : Penis Rather Big (« Quéquette plutôt maousse »). En sorte que les géniaux et subtils commissaires d’exposition du Musée Braquemart-l’Entré nous renseigneraient sur les diverses stratégies de contournement - et de pénétration - employées jadis par nos vicieux cousins britanniques, dans le but de tromper la terrible censure sexuelle d’une époque maudite, qui allait jusqu’à recouvrir, rappelons-le tout de même, d’un voile pudique les pieds des tables de salle à manger, afin que l’idée phallique évitât de venir perturber la fragile conscience des jeunes filles (sans parler des jeunes garçons, qu’ils fussent ou non pré-raphaélites). 
Las ! Lectrices, Lecter, Hannibal, il nous fallut prestement reconnaître notre erreur d’appréciation. Le titre original de cette manifestation artistique eût plutôt dû approcher quelque chose du genre : L’époque victorienne, apologie d’une conception esthético-amoureuse, ou : Tribulat Bonhomet en Angleterre, such a cool stuff ! voire même, pourquoi pas : Splendeurs de la morale bourgeoise d’avant-garde… 
Toujours est-il que nous nous ennuyâmes dans l’ensemble bigrement, à défiler ainsi entre une dizaine de pauvres salles regorgeant, en revanche, des hurlements d’admiration du public ordinaire du Musée Croquemort-Madré, et pour cause. L’argument, comme on disait naguère au théâtre ou à l’opéra, repose sur cette pure vue de l’esprit : l’époque victorienne aurait généré sa propre esthétique nous parlant encore aujourd’hui, car tissée d’onirisme à visée antique, ou médiévale, visant à sublimer la Femme. Quelle femme ? nous demanderez-vous. Voyons ! Mais la femme éthérée, bien sûr, la femme fatale. La femme décorative, spirituelle et mystérieuse. En un mot : la femme d’intérieur
Il est bien évident que pour défendre la beauté intrinsèque de la société bourgeoise, il conviendrait de se lever de bonne heure, longtemps (tel un Proust inversé). Pour vanter tout le « charme » valéryste d’un vendeur de papier-cul ou d’acier galvanisé (le cas douloureux du papier cul d’acier galvanisé sera évoqué dans un prochain billet), l’imagination de Schéhérazade elle-même se verrait obligée de rapidement déclarer forfait. Notre exposition accorde donc, contrainte et forcée, qu’une volonté (inoffensive) « d’évasion » hors des réalités économiques prosaïques anglaises fut sans doute ici agissante. Découverte  fameuse ! mais ne s’étendant pas, rassurez-vous, dans la foulée, sur les laideurs ignoblement précises du monde moderne en question, ni sur son grand secret plus-valuesque industriel, encore moins sur la répression de l’imaginaire dont ce monde procèderait éventuellement à tous niveaux, particulièrement au plan sexuel. 
De même qu’on réalise aujourd’hui des films laissant accroire, sur fond d’insupportable brit-pop translucide, que Marie-Antoinette ne fut en réalité qu’une espèce de bolosse lou doillonesque abandonnée à la merci des mains calleuses, rouges de rage et de sang, de la populace parisienne, que Pete Doherty (alias « yeux de bœufs ») interprète, en compagnie de la demi-sœur Doillon (encore une) les héros torturés, mais tellement hype ! d’Alfred de Musset, tandis que l’inusable Stéphane Bern nous conte tous les deux jours, à la télévision, la tragique et émouvante saga du gentil Romanov et de sa famille en bout de course, de même, donc, cette époque « victorienne », monarchiste, impériale, ruisselante d’argent décomplexé, et où l’on savait traiter comme ils le méritent les syndicalistes, les anarchistes, Indiens et autres nègres (mais, attention ! dans le cosmopolitisme européen le plus idéal, le plus fashion qui soit : demandez donc à MM. Thierry Ardisson et Lorant Deutsch qu’ils vous racontent toute l’affaire) se trouve, au Musée Tocard-Lettré, discrètement célébrée par une bourgeoisie nostalgique, que nous qualifierons sobrement, pour notre part, de vermine puante. 

Andromède
Sur dix salles, et quelque cinquante œuvres visibles, seule la salle numéro sept, pourvue de sa thématique aguicheuse dite La volupté du nu, présente en vérité un intérêt notable. Celui-ci tient à quatre tableaux admirables qu’elle accueille à notre grande excitation. Une Andromède, d’abord, de sir Edgar J. Poynter, rousse, pâmée, les yeux clos, en souffrance ou jouissance, livrée aux éléments et à l’angoisse, survolée de loin en loin par de sombres corbeaux aux plumes métallifères. Puis une autre rousse, diabolique, la nymphe de la rivière Dargle : Grenaia, de Lord Leighton. Ce dernier s’est là inspiré de sa dernière muse, une chipie nommée Dorothy Dene. Notons, si vous le voulez bien (et dans le cas contraire également) la référence à Ingres quant au lissage du trait et au velouté de l’ensemble, ainsi que la chute d’eau suscitant autour de la nymphe, sur son côté gauche, l’amorce troublante d’une aile duveteuse, comme si Carlos Schwabe et sa Mort du fossoyeur s’étaient ici invités en douce. La pose, l’attitude, la moue de Grenaia sont incontestablement, oui ! voluptueuses et titillantes. Nous n’en dirons pas autant de tout le reste, nous étonnant d’ailleurs au passage que cette œuvre précise, tellement peu représentative, ait été choisie comme enseigne, par les commissaires d’exposition, afin d’allécher le chaland. Outre le fait qu’il n’y a aucune contrepèterie à relever dans cette dernière phrase, précisons immédiatement que nous ne nous étonnons, en réalité, de rien : nous ne sommes pas si stupides, ce serait fort mal nous connaître, nous qui avons eu de bonnes notes au bac littéraire, voilà quelques années. Rien d’étonnant, non. Les tenanciers du Musée Trouillard-l’Abbé sont of course ! à l’image parfaite, en tant qu’escrocs vulgaires, de cette prétendue « beauté victorienne » qu’ils ont la charge de te fourguer durant encore quelques semaines, ô public abusé. Mais tiens ! voilà un pastel : une Vénus Verticordia, de Dante Rossetti, stricte jumelle de l’huile sur toile conservé au Musée de Bournemouth, et elle aussi fort appréciable dans cette maudite salle numéro 7. La Vénus est loin d’égaler en beauté, du même artiste, l’Astarté Syriaca, par exemple, mais ne boudons pas notre plaisir, tant le plaisir demeure, dans le coin, rare. Jane Burden, l’ex-compagne de William Morris (dont le socialisme révolutionnaire utopique n’est pas mentionné ici : sans doute un oubli malheureux), et devenue le grand amour de Rossetti après le décès tragique (suicide au laudanum) d’Elizabeth Siddal, lui prête une fois de plus son visage, au regard pénétrant et au menton massif, androgyne, évoquant celui de certaines héroïnes de Khnoppf (sa sœur, en particulier). Une sanguine, orgasmique et mortuaire, de Simeon Solomon, Le sommeil, retient aussi notre attention. Elle rappelle une autre célèbre sanguine sur papier : cette Étude de femmes réalisée par Khnopff en 1887, à ceci près que chez ce dernier, une femme aux yeux surlignés et au regard autant farouche qu’halluciné y embrasse une autre, son reflet, peut-être, ou son double, lequel se trouve seul alors en situation d’orgasme, les yeux clos. 
Le chant du printemps de John Waterhouse, quant à lui, est charmant, mais que l’on songe, en termes d’étrangeté, à ce que Karel Masek (Le printemps), Arthur Hughes (Amour d’avril), Waterhouse lui-même (Ophélia) et tant d’autres ont pu réaliser de meilleur sur des thèmes approchants. Le dessin, très souvent, est beau, mais vain. L’esthète officiel « exotisant » de l’ère victorienne, dignement représenté céans : Lawrence Alma-Tadema, en est une parfaite illustration. L’évocation, dans ses hellénismes irréprochables, fait gravement défaut. Le regard des femmes y est vide. Et celui des hommes, donc ! Les roses d’Héliogabale ont beau, en remplacement de violettes, recouvrir, nous dit-on, jusqu’à l’étouffement, les participants d’un banquet orgiaque, quelle inexpressivité, quelle neutralité stupéfiante de chef de PME  innovante baignent ces yeux pourtant destinés à bientôt s’éteindre, et qui devraient donc plutôt tressaillir des mille reflets, alternés ou combinés, de la terreur et de la jouissance. Imaginez ce qu’un autre grand bourgeois, traître à sa classe, lui, Félicien Rops, faisait de semblables sujets. La mer enchantée, de Henry A. Payne, nourrirait-elle l’ambition de nous plonger dans quelque épouvantable et fantastique Nef des fous ? Ce que nous observons là d’un œil sec, et au mieux nauséeux, consiste en la figuration fort ordinairement laide d’un marigot saturé de cadavres, avec, trônant à sa surface, une rescapée du Titanic, cela va de soi, plutôt que d’un esquif dérivant au large de Lampedusa. Tu parles que le public local se retrouve en elle, du coup ! et dans ces manières de mijaurée de première classe, sub-claquante. Mais le pompon reste cet incroyable Un nuage passe, d’Arthur Hugues, mettant en scène  la trentenaire dépressive de rigueur, accoudée à sa cheminée de marbre, un chien de race jappant à ses pieds, qu’on devine outrancier (le chien). Est-ce l’intériorité, cela ? En un sens bien précis, oui (voir plus haut : la femme d’intérieur). Une Lady Chatterley quelconque, s’emmerdant simplement chez elle en attendant que son patron de mari rentre (d’avoir maté à coups de pétoire le dernier conflit minier), se rattachant à l’unique espoir du passage providentiel de quelque garde-chasse de proximité. Ce serait, ainsi, cela, « le culte de la beauté » ? (nom donné à la salle où ledit Nuage passe est exposé). Le Figaro dit que oui. Et puis Le Parisien aussi, entre autres sponsors mirifiques dont le blaze trône, royal, à l’entrée. Voilà qui en eût prévenu d’autres. Pas nous, hélas ! Bien naïfs que nous sommes. Le culte du beau. Dans tes rêves, oui. Foutaises. Et nous voilà dehors, à l’air libre. Un nuage passe. Passe encore. Pour l’ange, en revanche, on l’attend toujours. Il faut dire que l’ange qui se respecte, Satan l’habite.


 

6 commentaires:

  1. Un certain jour de novembre où fut rallumée la flamme du soldat inconnu, Lilith, plus encline à la volupté qu'à raviver en sa mémoire le triste sort de ces poilus pouilleux, a commis la même erreur que vous, Très Cher Moine, et se laissant abuser par une accroche trompeuse, s'est fourvoyée dans l'hôtel particulier de feu Braquemard-Cendré. Le même ennui la transperça, celui qui nait devant les peintres se vautrant dans la pudibonde confusion entre le nu et le déshabillé. Point de désir dans les yeux de poisson mort de ces femmes offertes aux mornes phantasmes masculins de la bourgeoisie victorienne et, comme vous le faites si bien remarquer, point de peur de la mort non plus au fond de ceux des sacrifié(e)s de Sir Lawrence Alma-Tadema dans ses "roses d'héliogabale". Tout au plus une vague ressemblance avec une soirée mousse au Queen, avec Boutin et Morano en guest-stars, Danielle Gilbert aux platines et Flamby, alias Jelly, dans le carré VIP. J'ai néanmoins, pour ma part, eu la chance de croiser le regard lubrique d'un fort bel homme qui griffonnait sur son bloc-notes. Il ralluma ma flamme instantanément et depuis je cherche désespérément cet inconnu qui, j'en suis certaine, ne saurait être soldat. Mon Très Cher Moine, pardonnez-moi mon audace : y étiez-vous, cet après-midi là ?

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  2. Dites vos corbeaux-là juste au-dessus d'Andromède, ce ne serait pas plutôt des mouettes, des fois ?

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  3. Vous vous croyez sans doute à Ostende ou Dunkerque. À part ça, peut-être avez-vous raison. À moins qu'il ne s'agisse des oiseaux du lac Stymphale, passés là en visite, d'un coup d'aile. Convenez alors que les "Mouettes du lac Stymphale", cela ne ressemblerait à rien, ou pas grand-chose. "Les Corbeaux du lac Stymphale", en revanche... Se non e vero, etc. Entre Edgar Poe et la mer du Nord, il faut savoir trancher dans le vif. Une bonne soirée à vous.

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  4. Ce cher Jean-François Balmer, qui ne fut jamais tant à son aise qu'en interprétant le rôle pénétrant de Charles Bovary, dans le film de feu le gastronome Chabrol. Imaginer Charles Bovary lire du Dr Destouches... effectivement, moine ! Autant aller voir Lucchini lire, "habité" comme il se doit, "Madame Bovary", sous le toit de chaume d'un hôtel Campanile de bord d'autoroute, en clôture d'un congrès de pharmaciens. Les quelques propriétaires de haras présents se gondoleraient, et l'habituelle clique culturelle serait, bien sûr, vaincue d'admiration.

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