- C’est affreux ! dit la putain.
- Je ne suis pas inquiet pour lui, dit le chat, il s’en tirera. En le
quittant, donc, je suis remonté sur Paris et, dans le train, j’ai eu le malheur
de rencontrer une chatte… la garce !… la salope !
- Vous devriez surveiller votre langage, dit sévèrement la soeur de
Peter Gna.
- Pardon ! dit le chat, et il prit une grande lampée de cognac.
Ses yeux s’allumèrent comme deux lampes et sa moustache se hérissa.
- J’ai passé une de ces nuits, dans le train, dit-il en s’étirant avec
complaisance. Bon Dieu ! Quel coup de reins ! Heûps !… conclut-il, car il avait
le hoquet.
- Alors ? demanda la putain.
- Alors, voilà ! dit le chat faussement modeste.
- Mais votre blessure ? demanda la soeur de Peter Gna.
- Le patron de la chatte avait des souliers ferrés, dit le chat, et il
visait le cul, mais il l’a raté. Heûps ! …
- C’est tout ? demanda la putain déçue.
- Vous auriez voulu qu’il m’assommât, hein ? ricana le chat
sarcastique. Ben vous avez une chouette mentalité, vous, alors ! Au fait, vous
n’allez jamais au Pax-Vobiscum ?
C’était un hôtel du quartier. Pour tout dire, une maison de pax.
- Si, répondit sans détours la putain.
- Je suis copain avec la bonne, dit le chat. Qu’est-ce qu’elle me file
comme mufées !…
- Ah ? dit la putain. Germaine ?…
- Oui, dit le chat. Ger-heûps-maine…
Il finit son verre d’un trait.
- Je m’en taperais bien une tricolore, dit-il.
- Une quoi ? interrogea la putain.
- Une chatte tricolore. Ou
encore un petit chat pas trop avancé.
Il eut un petit rire dégoûtant et cligna de l’oeil droit.
- Ou le coq ! Heûps !…
Le chat se dressa sur les quatre pattes, le dos arqué, la queue raide,
et frissonna du croupion.
- Bon sang ! dit-il. Ça me travaille !
Gênée, la soeur de Peter Gna farfouilla dans son sac.
- Vous n’en connaissez pas une ? demanda le chat à la putain. Vos amies
n’ont pas de chattes ? »
Boris Vian, Blues pour un chat
noir.
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