vendredi 6 janvier 2012

Les aventures de William Surin, dit « la lame »



Voyons les choses en face : l’industrie agro-alimentaire nous aime. Cet amour est celui d’un père, ou d’une mère. Il corrige les errements de l’enfant (du client) chéri, redresse avec douceur, indique sans imposer, favorise le parti pris de toutes sortes d’expériences saines qui marqueront la vie. Un enfant (un client) doit toujours, tel est le fondement de cette admirable pédagogie, s’extasier de découvertes « autonomes » à dire vrai savamment préparées par l’amour familial (industriel). L’éveil au choix, au sens des responsabilités morales et - pour ce qui touche spécifiquement à l’agro-alimentaire - au goût, se voit ainsi idéalement préparé chez les générations futures.

L’histoire de la gastronomie est, comme on le sait, truffée de ces incidents glorieux peuplant ensuite la culture culinaire de grands « classiques », dont l’inexistence nous paraîtrait pure monstruosité logique (imaginons par exemple, ne serait-ce qu’un instant, un monde où les braves sœurs Tatin n’eussent laissé que le filandreux souvenir de leur patronyme, certes attendrissant).
Ladite histoire n’a en outre évidemment pas pris fin avec ces inventions remarquables que furent celles de la conserve, du supermarché ou des emballages issus de dérivés pétroliers.
Le charme opère toujours.
La magie est à l’œuvre.
Comme avant.

C’est ainsi tous les jours que nous pouvons apprécier combien l’industrie agro-alimentaire, alliée amicale de la joie de vivre et de la santé au quotidien, pousse le client (et aussi sa femme, et ses enfants) à se lancer en famille, au moment - convivial, s’il en est - de passer à table, dans l’essai de toutes sortes de saveurs nouvelles, d’échanges inédits, de créations métissées, et audacieuses.
Mais il y a mieux.
Le plus stupéfiant, dans cette affaire, réside en vérité dans la capacité de cette même industrie, consciente pourtant de son rôle citoyen privilégié dans la création de lien social, à s’effacer, oui !  avec la dernière humilité lorsque son intervention philanthropique, ayant déjà réjoui un foyer comblé, s’apprête (généralement à l’initiative enthousiaste de ce dernier) à faire les gros titres de la presse
À l’heure où tant d’individus seraient prêts aux dernières extrémités pour faire parler d’eux publiquement, voilà un sens de la discrétion, du devoir à accomplir simplement, dans le secret monastique et pur de l’alcôve entreprenariale, qui ne laisse point de déchaîner notre admiration.

Prenez William Saurin, par exemple.
Le 31 décembre dernier - c’est jour de fête ! - un paisible retraité du Maine-et-Loire s’installe avec sa femme autour d’un repas de réveillon qui s’annonce succulent : un bœuf bourguignon, s’il vous plaît ! de la célèbre marque déjà citée. La suite, c’est le journal La Charente Libre qui nous la raconte :

« J’ai senti comme un bout d’os dans un morceau de viande. Je me suis mis à saigner juste devant ma femme et j’ai sorti de ma bouche cette lame, je n’en revenais pas, a expliqué à l’AFP Christian Vest, 70 ans, ancien représentant de commerce qui réside aux Ponts-de-Cé (Maine-et-Loire). Le retraité, coupé légèrement à la lèvre supérieure, a contacté aussitôt le SAMU d'Angers et s’est fait prescrire un vaccin anti-tétanique. Il a contacté dès samedi le service consommateur de William Saurin. Ils m’ont rappelé lundi seulement, en doutant de ma parole et en me prenant de haut, a indiqué Christian Vest, qui a, selon ses propres termes, décidé de saisir un avocat. »

Le nouvel ingrédient introduit par les soins de M. Saurin dans cette recette traditionnelle de bon aloi, certes, mais gagnant sans nul doute à être revisitée de temps à autre, était en réalité une innocente lame de cutter d’environ 6 centimètres qui aura donc réveillé, en lui fouettant les sangs, la vivacité gustative de notre bon retraité. En guise de remerciement, voilà l’innovant M. Saurin menacé d’un procès, et d’une soudaine notoriété qu’il rejette de toutes ses forces. Rien, cependant, n’entamant la délicatesse ni la modestie de l’industriel, le 4 janvier 2012, à 16 h 14 exactement, William Saurin affirme (alors que l’emploi systématique de cutters  et d’objets tels que gants de latex, lampes de verre et autres matériaux tranchants, sans même parler d’un taux de sabotage restant par définition statistiquement indéterminé, alors même, disons-nous, que la réunion de tous ces éléments sur les splendides chaînes automatisées de production agro-alimentaire du monde n’est un secret pour personne) que ses services ne sont absolument pour rien dans la préparation de ce malheureux bourguignon qui risque de coûter fort cher et, pourquoi pas ! très bientôt, de priver de leur emploi, avant de les jeter à la rue, en cette période de grand froid et de chômage de masse, des dizaines de salariés apeurés. C’est pour eux que M. Saurin entend se battre, pied à pied, et son courage force le respect. 
« C’est lui qui l’a fait ! » semble dire le commerçant héroïque, désignant notre retraité angevin, nouveau César à qui il faudrait rendre son dû, et reprenant l’antique slogan d’un produit-dessert aujourd’hui bien injustement oublié, j'ai nommé Le Paradis Noir

Hélas, oui ! il est bien loin le temps où la nouvelle cuisine faisait, en France et ailleurs, l’objet d’un véritable culte. La crise et son cortège de sinistroses auront passé par-là.
Mais loin de se résigner, devant le surgissement de cette triste affaire d’Angers, Le Moine Bleu a décidé de réagir. Sous forme ludique, comme toujours, il a imaginé de proposer à ses lecteurs, et lectrices, la composition d’un dîner spécifique dont l’intégralité du choix de ses ingrédients, ainsi que de leur mode de préparation pourront, enfin ! se voir à bon droit mis au crédit de ces inlassables (et taiseux) chercheurs d’Absolu que sont nos grands capitaines d’industrie.
Leur silence timide nous obligeait.
Non moins, lecteur, parfois, que ta révoltante ingratitude.
Voici donc le


MENU CONTEMPORAIN dit « CROSSOVER »  
DU MOINE (au cordon) BLEU

Note préalable : vous remarquerez que ce menu ne comporte pas de dessert. Nos chefs semblent avoir estimé (ne jamais contrarier le génie !) que la nécessité ne s’en faisait point sentir. Mais chut ! Silence ! Mangez donc pendant que c’est chaud ! Vous nous en direz des nouvelles. 
Commençons par quelques


Chipolatas à la moutarde persillée, sauce cosaque, accompagnée de sa ratiche défraîchie (une création originale, pour la marque EMILE VANEL, du groupe DEFIAL-NORMIVAL - et non : « Défi à la normale » comme on le voit trop souvent incorrectement orthographié, ces temps-ci, par des journalistes peu scrupuleux).





Pain perdu aux éclats de souris (peut être servi, par respect de la thématique, avec du gruyère ou de la mascarpone GALBANI) : une trouvaille du sympathique groupe alimentaire britannique PREMIER FOODS.






Tartare de steack haché à la molaire plombée, parfumée au persil, au jaune d’œuf et aux câpres (merci CARREFOUR !)



Haricots verts cuits à l’étouffée dans sa pelure de rat (M. LECLERC estima dans un premier temps la chose « impossible », reconnut plus tard la chose « exceptionnelle », fournit enfin des statistiques que nous ne détaillerons pas ici, les chiffres s’accommodant mal de la magie des arts de bouche.) En option : aiguille de seringue baignant dans la sauce (groupe CARREFOUR).




Garniture de Céleri au verre pilé étouffant : une création (à base de tradition méridionale) conjointe (2001) de M. BONDUELLE et de la société BPL Légumes (pour RECAMIER, CHAMPION, CHAVILLE, CASINO et U). À noter que ce plat devra se voir immédiatement suivi de la consommation d’un paquet entier de céréales de type ALL BRAN (groupe KELLOG’S) attendu que, d’après un certain Dr Dominique Dupagne, contacté par nos soins : « Il n’y a pas, à ma connaissance, d’études portant sur l'ingestion de verre pilé. En général, il est admis que le risque est faible. Si les morceaux sont très tranchants, ils peuvent éventuellement provoquer des microlésions digestives, mais rien de bien grave a priori : un repas riche en fibre après l’ingestion accidentelle permet d’engainer les débris dans l’intestin et de limiter le risque de lésion. »



Chic ! Merci Docteur !
On retourne à notre assiette.



Et enfin, pour finir, un véritable délice crémeux (ne pas abuser des matières grasses, faire de l’exercice après le repas) :

Plateau de fromage pourri de chez GALBANI.





Rassasié(e)s ? Nous espérons que tout cela vous aura réjoui le cœur, le ventre et l’esprit, puisque dans la société d’aujourd’hui, peut-être plus que jamais, ces trois secteurs de l’humanité sont appelés à communiquer intimement, organiquement, dans l’harmonie et la symbiose définitives. Ne jamais oublier, lecteurs, lectrices que, selon l’image employée un jour par le grand poète Robert Musil, le tube digestif, pour accuser deux extrémités bien distinctes (dont la première commande, comme chacun peut s’en rendre compte, l’art de la parole ou encore celui d’embrasser) n’en reste pas moins une seule et même cohérente chose…

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