vendredi 17 novembre 2017

Rakka (suite)


Il y a deux façons d'interpréter ce qui s'est passé à la fin du mois d'octobre à Rakka, à savoir le deal passé entre les kurdes staliniens des FDS et les derniers combattants acculés de DAECH, deal dont la BBC a récemment révélé les modalités (voir la vidéo ci-dessus). Première réaction possible : un sentiment (déjà ressenti, tant de fois) de trahison, doublé de haine, devant ces images de centaines de soudards de l'EI quittant, avec leurs armes lourdes, la ville en ruines, pour - selon les informations fournies ici par certains témoins - s'en aller massacrer, de dépit et de rage, le plus de personnes possibles en Europe, notamment en France. Deuxième réaction, annulant la première : pourquoi donc les Kurdes seraient-ils éternellement voués au rôle de tirailleurs sacrifiés de l'Europe libérale ? Les kurdes sont comme nous : ils veulent que les djihadistes disparaissent, ils les veulent soit morts soit loin, très loin, définitivement extirpés et chassés. Selon une expression gauchiste stéréotypée bien connue, ils les veulent juste hors de leurs vies. Pourquoi, alors, au juste, iraient-ils pour cela crever jusqu'au dernier, jusqu'à la dernière, pour des Macron, des Merkel et les électeurs de ceux-ci, ne leur promettant, une fois cette bataille éventuellement gagnée dans le sang et la souffrance, aucune sécurité, aucune protection, aucune garantie, ni statutaire ni politique ni matérielle, face, par exemple, aux fascistes russo-baasistes ou aux islamo-fascistes turcs ? En sorte que les kurdes, pris en tenaille, semblent avoir en l'espèce fait preuve de stratégie, dans un contexte nihiliste de "coalition internationale" évacuant précisément toute stratégie, au profit d'une simple excitation bombardière dont nous avions, voilà peu, tenté de cerner les motivations, ou plutôt l'absurdité complète. Il n'est, au reste, pas exclu que toutes ces révélations autour du sombre deal politico-militaire de Rakka relèvent aussi d'un "chantier" turc, Erdogan préparant ces jours-ci bruyamment l'opinion publique mondiale à un très prochain déferlement de carnages au sein des métropoles d'Europe, histoire de peser encore (autant qu'il le peut, par ailleurs, via son ignoble chantage continuel au déferlement de migrants). Quoi qu'il en soit, les kurdes ont vaincu les islamistes. Ils ont réussi. Sans illusion aucune, en tentant de manoeuvrer au mieux, au jour le jour, et au moins pire. Ils tiennent à la vie, comme les barbares qu'ils combattent vénèrent la mort. Leur force, pour reprendre certain axiome schmittien célèbre, aura ainsi été d'identifier - au cours de chaque engagement crucial de ce grand jeu se livrant sous nos yeux - l'ennemi principal. Nous serions bien inspirés d'en faire autant.    

10 commentaires:

  1. Il semblerait quand même que le PYD/PKK joue depuis longtemps le même jeu de monstres froids que les démocraties libérales (NB. Lénine n'est pas ma tasse de thé, mais le rappel de certains éléments me paraît intéressant). À chacun son agenda, où la vie des uns et des autres n'est guère une priorité.

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    1. Certes. Nous nous sommes déjà exprimés sur cette question ici, en assumant une certaine faiblesse partiale (voir nos commentaires et réponses au comrade Perrache : http://lemoinebleu.blogspot.fr/2016/04/leffectif-est-rationnel.html

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    2. Sur la non-équivalence entre djihadistes et staliniens, je vous suis à 100%. Mais là c'est plutôt l'équivalence entre staliniens et démocraties libérales que je pointais. Il y a tout lieu de penser que c'est la même indifférence comptable qui laisse lesdites démocraties se démerder avec leurs djihadistes. Sous le verni anti-capitaliste, le PYD n'est juste ni plus ni moins internationaliste qu'un état lambda. En cela, il n'y a pas trop de différence entre une combattante des YPG et un soldat français risquant sa peau au Sahel contre les mêmes ordures. Les deux se trouvent au final défendre des intérêts nationaux (certes plus immédiats pour la première), dans l'absolu pour le moins pire.

      Mais sinon, oui, 1000 fois oui, a priori le PYD ne peut être plus mauvais maître que les djihadistes.

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    3. Souvenez-vous surtout qu'un djihadiste tué par une femme ne peut entrer dans son paradis...

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    4. Ceux tués par un homme n'y entrerons pas plus. Dieu est mort, il gît dans la même boîte que la Petite Souris.

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  2. Nombreux problèmes soulevés par votre texte, cher moine. Une Correspondance "principale", d'abord, entre ennemis principaux et secondaires. Et surtout : qui est ce "nous" dont vous parlez ? Il n'existe justement pas et tel est bien le problème. ("les kurdes sont comme nous" dites-vous). D'accord à ce compte avec Vilbidon : le critère pour une "stratégie" devient bien étique (sans "h")... S'il s'agit juste de sauver sa peau, et celle de sa famille étendue...

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    1. Ce Nous n'existe, en effet, pas encore.
      Cependant, du fait même, sa puissance travaille. Il est déjà force matérielle, sans se connaître. Il attend son identité, sa réalisation et sa fin.

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    2. Même « les Kurdes » pose problème, dans la mesure où ils composent juste l'ethnie majoritaire au Rojava. Et toute la question est effectivement de savoir si ça travaille là-bas réellement à un « Nous » autre que « Nous, les Kurdes et puis les Autres ».

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    3. On vous renverrait bien à la "communauté qui vient" d'un certain philologue foucaldo-heideggérien à la page imaginaire... mais bon, on ne conseille vraiment aux autres que ce que nous goûtons nous-mêmes, comme came.

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  3. Un article, qui tente de faire le point sur la situation : https://ddt21.noblogs.org/?p=1907

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