La voilà, ducon, ta «guerre véritable» :
gestion scientiste d'un existant indépassable,
ou mise au jour d'un trésor caché ?
Crève, la structure...
« La
démarche de Roussel, avec toutes ses implications philosophiques, était-elle
véritablement originale ? Or on ne peut éviter de la rapprocher d'autres
tentatives qui, apparemment, sont allées dans la même direction, en éveillant
des intérêts voisins. De l'une de celle-ci, celle de Freud et de sa théorie du
lapsus, Foucault n'avait même pas fait état dans son livre : mais c'est parce
qu'il lui suffisait, pour en donner, indirectement, une évaluation, de la
situer dans le prolongement d'une autre, celle de Breton et des surréalistes,
qu'il a soumise à une critique catégorique.
Freud
avait porté un extrême intérêt aux phénomènes aberrants du langage, dont la
considération ne cesse de revenir aussi bien dans L'interprétation des rêves que dans la Psychopathologie de la vie quotidienne ou dans Le mot d'esprit dans son rapport à l'inconscient : il les a traités
comme des défaillances du discours représentatif dont procède la conscience, et
il s'est proposé de remonter, à partir de ces cas de dysfonctionnement, jusqu'à
l'autre discours de l'inconscient, auquel la conscience n'a accès que par ses
lacunes et par ses manques. Le présupposé de cette analyse, c'était celui d'un
contenu latent, c'est-à-dire d'un sens à la fois refoulé, déplacé et travesti.
Et le but vers lequel elle tendait était de "libérer" ce sens, en
levant l'interdit qui pèse sur son expression et sa communication. Selon la
perspective même d'une interprétation, les mots "doivent" parler
d'autre chose : mais ils ne le font pas suivant une détermination ontologique,
d'après laquelle ils auraient constitutionnellement à parler d'autre chose,
comme si c'était la fonction même des mots de parler d'autre chose, et aussi
comme si c'était la nature des choses d'être toujours autres, perpétuellement à
côté de ce qu'on dit ; mais s'ils parlent d'autre chose, c'est, ce doit être,
parce que les choses dont ils parlent ont été circonstanciellement retenues ou
altérées. Et ainsi il devrait suffire de remettre les choses à leur place,
c'est-à-dire de leur restituer leur identité, pour que tout rentre dans
l'ordre. Même si Freud a raisonné de manière infiniment plus complexe, il reste
que l'esprit de la psychanalyse, tel qu'il s'est dégagé d'une lecture plus ou
moins pertinente de ses textes, renvoie communément à ces schèmes de l'interdit
et de la libération dans lesquels Foucault n'a jamais accepté de se
reconnaître.
Au
début de l'histoire du surréalisme, A. Breton s'est appuyé sur cette référence
freudienne pour donner une base théorique à ses propres démarches. Et lorsque
l'oeuvre de Roussel a éveillé son intérêt, ou plutôt, comme il l'a lui-même
dit, l'a "émerveillé", ce fut précisément dans le sens suggéré par cette
référence qu'il l'a interprétée, en exploitant un schéma formellement analogue
à celui de la libération : les nouvelles pratiques du langage, comme celle de
l'automatisme, levant les contrôles imposés à son usage par la raison
consciente, étaient censées ouvrir la voie conduisant à un monde merveilleux et
occulte, celui de l'imagination et du rêve, comme l'avait exposé en 1924 le
premier Manifeste du surréalisme. Aux
yeux du fondateur du surréalisme, Roussel s'était donc présenté comme un
initiateur, un guide, parce que, prenant à contre-pied l'usage normal du
langage, il avait du même coup conduit ses lecteurs vers l'univers magique
d'une "surréalité", en suscitant par exemple les extraordinaires
visions des Impressions d'Afrique ou
de Locus Solus.
Mais
quelque chose chez Roussel faisait manifestement obstacle à ce type
d'interprétation : c'était le fait que sa démarche était tout à l'opposé de
celle d'un rêveur, même éveillé. Si sa tentative avait fait place à des
automatismes, ils s'agissait d'automatismes dirigés, s'appuyant sur la
découverte, qu'on peut dire scientifique, de certains mécanismes propres au
langage : de ce point de vue, cette tentative s'apparentait davantage à celle
de Saussure, qui ne pouvait intéresser Breton en raison de son apparent formalisme,
qu'à celle de Freud. Ainsi, loin d'être la révélation inopinée et inspirée,
selon les procédures du "hasard objectif", d'un autre monde, où
régnaient les merveilles, l'invention de Roussel avait permis à celui-ci, et
c'était beaucoup plus important, d'élaborer de nouvelles pratiques du langage,
et ceci avec une conception extrêmement rigide et concertée du travail
littéraire, incompatible avec les incertaines aventures d'une investigation
libre (...). »
(Pierre
Macherey, Foucault lecteur de Roussel, la littérature comme philosophie)
***
Note du Moine Bleu :
Althussérien sans failles, structuraliste servile, Pierre Macherey présente par là-même un intérêt : celui d'exposer sans fard, avec passion, l'idéologie de ses maîtres. Le fond anti-psychanalytique et contre-révolutionnaire d'un Foucault n'apparaît peut-être ainsi nulle part aussi clairement que dans le texte ci-dessus. On pardonnera donc à Macherey sa grossière approche générale de Freud, au reste assumée par lui (voir la fin de son deuxième paragraphe). Précisons seulement que la psychanalyse correctement comprise peut justement se définir comme une anti-herméneutique, visant à dissocier ce qui, dans le travail du rêve, en particulier, se donnait à l'inverse comme uni et homogène. Le nom même de psychanalyse (l'analyse étant, à rebours de la synthèse, ce qui dé-compose, ce qui restitue la vérité morcelée d'une pseudo-unité) le dit assez bien. D'où l'importance anti-idéologique du travail freudien, lequel suscite donc moins d'autre monde (comme ici prétendu) qu'il ne révèle en attendant, du monde bourgeois, les illusions et mensonges. Bref. On lira avec avantage, sur tout cela, le très pertinent article de Laplanche, La psychanalyse comme anti-herméneutique (Cerisy, 1994)
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