mercredi 6 août 2014

En France

                                    

Nous qui haïssons la France, serait-ce trop demander qu'on la haït pour de bonnes raisons - toute négation étant négation déterminée - et non parce qu'en France, les femmes se comportent comme des putes, les putes comme des femmes, les grévistes comme des princes, les syndicalistes comme des rois, les ouvriers comme des feignasses, les feignasses comme des merdes ?
Les Français ne sont pas des merdes. Du moins pas à proprement parler (ce qui est un comble, en l'occurrence). Car si d'aventure ils l'étaient - ce que nous croyons possible - ils ne le seraient guère plus, en tant que pures créatures de fiction aprioristes, que les Belges, les Allemands ou les Algériens considérés en tant que tels. Les Français ne peuvent être des merdes car les Français sont une idée, une abstraction. Rien d'autre. Les Français n'existent pas. Il paraît, ces temps-ci (c'est ce que nous assènent certains théoriciens gauchistes ethno-différentialistes de pointe défendant, entre autres Graals, le voile islamique et la religiosité anti-impérialiste), qu'on pécherait encore trop, à gôche, par essentialisation des musulmans. Que les musulmans (ou plutôt, mais c'est là un détail, sans doute, les divers peuples susceptibles de mahométisme) choisissent ou non eux-même d'être ce qu'ils pourraient être est une question fort intéressante que nous ne règlerons point ici. Ce qui est certain, pour l'heure, c'est qu'essentialisation ou non, on dira des bêtises chaque fois qu'on dira Les Français, chaque fois qu'on dira la France, car à chacun, à chacune, et à toi et à lui (qui peut y être né ou pas, et y avoir, ou non, dispensé sa jeunesse folle, comme Taï-luc qui le beugle dans la cantilène ci-dessus) sa France. Shlomo Sand se fait encore caillasser à l'occasion, par certains massacreurs intellectuels (et pratiques) dans le coin où il habite, pour avoir, voila peu, parlé d'invention du Peuple Juif. Que n'avait-il pas dit là, le pauvre homme ! L'invention du peuple français, en l'occurrence, lui servit de prototype : il décrit, de l'invention en question, les sinuosités historiques précises. And so on. Les vietnamiens, les mexicains, les iraniens (et les iraniennes), les grecs (et les grecques)... England belongs to me, dit une chanson populaire moderne. La même, ici ou là-bas. Haïr la France, aimer la France... Haïr, aimer une idée... Haïr la police, voulez-vous dire ? Mais alors toutes les polices, les polices du monde ne formant qu'une seule et même chose, non ? Depuis la Tunisie "libérée" jusqu'à Clichy-sous-bois. 
Haïr, via la France, l'idée de révolution ? Laquelle, de révolution ? Celle qui fit le tour de l'Europe, puis le tour du monde, dans le sillage de généraux de vingt ans, qui perdirent en convulsions, et en terreurs, toutes les sales races de tyrans couronnés d'Europe ? Haïr, donc, cette France-Révolution, pour laquelle les potes Schelling, Hegel et Hölderlin plantèrent un jour, pleins d'enthousiasme, de niaiserie et d'amour, l'arbre de la Liberté à Tübingen, dans leur Stift ? Haïr, de même, la France libertine ? La France athée, irreligieuse ? Haïr Fernand Iveton, simple Français et Algérien, décapité par Mitterrand, un autre Français - pour terrorisme FLN ? Haïr le très-typique communisme français ? Ce n'est que lorsqu'ils étaient français sur ordre du Parti, précisément, en service commandé idéologique et nationaliste-bourgeois, que les staliniens de base - nous ne parlons pas là de leurs raclures de proxénètes, irrécupérables messerschmidtiens - étaient  haïssables. Parce que quand ils étaient français à leur idée propre, cette idée-là, si l'on peut dire, ne se voyait guère. Elle avait passé dans la vie quotidienne. Elle ne la ramenait pas. Ils étaient juste communistes. Et ces "communistes français"-là (nous en connûmes tant) étaient simplement les plus doux, les plus malins et courageux, les plus tenaces des hommes, et surtout des femmes, d'ailleurs, dont cette salope de Vermeersch (une islamiste française anti-avortement d'il y a bien longtemps, et justement oubliée aujourd'hui) n'aima rien tant que compliquer l'existence. Haïr le drapeau français ? La France, encore une fois, est une idée et, comme tous les idées, donc, a son histoire, c'est-à-dire ses limites : ici, son drapeau. La limite n'est pas un gros mot.  Elle informe. L'ignorance d'une information ne saurait être un argument. Le drapeau bleu-blanc-rouge est ainsi celui de la France bourgeoise, l'une des myriades de France actualisées, existantes. Lamartine défendit ce drapeau-là, le drapeau tricolore, contre le drapeau rouge, au moment de Février 1848.  Certains souhaitaient en effet que le drapeau de la France, alors, fût le drapeau rouge. Avaient-ils leurs raisons ? Imaginons, en tous les cas, que le rouge, en ce début 48, l'eût emporté. Serait-ce le drapeau rouge qui aujourd'hui-même se trouverait vomi, mangé, étreint, souillé avec la dernière rage, par certains imbéciles que l'Idée même (toute idée : l'universel, dehors les impulsions simples, seules entendues légitimes) révolte rythmiquement, comme une dernière violence impérialiste, colonialiste ou quoi que ce soit d'autre faite à leur suffisante sensibilité ? Et quant au peuple français, vile abstraction avant que d'être un vil bétail (ce dont il remplit ponctuellement, certes, en tous points, les conditions concrètes, ainsi que nous aurons pu le noter, une fois de plus, au cours de la dernière coupe du monde de football, et lors de tant d'autres occasions politiques ineptes) ? Faudrait-il le haïr alors qu'il n'existe pas et se partage, rigoureusement, en classes sociales : bourgeois, petits-bourgeois, ouvriers professionnels, vacataires, chômeurs riches, chômeurs pauvres, propriétaires, locataires expulsables, ou exploiteurs, et tout ce que vous voudrez d'autres situations complexes ? Autant dire que celui qui nique la France devrait venir s'expliquer, auprès de nous, de ce qu'il (ou elle mais c'est plus souvent il) entend par là au juste, à moins que par là, précisément, il n'entende pas grand-chose, ainsi que tout un chacun. À nous que les démonstrations de virilité n'impressionnent pas, et rebutent plutôt à vrai dire comme un reste de monstruosité primordiale, on ne parlera pas impunément (au risque, précisons-nous conséquemment, que celui exhibant semblable prétention passe à nos yeux pour un con, ou pour une bite) de niquer la France. Niquer la France ? Nous n'avons jamais niqué personne, nous. Mais peut-être n'avons-nous pas compris. Peut-être nous y sommes-nous mal pris, au cours de notre existence, dès lors que niquer les gens serait reconnu comme un des buts valables de l'existence. On veut beaucoup niquer, faut avouer, à l'adolescence. Niquer tel ou tel, telle ou telle. Et puis l'on s'aperçoit que le personnage que l'on projetait de niquer constituait en réalité une masse beaucoup plus dense, et subtile, que la créature d'imagination qu'on avait jusque-là là en tête (et ailleurs, sans contredit). Et que cette créature-là, eh bien, au fond, on ne l'a pas niqué(e). Jamais. Et qu'on n'eût pu le faire, qu'une telle chose se fût révélée impossible. Cette leçon-là, pour causer en phénoménologue vulgaire, comme à notre habitude, est une leçon de l'adolescence de l'esprit. Ceux qui entendent aujourd'hui niquer la France sont ainsi à l'âge bête de l'esprit. Ils grandiront, un jour, dans le but et l'expression. 
Ou pas. 
Confesserons-nous qu'aujourd'hui, plus que toujours, nous nous en foutons ?




1 commentaire:

  1. Je ne sais s'il veut "niquer la France" ou pas, mais en tout cas il est drôle et talentueux (belle performance d'acteur) :

    https://www.youtube.com/watch?v=JzmaSWqnpSk

    Je vous partage cette vidéo au cas où vous ne le connaîtriez pas, cher Moine Bleu.

    Bonne fin de semaine à vous les copains !

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