« La famille est la cellule de la vie française, cellule indispensable et qui a pour objet, par une natalité accrue, de perpétuer la race française »
(Philippe Pétain, 25 mai 1941).
Comment expliquer la fascination absolue exercée sur l’époque par l’Enfant, et même chaque enfant concret, pourvu de membres perpétuellement agités, de poumons constamment, et sans relâche, gonflés puis déchargés en cris hideux au creux de l’oreille malheureuse – et de fait misanthrope – contrainte de le subir, dans les transes ? Comment expliquer le pouvoir définitif, inquestionnable, tabou en somme, de cet atroce petit être braillard, et tyran miniature, sur les impuissants – désormais, du moins, apparaissent-ils tels – l’ayant un jour conçu, à grands renforts d’amour et de prévenances génétiques ? Serait-ce la nostalgie des possibles ? Sans doute. Tel papa construit un château de sable à la mer, secondé de son bambin, hurlant à la manoeuvre (il est vrai que la tâche s’avère exaltante). Vient à surgir la maman de cette famille, charmante, dans la force de l’âge et de sa liberté de femme, laquelle les prend tous deux, en photo. Pourquoi, au fait, ces photos ? En cette époque, ni présent ni futur, ni aucun autre temps, mais baste ! comment le sauraient-ils, encore ? Il faudrait, pour cela, que papa et maman fussent communistes, ce qui impliquerait de leur part (successivement ou non) lucidité, désespoir et, fatalement, autodestruction, ce que nous ne saurions souhaiter à personne. Certainement qu’à son âge, papa, lui aussi, nourrissait de grands projets humains – comparables à ce château de sable – de construction immobilière et/ou architecturale, entre autres philosophies de l’existence. À moins que ses propres géniteurs ne les aient nourris pour lui ? Toujours est-il qu’aujourd’hui, papa et maman se trouvant bien fixés dans l’existence, ce petit homme-là cristallise assurément le souvenir tragique de leurs ambitions les meilleures, suivies de leurs échecs adéquats, autrement dit grandioses. D’accord, mais les enfants qui hurlent, nous sussure le Tartuffe avec sa bonhomie coutumière, et perfide, c’est la vie ! Et le bruit, c’est la vie ! Les hurlements dictatoriaux à deux pas de ta gueule, c’est la vie ! C’est aussi l’innocence, poursuit d’ailleurs notre Tartuffe, très en train et désormais inaccessible (tu t’es cru dans l’éducation nationale ou quoi ? Va jouer plus loin avec tes ABC de l’égalité) à quelque théorie que ce soit concernant une éventuelle cruauté originaire de son chiard approprié, une soupçonnable autocratie spontanée, à caractère polymorphe et ultra-sexuée, chez le produit de ses anciens errements spermatiques. Un pas de plus dans cette direction et vous voilà étiqueté pédophile par les mauvais temps qui courent, en plus d’être un monstre ordinaire simplement hostile à l’innocence bruitiste de nos chères têtes blondes, brunes ou autrement diversement insupportables. Les esgourdes de Tartuffe seraient cependant, aux dernières nouvelles, structurées comme les nôtres. Ces bruits horribles, alors, ne les ouïrait-il point ? Les souffrirait-il davantage ? Mais en vertu de quel miracle ? Vous ne comprenez pas : cet enfant innocent qui hurle, eh bien, c’est le sien ! Voilà pourquoi la merde que vous sentez, pour un autre fleurera bon la rose, pourquoi aussi un glapissement strident, passé au prisme de la propriété génétique, se voit, à l’égal d’une sonate de Beethoven (célèbre sourd demeuré sans enfants), couvert d’éloges par la moutonnière parentalité. L’innocence. Je t’en foutrais, moi, de l’innocence. Et quant à la vie, non ! elle ne saurait se réduire au bruit. Francis Hallé fait, quelque part dans son oeuvre, la justice qu’il mérite à ce lieu commun insondable. Les arbres, plus vieux êtres vivants de l’univers, seraient-ils moins vivants que les mammifères (sans parler de leurs petits) au motif qu’eux ne se déplacent pas (à l’exception notable de certains palétuviers de mangroves), ni n’occasionnent jamais d’autres sons que celui, au reste fort délicat, d’un vague bruissement de feuillage ? La vie nous paraît – ailleurs – ce qui tient encore pour quelques instants le proche cadavre de ce chat parti mourir à l’ombre, dans la chaleur étouffante d’un été infernal (car tel est l’enfer, en vérité : perclus de simplicité chaude et rigide), ce chat qui ne se défend plus, atteint, par exemple, de la dernière leucose, ou blessé mortellement au terme d’un mauvais duel, et posé simplement, agonisant, accueillant en lui-même, alors, précisément, la vie, soit ce résidu sublime ne se définissant autrement que par l’approche flagrante des décompositions et transmutations finales prévues pour lui succéder, environné, déjà, d’une ébauche d’escouade d’insectes nécrophages bloqués dans leur attente vorace. Ce chat-là, ce corps-là, meurt et vit à plein en silence. La plus grande monstration qu’il donne étant que du début à la fin de son existence, certes, si peu aura changé, si peu aura bougé, si peu aura passé d’ici à là, ainsi que pour nous tous.
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