lundi 3 septembre 2018

Circuit de la récompense


« Kant n'a rien eu qui puisse servir de détermination pour le devoir (car la question abstraite est : qu'est-ce qui est devoir pour la volonté libre), sinon la forme de l'identité, du ne-pas-se-contredire : ce qui est posé par l'entendement abstrait. La défense de la patrie, la félicité d'autrui sont des devoirs non pas en raison de leur contenu, mais parce qu'ils sont des devoirs, de même que chez les stoïciens le pensé est vrai parce que et pour autant qu'il est pensé. La loi de la moralité est la bienfaisance ("Donnez vos biens aux pauvres") ; si tous font don de ce qu'ils ont, la bienfaisance est supprimée. Avec l'identité on n'avance pas d'un pas. Dieu est Dieu, tout contenu mis dans cette forme est sans se contredire. Mais cela revient à ne pas l'y introduire du tout ; soit l'exemple de la propriété : relativement à mon action elle doit être respectée ; mais elle peut aussi faire entièrement défaut (aucune propriété), la détermination peut faire entièrement défaut. À l'égard de la propriété, la loi est : la propriété doit être respectée ; car le contraire ne peut être loi universelle. Cela est exact. Mais la propriété est présupposée ; si elle n'existe pas, elle n'est pas respectée, si elle existe, elle l'est. Si je ne présuppose aucune propriété, il n'y a dans le vol aucune contradiction ; c'est une détermination entièrement formelle. Tel est le défaut du principe kantiano-fichtéen : il est simplement formel. Le froid devoir est le dernier morceau resté sur l'estomac, la révélation donnée à la raison. »

(G.-W.-F Hegel, Leçons sur l'histoire de la philosophie

2 commentaires:

  1. L'identité, c'est la pensée réduite à la copule, strictement linguistique.

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    1. L'entendement distingue, la raison connecte. Toutefois, pas de raison sans entendement. Il ne s'agit pas de mépriser l'entendement, de le dépasser de manière immédiate. Hegel refuse l'irrationalisme romantique encore en vogue à son époque (cet irrationalisme qui prétend dépasser toute médiation de l'entendement discursif : toute logique, en clair, pour aller droit à l'Absolu dans le frisson extatique de l'intuition). Il reproche simplement (souvent trop sévèrement) à Kant son inconséquence. Si l'identité est à la base de l'analyse, et qu'elle est certes reconnue par lui comme irréprochable logiquement, Kant rappelle souvent que seule la synthèse (soit l'association de différences) augmente la connaissance. Ce n'est donc pas un "identitariste" forcené. L'unification totale, architectonique, des sciences, par exemple, n'est chez lui qu'une idée de la raison : cette identité mythique n'est qu'une fiction simplement nécessaire pour orienter la recherche, on ne peut sérieusement chercher à l'atteindre réellement. Qui plus est, Kant a senti que toute philosophie digne de ce nom consistait au fond en un jeu dialectique entre diversité du réel (sensible) et unité du sujet. L'un à travers le multiple, en kata pollon, comme disait Aristote : et non l'un contre le multiple. Mais Kant aura seulement daigné exciter ses disciples hérétiques là-dessus, les laissant, eux, balancer franchement d'un pôle (subjectif : Fichte) à l'autre (Schelling). Hegel passant ainsi toujours, chez les conEs, pour un hérault de la seule identité, c'est un peu fort de café, non ?

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