Le timing
n'est pas mauvais. Grands massacres en fin d'année dernière, expositions
anxiogènes - à commissaires - pour commencer l'année nouvelle. Ces Visages
de l'effroi, en l'occurrence, sont présentés au public jusqu'au 28 février 2016 (7 balles la place, 5
si vous allez également voir L'estampe
visionnaire au Petit-Palais). Pas de quoi se relever la nuit, si vous nous
passez l'expression. Tout de même, quelques pièces fort impressionnantes et
originales. Retour amer, d'abord, et cruel, typique de l'époque du Directoire,
sur la Terreur à peine terminée : ce Triomphe
de la Guillotine, par exemple, Allégorie
satirique révolutionnaire (ou Triomphe
de Marat aux enfers, par Nicolas
Antoine Taunay, 1795-99), plus loin une terrifiante Matière à réflexion pour les jongleurs à tête couronnée (sic) que
nos amis royalistes devraient particulièrement apprécier (Louis Villeneuve,
1842), ainsi, dans le même esprit riant, que Les formes acerbes (Charles-Pierre Joseph Normand, 1795) et leur
sympathique bourreau s'abreuvant sans penser à mal de sang chaud dégoulinant
sous son outil de travail. La Révolution, paraît-il, transforme les hommes en
loups. À quoi les loups auraient bien des choses à rétorquer, mais bon,
faudrait déjà qu'ils soient entrés dans Paris pour cesser d'être complètement
inaudibles. Revenons à nos moutons : la répression terroriste d'État trouve ici
autrement témoignage dans Le massacre de
la rue Transnonain (15 avril 1834), de Daumier. Louis Boulanger se
concentre, lui, sur le fantastique pur. Outre sa magnifique lithographie
(également visible à L'estampe
visionnaire) La ronde du sabbat,
citons Les spectres sans tête et Les fantômes. À noter également, une
oeuvre très inhabituelle, et émouvante, de sa part : naïvement sadique,
serait-on tentés de dire, Les amants
transpercés (1830), à l'encre de Chine sur papier, décrivant une prouesse
homicide de souplesse et d'horreur : un homme, à caractère de flic quelconque,
étreint avec un plaisir visible (et hélas ! communicable, ce dont il ne sert,
somme toute, à rien de s'indigner), le scalp d'un desdits amants, sans doute surpris à forniquer inopportunément, cependant
qu'il les transperce tous deux - même trou d'entrée et de sortie - de sa pique
et de l'autre main.
Sans fanfare ni trompette, Géricault, est présent en force (à tous
points de vue) : sa série sur la mort de Fualdès, fait divers impliquant
l'assassinat violent et méthodique de quelque notable d'importance régionale, ayant
marqué l'époque, vaut le passage (comme, du reste, le traitement du même sujet
par Sébastien Coeuré : ce dernier présente notamment une physionomie de voyou
aux yeux exorbités - et au fusil cassé, sous le bras - extrêmement efficace et
angoissante, ayant sans doute permis à la bourgeoisie de son temps de fantasmer
adéquatement la racaille). Au rayon crapulerie, signalons aussi un Meurtrier d'enfants anonyme (plume et
encre brune) rappelant justement que l'expressionnisme allemand d'après-guerre
ne saurait conserver le monopole de l'ultra-violence ordinaire, de même
qu'aujourd'hui, la ville de Cologne ne saurait écraser indûment le marché
international de l'agression sexuelle miséreuse. Mais revenons à Géricault
(l'artiste, voulons-nous dire, sinon c'est trop compliqué) dont le Portrait à l'agonie (par Alexandre
Corréard) vient clore la propre étude graphique de morceaux de barbaque glauquement
désunis, dont vous nous direz des nouvelles (voir ses études pour le Radeau de la méduse et sa Tête de jeune homme mort, 1819). Juste
avant cette série rafraichissante, effet de contraste thermique : une splendide
Desdémone maudite par son père, de
Delacroix (1852), laisse bouleverser, alentour et conjointement, le sang
palpitant de sa toge et le double brillant de ses broche et bracelet. Vous
retiendront peut-être aussi, plus loin, un très beau Satan (l'habite) de Feuchère (1833), bronze au visage triste et à
la virilité baudelairienne à moitié maintenus dans l'ombre (l'éclairage étant,
au Musée de la vie romantique, fort
délicat et agréable), ce qui permet de jouir comme il convient de la brillance
trouble de ses cuisses entrecroisées. Une Décollation
de Saint Jean-Baptiste (Jeanron, 1846) ravira, quant à elle (et quant à lui), nos castristes
habituels (nous ne parlons point ici des partisans du régime cubain actuel, dit
socialiste), cependant que - de sortie dominicale, par exemple (ou mardicale, si
vous êtes chômeur parasite de la société, avec marmaille qui plus est) - la
famille au complet, donc, petits et grands réunis, communiera dans la joie et
l'admiration du trait redoutable de Léon Cogniet (Scène du massacre des Innocents, 1824), que l'on ne saurait
comparer, céans, en termes d'intensité, qu'à l'Athalie ordonnant le massacre des enfants de la race royale de David
(1824) ou - ses yeux, ses yeux ! - à la Folie
de la fiancée de Lammermoor (Émile Signol, 1850). On terminera par une note
d'humour, celle du Caron d'Élie Montagny bastonnant de sa lourde pagaie, sous
l'oeil de Dante et Virgile, les très infortunées Âmes retardataires soucieuses d'embarquer dans son raffiot pourri
(1808).
Après quoi, il sera temps de rentrer chez
soi en métro ou en RER, dans un froid glacial, une brume lunaire, et
l'enthousiasme de ces jours désormais rapidement achevés, c'est l'hiver, où
sourd à ce point l'espoir dessous l'écho maintenu, dans la conscience, des
rafales d'armes automatiques charriant partout la vertu de l'avenir.
Maintenant, évidemment, il s'agit
d'estimer au plus juste ce que ce genre d'exposition peut et ne peut pas nous
apporter. L'horreur, assure le
colonel Walter Kurtz, dans Apocalypse Now,
l'horreur a un visage. Autrement dit,
elle ne serait pas sans forme, et même nous ressemblerait diablement, au point
qu'il serait possible, donc, de la dévisager, de chercher à la connaître, comme
on dit : sous toutes les coutures,
qu'il serait possible par là même de la maintenir en respect, ou à distance,
avec une morgue spécialisée et ricanante. Ce que nos amis-commissaires
«romantiques» de la Petite-Athènes parisienne paraissent (voir le titre qu'ils
ont choisi à l'événement) corroborer.
Mais l'effroi
aurait-il, plus profondément, même potentiellement, partie liée avec la théorie
de la connaissance ?
Il entre assurément dans sa définition une
part essentielle d'étonnement, en quelque sorte porté au sublime, si l'on
entend par «sublime» ce point d'incandescence de l'expérience extrême indicible
et la capacité de celui-ci à projeter le sujet qui l'atteint (et le dépasse) au
sein d'un monde neuf, de références définitivement chamboulées et reconfigurées.
La sidération terrorisée, certes, semble interdire par principe autant la
pensée que toute réaction pratique immédiate, s'apparentant ainsi à une forme
étrange de méditation, de simple présence vertigineuse au monde : nouvelle dans
son inutilité totale, inédite en son désintéressement absolu.
Dès lors qu'on couperait, cependant, le
lien entre connaissance et entendement (ou plutôt qu'on le restaurerait à l'aune d'un partage des tâches humaines mieux défini
entre ces deux dernières instances), la
terreur et l'effroi seraient facilement reconnus comme les éducateurs décisifs
qu'ils sont, incontestablement. La grande peur ne laisse en effet rien d'intact
dans l'âme, elle secoue ses cadres sensoriels ordinaires, lesquels tombent
littéralement en ruine, fondant les conditions d'une nouvelle mémoire et de
nouvelles expériences chaque fois axées sur ce traumatisme élémentaire : «chaque fois», car semblable traumatisme se
répète, à des degrés divers, tout au long de l'existence, sans que soit jamais vraiment
résolue la question de savoir s'il procéderait soit d'une pure relance, d'une
pure répétition traumatique originelle, soit d'une nouveauté radicale lui
fournissant, au contraire, chaque fois,
sa puissance de sidération. Dans tous les cas, ce traumatisme de l'effroi,
après coup, aura informé, généré
cette espèce de connaissance dont nous parlions initialement. Pensons à la
capacité d'adaptation et de résistance vitale soulignée par Ferenczi chez les
femmes par principe (dans ce monde
infâme) victimes d'agressions sexuelles, et provoquant chez elles un
exhaussement significatif de l'intelligence, dont la supériorité intellectuelle ordinaire des femmes sur les hommes, comme
celle de toute victime sur son bourreau, serait la conséquence évidente.
Une conséquence succédant, bien sûr, à l'éclatement sur le moment du psychisme dans la terreur, éclatement malgré tout
conservateur puis, donc, (re)fondateur et renforçateur.
Chez certains mystiques anciens, comme
Jakob Boëhme, l'effroi (Schrek) est
carrément considéré comme un des stades de connaissance au sens
phénoménologique : l'Effroi est le
moment précédant immédiatement la Lumière
(l'éclair - à la fois terrifiant et éclairant - de l'orage figurant cette
ambivalence). Nous voilà revenus sur notre terre familière de la raison sensible, ou du sens rationnel, comme vous voudrez. Il
est en effet envisageable qu'existe - et subsiste - aux sources de la psychologie
humaine autant que de toute logique même (celle-ci imposant qu'il y ait de l'être pour pouvoir commencer à manipuler
des catégories rationnelles) quelque nécessaire excès radical : quelque fond
(Grund) à proprement parler sans fond (Ungrund), lui-même inconditionné, situé dans la nuit absolue, hors
toute rationalité quoique prétendant, volontiers, à la rationalité après la première secousse, un premier
mouvement «irrationnel» capable de projeter
ce fond obscur à la lumière, à la vie, à l'être. Tel serait, chez un Jakob
Boehme, donc, mais aussi chez un Schelling ou d'autres mystiques et philosophes
de la Nature (et, problématiquement même, négativement, jusque chez un Hegel
pourtant notoirement désireux, lui, de tout
donner à maîtriser, de manière totalitaire, au Concept), cette nécessité première, non-conceptuelle, du
Concept, cette logique de Grand Fond Obscur disponible pour tout
raffinement intellectuel (ou, selon les points de vue, toute altération ou détérioration,
en tous les cas toute sortie de soi)
postérieur de la Substance primitive indivise : Dieu, en clair (ou en obscur).
Au prétendu sommeil de la raison, enfantant, comme chacun sait, des monstres,
des terreurs, de l'effroi, correspondrait ainsi, en réalité, la veille la plus hautement active de
l'esprit, lequel engendrerait et déposerait là comme l'éclair des cadres de pensées bientôt condamnés à
l'obsolescence, l'esprit s'ennuyant, en quelque sorte, dans l'identité d'avec
soi (on est devenu tout entier ce que l'on comprend), ce qui le pousserait à sortir, tout comme vous-mêmes sortez
le samedi soir (la chouette de Minerve ayant, bien entendu, pris son envol) histoire
de voir du monde, et de la
différence. Je vais encore sortir ce soir,
nous a ainsi, par exemple, récemment confié, en exclusivité, M. Étienne Daho,
qui «le regrettera sans doute», il est vrai, mais à qui ce regret, du moins
(M. Daho s'étant tenu, évidemment, à bonne distance du quartier du Bataclan, le
treize novembre dernier) pemettra de ruminer.
Car le regret nourrit, contrairement au néant qui, certes, en sa tranquillité,
ne connaît ni terreur ni pitié, mais rien d'autre non plus.
De même, donc, que l'angoisse révèle sans
retard certain désir profond réprimé, de même l'effroi, par la tétanisation des
muscles qu'il occasionne, et l'impuissance qu'il manifeste, renverrait
peut-être au projet paradoxalement
homéostatique de sortie de soi perpétuelle pour elle-même (méditative) de
la matière, d'insatisfaction permanente
de celle-ci, de désespoir accusé par
toute forme restée trop longtemps identique à elle-même. Son identité
authentique ne pouvant précisément être que transitoire, l'organique désirerait
ainsi faire retour à l'inorganique via d'autres formes destinées à s'abolir,
sitôt passé le cycle de leurs transformations vitales successives.
Bref : cette indécision fondamentale,
cette tension, cette souffrance
dialectique propre à la matière, Jakob Boehme l'aperçoit, de manière
poétiquement géniale, dans son ignorance illuminée
même de prolétaire de la Renaissance, en cordonnier analphabète qu'il était, dégagé
du lexique dominant de la philosophie et de la religion de son temps. Il fait ainsi dériver au gré d'une
étymologie purement fantaisiste (c'est-à-dire absolument sérieuse), la notion
de Qualité (en allemand : Qualität) -
en l'écrivant avec un ou deux L - des
termes Qual («tourment») et Quellen («gonfler»). La Qualité n'est
plus une simple catégorie logique, servant à gérer, à administrer un univers
formel statique et impersonnel, elle reflète le tourment subjectif d'un
Principe premier (ici, Dieu) condamné, par ce tourment même, par cet ennui,
cette géhenne, à sortir de son identité vide. De même, l'effroi (Schrek) sera condition de la
connaissance et de la socialité humaines. De telles intuitions géniales
étaient, on le voit bien, réservées à un ignorant
selon les critères ordinaires de l'entendement : « Une fois de plus, écrit Ernst Bloch, Böhme recourt à une catégorie psychique, l'effroi, et l'identifie totalement
à ce que la philosophie naturaliste considère, comme une catégorie qualitative,
au feu qui effraie, et qui pour cette raison même ne provoque pas seulement,
quand il se présente sous l'aspect de la foudre, une frayeur primitive, mais
qui est lui-même frayeur. Ce feu négatif guette au fond de toutes les choses et
se manifeste à la première occasion comme agent destructeur. Pour Jakob Böhme,
chaque grand orage est une répétition de la fin du monde ; mais l'éclair est
aussi une manifestation fulgurante du OUI, un retournement dialectique. Car
c'est ce même feu qui, outre la frayeur, enfante aussi chaleur et lumière. Le
feu dévorant devient la flamme dans l'âtre qui rassemble les humains. Dans
l'univers il est le feu du milieu qui réchauffe et éclaire tout, le brasier du
soleil qui nous apporte le printemps, qui fait éclore la vie, qui se manifeste
par la chaleur et la chose la plus plaisante, la lumière - c'est donc le feu
qui, libéré, donne naissance à la cinquième force foisonnante, à la lumière :
le monde s'éclaire» (in Philosophie
de la Renaissance, Payot, p. 106-107).
Que l'effroi, donc, paralyse vraisemblablement autant qu'il incite à sortir apparaît donc capital. Dans un cas comme dans l'autre,
quelque conduite que le terrorisé choisisse d'adopter, l'effroi,
irrémédiablement, instruit à mesure
même qu'il empêche de faire.
M. Boucheron disserte, paraît-il, ces
jours-ci, sur la peur et la terreur de masse, au Collège de France et ailleurs.
La peur, l'effroi seraient ainsi, selon lui, pour peu qu'on les étudie sérieusement,
dans leur phénoménalité historique, susceptibles d'étonnants enseignements, progrès
ou résistances de civilisation. Apprendrait-on quelque chose de valable,
tirerait-on quelque puissance insoupçonnée de l'effroi ? La proposition a de
quoi rebuter. Les économistes, en particulier, et les politiciens n'ont pas de
mots assez durs contre cette logique de
l'effroi, qui achèverait, nous répètent-ils ad nauseam, de donner raison
aux terroristes. Mais qu'on prenne cinq secondes pour observer, et ne
serait-ce que s'amuser de cette dernière expression triviale. La répression
terroriste ou anti-terroriste, en dépit de son aspect science-fictionnesque,
monstrueux, extraordinairement étranger, recèle toujours, en réalité, une
faiblesse, un point faible prosaïquement trop
humains : ses très ordinaires buts et
finalités économiques. Que ce soit du point de vue de M. Hollande ou de Daech,
pas de répression intéressante sans un marché
à faire tourner à pleine cadence, gonflé d'agressivité morbide subtilement
agencée et optimisée par les maîtres
économiques. Pas d'effroi terroriste
sans finalité productive. C'est
d'ailleurs la raison pourquoi le jihadisme aigü sera bientôt vaincu, dépassé
dans la productivité et ravalé au rang de moment d'ajustement, et qu'il cédera in fine la place au seul type de
productivité (moralement conservatrice) acceptant d'intégrer à son colossal profit les ressources
seulement instrumentalisables de la
terreur.
Mais la sidération improductive de la terreur, elle : celle dont on reconnaît avec jouissance, au Musée de la vie romantique ou ailleurs, la trace sensible
organiquement humaine, disséminée dans certaines oeuvres d'art des temps passés,
ne serait-elle pas l'autre face, paradoxalement prometteuse, de semblables
instrumentalisations ? Les Français, entre autres, finiront-ils, un de ces
beaux jours sombres, par refuser d'aller bosser de terreur, tout comme le film l'An
01 postulait jadis - autres temps
autres moeurs ! - un refus consciemment
vitaliste, volontaire, de l'absurdité économique ? En toutes choses, après
tout, c'est bien le grain de sable dans les rouages, quelle que soit sa
couleur, et le pas de côté, ou la seconde décisive d'arrêt et de stupeur, qui
compte. Il n'y a pas loin, au fond (Grund),
de la jouissance et du repos des bienheureux, à la mort, à l'inactivité et au
nirvana. Ce serait alors dans l'effroi
sans fin, dans son assomption esthétique comme début de ce progrès mental, simplement humain, qu'il occasionnerait
désormais (car désormais aperçu en
pleine lumière) vers l'essentiel de la vie, la haute valeur, la beauté de
celle-ci enfin intuitionnée pour elle-même (L'Homme
qui dort, de Perec, cette fois pour une bonne raison : reprendre des
forces, tel un ours, au coeur glacé de l'hiver terroriste) que reposerait la
solution méditative, subversive, aux problèmes de notre temps. Un tel effroi, en
somme, comme impulsion désorganisatrice,
féconde en désertions absolues, remplacerait avec avantage les effrois
nihilistes instrumentaux dont nous risquons sinon, ici bas, de souffrir longtemps
la bride répugnante, jusqu'à ce que mort s'ensuive.
Moine, vous passez sous silence un beau "Prométhée" de Brocas dans une des premières salles.
RépondreSupprimerÀ vous lire, stupéfié plus qu'effrayé !
Et voilà tout ce qui importe si je vous suis bien ?
Salut paulo, bonne année !
Supprimeroui, vous avez raison : le " supplice de Prométhée " (Charles Brocas). Nous l'avions également repéré.
Vous avez raison aussi quant à la suite, et à la stupeur. Nous n'idéalisons pas l'effroi en tant que tel : l'essentiel, c'est le moment d'arrêt, la mise à distance, la suspension, le GRAND CHOC faisant soudain que tout s'arrête, tout se fige, tout GRÈVE, avant de repartir autrement. Qu'importe - en effet - la diversité impénétrable de ses voies. " Ma stupeur a toujours dominé ma colère " disait Villiers de l'Isle-Adam.
À méditer.
Il y a un petit fond Bartleby dans tout ça; Bartleby agit-il ?
SupprimerUn grand fond, vous voulez dire. Un fond "sans fond". Ce que d'autres, après Schelling, appelleront l'inconscient (avec un petit "i", eux) : le non-rationnel situé avant, ou plutôt dessous, ou à côté, et, en tous cas, permettant le rationnel. Le grand silence, la grande obscurité qu'il s'agit de retrouver, au sein desquels se rétracter, pour pouvoir reprendre, ensuite, vraiment sa route, une route vraiment nouvelle.
SupprimerPour ce qui est de Bartleby, il agit, bien sûr : dans l'abstinence, suprêmement. Mais on ne connaît pas la nature particulière du traumatisme ayant occasionné chez lui la révolte. Il dut nécessairement y en avoir un. On ne se sort pas de toute une vie aliénée sans violence, ni terreur, on ne renaît point à la raison sans d'abord renaître aux purs sens. Telles sont les deux extrémités de cette même chose continue qu'on appelle l'humanité.