mardi 12 janvier 2016

Visages de l'effroi


Le timing n'est pas mauvais. Grands massacres en fin d'année dernière, expositions anxiogènes - à commissaires - pour commencer l'année nouvelle. Ces Visages de l'effroi, en l'occurrence, sont présentés au public jusqu'au 28 février 2016 (7 balles la place, 5 si vous allez également voir L'estampe visionnaire au Petit-Palais). Pas de quoi se relever la nuit, si vous nous passez l'expression. Tout de même, quelques pièces fort impressionnantes et originales. Retour amer, d'abord, et cruel, typique de l'époque du Directoire, sur la Terreur à peine terminée : ce Triomphe de la Guillotine, par exemple, Allégorie satirique révolutionnaire (ou Triomphe de Marat aux enfers,  par Nicolas Antoine Taunay, 1795-99), plus loin une terrifiante Matière à réflexion pour les jongleurs à tête couronnée (sic) que nos amis royalistes devraient particulièrement apprécier (Louis Villeneuve, 1842), ainsi, dans le même esprit riant, que Les formes acerbes (Charles-Pierre Joseph Normand, 1795) et leur sympathique bourreau s'abreuvant sans penser à mal de sang chaud dégoulinant sous son outil de travail. La Révolution, paraît-il, transforme les hommes en loups. À quoi les loups auraient bien des choses à rétorquer, mais bon, faudrait déjà qu'ils soient entrés dans Paris pour cesser d'être complètement inaudibles. Revenons à nos moutons : la répression terroriste d'État trouve ici autrement témoignage dans Le massacre de la rue Transnonain (15 avril 1834), de Daumier. Louis Boulanger se concentre, lui, sur le fantastique pur. Outre sa magnifique lithographie (également visible à L'estampe visionnaire) La ronde du sabbat, citons Les spectres sans tête et Les fantômes. À noter également, une oeuvre très inhabituelle, et émouvante, de sa part : naïvement sadique, serait-on tentés de dire, Les amants transpercés (1830), à l'encre de Chine sur papier, décrivant une prouesse homicide de souplesse et d'horreur : un homme, à caractère de flic quelconque, étreint avec un plaisir visible (et hélas ! communicable, ce dont il ne sert, somme toute, à rien de s'indigner), le scalp d'un desdits amants, sans doute surpris à forniquer inopportunément, cependant qu'il les transperce tous deux - même trou d'entrée et de sortie - de sa pique et de l'autre main.
Sans fanfare ni trompette, Géricault, est présent en force (à tous points de vue) : sa série sur la mort de Fualdès, fait divers impliquant l'assassinat violent et méthodique de quelque notable d'importance régionale, ayant marqué l'époque, vaut le passage (comme, du reste, le traitement du même sujet par Sébastien Coeuré : ce dernier présente notamment une physionomie de voyou aux yeux exorbités - et au fusil cassé, sous le bras - extrêmement efficace et angoissante, ayant sans doute permis à la bourgeoisie de son temps de fantasmer adéquatement la racaille). Au rayon crapulerie, signalons aussi un Meurtrier d'enfants anonyme (plume et encre brune) rappelant justement que l'expressionnisme allemand d'après-guerre ne saurait conserver le monopole de l'ultra-violence ordinaire, de même qu'aujourd'hui, la ville de Cologne ne saurait écraser indûment le marché international de l'agression sexuelle miséreuse. Mais revenons à Géricault (l'artiste, voulons-nous dire, sinon c'est trop compliqué) dont le Portrait à l'agonie (par Alexandre Corréard) vient clore la propre étude graphique de morceaux de barbaque glauquement désunis, dont vous nous direz des nouvelles (voir ses études pour le Radeau de la méduse et sa Tête de jeune homme mort, 1819). Juste avant cette série rafraichissante, effet de contraste thermique : une splendide Desdémone maudite par son père, de Delacroix (1852), laisse bouleverser, alentour et conjointement, le sang palpitant de sa toge et le double brillant de ses broche et bracelet. Vous retiendront peut-être aussi, plus loin, un très beau Satan (l'habite) de Feuchère (1833), bronze au visage triste et à la virilité baudelairienne à moitié maintenus dans l'ombre (l'éclairage étant, au Musée de la vie romantique, fort délicat et agréable), ce qui permet de jouir comme il convient de la brillance trouble de ses cuisses entrecroisées. Une Décollation de Saint Jean-Baptiste (Jeanron, 1846) ravira, quant à elle (et quant à lui), nos castristes habituels (nous ne parlons point ici des partisans du régime cubain actuel, dit socialiste), cependant que - de sortie dominicale, par exemple (ou mardicale, si vous êtes chômeur parasite de la société, avec marmaille qui plus est) - la famille au complet, donc, petits et grands réunis, communiera dans la joie et l'admiration du trait redoutable de Léon Cogniet (Scène du massacre des Innocents, 1824), que l'on ne saurait comparer, céans, en termes d'intensité, qu'à l'Athalie ordonnant le massacre des enfants de la race royale de David (1824) ou - ses yeux, ses yeux ! - à la Folie de la fiancée de Lammermoor (Émile Signol, 1850). On terminera par une note d'humour, celle du Caron d'Élie Montagny bastonnant de sa lourde pagaie, sous l'oeil de Dante et Virgile, les très infortunées Âmes retardataires soucieuses d'embarquer dans son raffiot pourri (1808).
Après quoi, il sera temps de rentrer chez soi en métro ou en RER, dans un froid glacial, une brume lunaire, et l'enthousiasme de ces jours désormais rapidement achevés, c'est l'hiver, où sourd à ce point l'espoir dessous l'écho maintenu, dans la conscience, des rafales d'armes automatiques charriant partout la vertu de l'avenir.


Maintenant, évidemment, il s'agit d'estimer au plus juste ce que ce genre d'exposition peut et ne peut pas nous apporter. L'horreur, assure le colonel Walter Kurtz, dans Apocalypse Now, l'horreur a un visage. Autrement dit, elle ne serait pas sans forme, et même nous ressemblerait diablement, au point qu'il serait possible, donc, de la dévisager, de chercher à la connaître, comme on dit : sous toutes les coutures, qu'il serait possible par là même de la maintenir en respect, ou à distance, avec une morgue spécialisée et ricanante. Ce que nos amis-commissaires «romantiques» de la Petite-Athènes parisienne paraissent (voir le titre qu'ils ont choisi à l'événement) corroborer.
Mais l'effroi aurait-il, plus profondément, même potentiellement, partie liée avec la théorie de la connaissance ?
Il entre assurément dans sa définition une part essentielle d'étonnement, en quelque sorte porté au sublime, si l'on entend par «sublime» ce point d'incandescence de l'expérience extrême indicible et la capacité de celui-ci à projeter le sujet qui l'atteint (et le dépasse) au sein d'un monde neuf, de références définitivement chamboulées et reconfigurées. La sidération terrorisée, certes, semble interdire par principe autant la pensée que toute réaction pratique immédiate, s'apparentant ainsi à une forme étrange de méditation, de simple présence vertigineuse au monde : nouvelle dans son inutilité totale, inédite en son désintéressement absolu.
Dès lors qu'on couperait, cependant, le lien entre connaissance et entendement (ou plutôt qu'on le restaurerait à l'aune d'un partage des tâches humaines mieux défini entre ces deux dernières instances), la terreur et l'effroi seraient facilement reconnus comme les éducateurs décisifs qu'ils sont, incontestablement. La grande peur ne laisse en effet rien d'intact dans l'âme, elle secoue ses cadres sensoriels ordinaires, lesquels tombent littéralement en ruine, fondant les conditions d'une nouvelle mémoire et de nouvelles expériences chaque fois axées sur ce traumatisme élémentaire : «chaque fois», car semblable traumatisme se répète, à des degrés divers, tout au long de l'existence, sans que soit jamais vraiment résolue la question de savoir s'il procéderait soit d'une pure relance, d'une pure répétition traumatique originelle, soit d'une nouveauté radicale lui fournissant, au contraire, chaque fois, sa puissance de sidération. Dans tous les cas, ce traumatisme de l'effroi, après coup, aura informé, généré cette espèce de connaissance dont nous parlions initialement. Pensons à la capacité d'adaptation et de résistance vitale soulignée par Ferenczi chez les femmes par principe (dans ce monde infâme) victimes d'agressions sexuelles, et provoquant chez elles un exhaussement significatif de l'intelligence, dont la supériorité intellectuelle ordinaire des femmes sur les hommes, comme celle de toute victime sur son bourreau, serait la conséquence évidente. Une conséquence succédant, bien sûr, à l'éclatement sur le moment du psychisme dans la terreur, éclatement malgré tout conservateur puis, donc, (re)fondateur et renforçateur.
Chez certains mystiques anciens, comme Jakob Boëhme, l'effroi (Schrek) est carrément considéré comme un des stades de connaissance au sens phénoménologique : l'Effroi est le moment précédant immédiatement la Lumière (l'éclair - à la fois terrifiant et éclairant - de l'orage figurant cette ambivalence). Nous voilà revenus sur notre terre familière de la raison sensible, ou du sens rationnel, comme vous voudrez. Il est en effet envisageable qu'existe - et subsiste - aux sources de la psychologie humaine autant que de toute logique même (celle-ci imposant qu'il y ait de l'être pour pouvoir commencer à manipuler des catégories rationnelles) quelque nécessaire excès radical : quelque fond (Grund) à proprement parler sans fond (Ungrund), lui-même inconditionné, situé dans la nuit absolue, hors toute rationalité quoique prétendant, volontiers, à la rationalité après la première secousse, un premier mouvement «irrationnel» capable de projeter ce fond obscur à la lumière, à la vie, à l'être. Tel serait, chez un Jakob Boehme, donc, mais aussi chez un Schelling ou d'autres mystiques et philosophes de la Nature (et, problématiquement même, négativement, jusque chez un Hegel pourtant notoirement désireux, lui, de tout donner à maîtriser, de manière totalitaire, au Concept), cette nécessité première, non-conceptuelle, du Concept, cette logique de Grand Fond Obscur disponible pour tout raffinement intellectuel (ou, selon les points de vue, toute altération ou détérioration, en tous les cas toute sortie de soi) postérieur de la Substance primitive indivise : Dieu, en clair (ou en obscur).
Au prétendu sommeil de la raison, enfantant, comme chacun sait, des monstres, des terreurs, de l'effroi, correspondrait ainsi, en réalité, la veille la plus hautement active de l'esprit, lequel engendrerait et déposerait là comme l'éclair des cadres de pensées bientôt condamnés à l'obsolescence, l'esprit s'ennuyant, en quelque sorte, dans l'identité d'avec soi (on est devenu tout entier ce que l'on comprend), ce qui le pousserait à sortir, tout comme vous-mêmes sortez le samedi soir (la chouette de Minerve ayant, bien entendu, pris son envol) histoire de voir du monde, et de la différence. Je vais encore sortir ce soir, nous a ainsi, par exemple, récemment confié, en exclusivité, M. Étienne Daho, qui «le regrettera sans doute», il est vrai, mais à qui ce regret, du moins (M. Daho s'étant tenu, évidemment, à bonne distance du quartier du Bataclan, le treize novembre dernier) pemettra de ruminer. Car le regret nourrit, contrairement au néant qui, certes, en sa tranquillité, ne connaît ni terreur ni pitié, mais rien d'autre non plus.
De même, donc, que l'angoisse révèle sans retard certain désir profond réprimé, de même l'effroi, par la tétanisation des muscles qu'il occasionne, et l'impuissance qu'il manifeste, renverrait peut-être au projet paradoxalement homéostatique de sortie de soi perpétuelle pour elle-même (méditative) de la matière, d'insatisfaction permanente de celle-ci, de désespoir accusé par toute forme restée trop longtemps identique à elle-même. Son identité authentique ne pouvant précisément être que transitoire, l'organique désirerait ainsi faire retour à l'inorganique via d'autres formes destinées à s'abolir, sitôt passé le cycle de leurs transformations vitales successives.
Bref : cette indécision fondamentale, cette tension, cette souffrance dialectique propre à la matière, Jakob Boehme l'aperçoit, de manière poétiquement géniale, dans son ignorance illuminée même de prolétaire de la Renaissance, en cordonnier analphabète qu'il était, dégagé du lexique dominant de la philosophie et de la religion de  son temps. Il fait ainsi dériver au gré d'une étymologie purement fantaisiste (c'est-à-dire absolument sérieuse), la notion de Qualité (en allemand : Qualität) - en l'écrivant avec un ou deux L -  des termes Qual («tourment») et Quellen («gonfler»). La Qualité n'est plus une simple catégorie logique, servant à gérer, à administrer un univers formel statique et impersonnel, elle reflète le tourment subjectif d'un Principe premier (ici, Dieu) condamné, par ce tourment même, par cet ennui, cette géhenne, à sortir de son identité vide. De même, l'effroi (Schrek) sera condition de la connaissance et de la socialité humaines. De telles intuitions géniales étaient, on le voit bien, réservées à un ignorant selon les critères ordinaires de l'entendement : « Une fois de plus, écrit Ernst Bloch, Böhme recourt à une catégorie psychique, l'effroi, et l'identifie totalement à ce que la philosophie naturaliste considère, comme une catégorie qualitative, au feu qui effraie, et qui pour cette raison même ne provoque pas seulement, quand il se présente sous l'aspect de la foudre, une frayeur primitive, mais qui est lui-même frayeur. Ce feu négatif guette au fond de toutes les choses et se manifeste à la première occasion comme agent destructeur. Pour Jakob Böhme, chaque grand orage est une répétition de la fin du monde ; mais l'éclair est aussi une manifestation fulgurante du OUI, un retournement dialectique. Car c'est ce même feu qui, outre la frayeur, enfante aussi chaleur et lumière. Le feu dévorant devient la flamme dans l'âtre qui rassemble les humains. Dans l'univers il est le feu du milieu qui réchauffe et éclaire tout, le brasier du soleil qui nous apporte le printemps, qui fait éclore la vie, qui se manifeste par la chaleur et la chose la plus plaisante, la lumière - c'est donc le feu qui, libéré, donne naissance à la cinquième force foisonnante, à la lumière : le monde s'éclaire» (in Philosophie de la Renaissance, Payot, p. 106-107).
Que l'effroi, donc, paralyse vraisemblablement autant qu'il incite à sortir apparaît donc capital. Dans un cas comme dans l'autre, quelque conduite que le terrorisé choisisse d'adopter, l'effroi, irrémédiablement, instruit à mesure même qu'il empêche de faire.
M. Boucheron disserte, paraît-il, ces jours-ci, sur la peur et la terreur de masse, au Collège de France et ailleurs. La peur, l'effroi seraient ainsi, selon lui, pour peu qu'on les étudie sérieusement, dans leur phénoménalité historique, susceptibles d'étonnants enseignements, progrès ou résistances de civilisation. Apprendrait-on quelque chose de valable, tirerait-on quelque puissance insoupçonnée de l'effroi ? La proposition a de quoi rebuter. Les économistes, en particulier, et les politiciens n'ont pas de mots assez durs contre cette logique de l'effroi, qui achèverait, nous répètent-ils ad nauseam, de donner raison aux terroristes. Mais qu'on prenne cinq secondes pour observer, et ne serait-ce que s'amuser de cette dernière expression triviale. La répression terroriste ou anti-terroriste, en dépit de son aspect science-fictionnesque, monstrueux, extraordinairement étranger, recèle toujours, en réalité, une faiblesse, un point faible prosaïquement trop humains : ses très ordinaires buts et finalités économiques. Que ce soit du point de vue de M. Hollande ou de Daech, pas de répression intéressante sans un marché à faire tourner à pleine cadence, gonflé d'agressivité morbide subtilement agencée et optimisée par les maîtres économiques. Pas d'effroi terroriste sans finalité productive. C'est d'ailleurs la raison pourquoi le jihadisme aigü sera bientôt vaincu, dépassé dans la productivité et ravalé au rang de moment d'ajustement, et qu'il cédera in fine la place au seul type de productivité (moralement conservatrice) acceptant d'intégrer à son colossal profit les ressources seulement instrumentalisables de la terreur.
Mais la sidération improductive de la terreur, elle : celle dont on reconnaît avec jouissance, au Musée de la vie romantique ou ailleurs, la trace sensible organiquement humaine, disséminée dans certaines oeuvres d'art des temps passés, ne serait-elle pas l'autre face, paradoxalement prometteuse, de semblables instrumentalisations ? Les Français, entre autres, finiront-ils, un de ces beaux jours sombres, par refuser d'aller bosser de terreur, tout comme le film l'An 01 postulait jadis - autres temps autres moeurs ! - un refus consciemment vitaliste, volontaire, de l'absurdité économique ? En toutes choses, après tout, c'est bien le grain de sable dans les rouages, quelle que soit sa couleur, et le pas de côté, ou la seconde décisive d'arrêt et de stupeur, qui compte. Il n'y a pas loin, au fond (Grund), de la jouissance et du repos des bienheureux, à la mort, à l'inactivité et au nirvana. Ce serait alors dans l'effroi sans fin, dans son assomption esthétique comme début de ce progrès mental, simplement humain, qu'il occasionnerait désormais (car désormais aperçu en pleine lumière) vers l'essentiel de la vie, la haute valeur, la beauté de celle-ci enfin intuitionnée pour elle-même (L'Homme qui dort, de Perec, cette fois pour une bonne raison : reprendre des forces, tel un ours, au coeur glacé de l'hiver terroriste) que reposerait la solution méditative, subversive, aux problèmes de notre temps. Un tel effroi, en somme, comme impulsion désorganisatrice, féconde en désertions absolues, remplacerait avec avantage les effrois nihilistes instrumentaux dont nous risquons sinon, ici bas, de souffrir longtemps la bride répugnante, jusqu'à ce que mort s'ensuive. 

4 commentaires:

  1. Moine, vous passez sous silence un beau "Prométhée" de Brocas dans une des premières salles.
    À vous lire, stupéfié plus qu'effrayé !
    Et voilà tout ce qui importe si je vous suis bien ?

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    1. Salut paulo, bonne année !
      oui, vous avez raison : le " supplice de Prométhée " (Charles Brocas). Nous l'avions également repéré.
      Vous avez raison aussi quant à la suite, et à la stupeur. Nous n'idéalisons pas l'effroi en tant que tel : l'essentiel, c'est le moment d'arrêt, la mise à distance, la suspension, le GRAND CHOC faisant soudain que tout s'arrête, tout se fige, tout GRÈVE, avant de repartir autrement. Qu'importe - en effet - la diversité impénétrable de ses voies. " Ma stupeur a toujours dominé ma colère " disait Villiers de l'Isle-Adam.
      À méditer.

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    2. Il y a un petit fond Bartleby dans tout ça; Bartleby agit-il ?

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    3. Un grand fond, vous voulez dire. Un fond "sans fond". Ce que d'autres, après Schelling, appelleront l'inconscient (avec un petit "i", eux) : le non-rationnel situé avant, ou plutôt dessous, ou à côté, et, en tous cas, permettant le rationnel. Le grand silence, la grande obscurité qu'il s'agit de retrouver, au sein desquels se rétracter, pour pouvoir reprendre, ensuite, vraiment sa route, une route vraiment nouvelle.
      Pour ce qui est de Bartleby, il agit, bien sûr : dans l'abstinence, suprêmement. Mais on ne connaît pas la nature particulière du traumatisme ayant occasionné chez lui la révolte. Il dut nécessairement y en avoir un. On ne se sort pas de toute une vie aliénée sans violence, ni terreur, on ne renaît point à la raison sans d'abord renaître aux purs sens. Telles sont les deux extrémités de cette même chose continue qu'on appelle l'humanité.

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