Ci-dessous, un texte passionnant du camarade encyclopédiste-populaire Ali Saïdane, que l'on embrasse évidemment, au-delà des mers, des peines, des luttes et du destin. Alors, à quand un verre une tournée française ? Histoire de causer sans fin, au fond d'un rade : de Baudelaire, d'Omar Khayam, du temps qui passe et autres seuls sujets d'intérêt valable ?
***
« Il n’y a pas de doute, en
fin de compte, que le mézoued de la deuxième moitié du XXème siècle, va opérer
une démarcation nette et sans appel de son origine et de son contenu soufis,
pour ne garder que la marginalité qui a caractérisé ses adeptes d’une part et
revendiquer sa propre langue, d’autre part. Une langue née du contexte
socio-économique des périphéries des grandes villes et non pas seulement de la
capitale. Le mézoued va réaliser ce que la langue de bois de la politique et de
la culture dominante (y compris l’école) n’ont jamais pu réaliser : l’homogénéisation de la langue de la jeunesse par le biais d’une chanson
rebelle et insoumise -socialement correcte cela s’entend. Le mézoued va
chanter l’amour, le mal être, le vin, la misère sexuelle, l’exil, la prison en
un mot : la vie autrement.Face à un système qui a érigé l’asphyxie de la liberté
d’expression en un mode de vie, le mézoued, sans grandes prétentions
politiques, va toucher la jeunesse la où ça fait mal: Le vécu. Chanter est
devenu synonyme de s’exprimer. Le corps ainsi va esquisser sa prise de parole
par cordes vocale interposées. Danser-
consciemment - pour des «mâles» a toujours été tabou ou presque. La danse, avec la colonisation, l’apparition du cinématographe, les films
égyptiens chantants, l’ouverture des salles de spectacles et cafés chantants
avec des danseuses«bédouines», les San’aats dans les soirées de mariages, tout
cela faisait de la danse un acte socialement tabou pour les femmes! Que dire
alors des hommes! Les danses dans notre société traditionnelle étaient
codifiées selon les régions, si les danses soufies (Chathat ou Takhmira)
étaient admises du fait de leurs aspects non profane, thérapeutique et
l’inconscience de leurs sujets, les danses profanes étaient des rituels où les danseurs(les
corps) ne se mélangeaient jamais. Les danseuses (corps) ne se donnaient pas en
spectacle à l’exception du Nakh des régions de Nefzaouas Ouerghemmas : Où c’est
la chevelure qui se substitue au corps, sinon les femmes mélangent leurs corps
entre elles. Par contre les hommes paradent dans leurs danses spécifiques
(Zgara, Miz, Hammedi et autres Gougou) assistant leurs corps de «béquilles»
cannes bâtons ou fusils etc… Le corps enveloppé dans les houlis et autres
vêtements amples arrive difficilement à parler, il balbutie, il n’est pas
exposé il est suggéré. Il raconte une histoire connue et non vécue, les
mouvements du corps des uns et des autres, ont du mal a les distinguer d’entre
eux. Longtemps la danse – et avec un degré moindre la musique, la
chanson et le théâtre- comme une activité de gens aux moeurs légères et non
fréquentables, n’était pas revendiquée comme un besoin individuel comme le
sport et la gymnastique car l’image que renvoyaient les spectacles de variétés
ou les films égyptiens renforçait dans la société cette opinion négative. Les
spectacles bon marché des cafés chantants pendant le mois de ramadhan
n’amélioraient guère cette appréciation sévère à en juger par les sobriquets
donnés à certaines danseuses : Zohra lambouba ou Aicha Chok el Osbane.
Danse,
travestissements et jeux de rôles.
Face à l’interdiction du mélange des
genres dans la danse, la société traditionnelle s’est crée des parades assez
originelles empruntant au jeu de rôles ses fondements et techniques, ces
parades ne se limitaient pas à la danse mais s’étendaient à divers jeux de
divertissements populaires. La parade consistait principalement à établir une
convention entre les participants : D’une part les «acteurs/actrices» et
d’autre part les «spectateurs/spectatrices» dans chacun des deux groupes
(hommes et femmes). Dans chaque ensemble ou groupe social d’un village ou d’un
quartier ou d’un groupe de familles, se distinguent une ou plusieurs personnes
pour leur habileté au jeux ou au chant ou à la « comédie » ou à la danse etc…
Ses personnes finissent par devenir les « acteurs » attitrés pour tel ou tel
rôle, certaines vieilles jouaient les rôles des tasrafiltes, sorte
d’épouvantails vivant qui terrorisaient les gamins les jours de l’aids,
d’autres vieillards jouaient le rôle des dromadaires etc. Pendant les
mariages certains jeunes gens ou jeunes filles se travestissaient dans le sexe
opposé au leur, les filles se dessinaient des moustaches et s’habillaient en
garçons alors que les garçons se grimaient en dames avec des maquillages
traditionnels (Dabgha Harkous Khol et diverses poudres et rouge à lèvres) Comme
au théâtre populaire italien les personnages ont les traits « grossiers » et
les costumes proches du burlesque l’objectif étant de créer une atmosphère de
joie de rire et de bonne humeur. Toutefois ceci n’exclut pas des sous entendus
non dits ou secrets de polichinelles, comme les tendances homosexuelles de
certains danseurs/danseuses que la communauté admettait avec beaucoup de
tolérance et de bonne humeur. Ces manifestation largement répandues dans les
régions de l’intérieurs et des grandes villes ont persisté jusqu’aux années 60
Tunis et ailleurs. Par ailleurs, dans certains milieux et quartiers, il n’est
pas exclu de rencontrer des phénomènes «carioca» parmi les homosexuels des
villes ou des bas fonds des quartiers mal famés, ces «cariocas» donnaient des
spectacles de danses dans les cafés et tavernes. Après l’indépendance et
malgré l’arrivée des danseuses prestigieuses Aicha et Mamia les compagnes de
scènes de Smail Hattab ou les sœurs Zina et Aziza les partenaires de Hamadi
Laghbabi, l’image de la danse demeurait difficilement acceptable aux yeux des
tunisiens moyens, c’est seulement grâce aux clubs de la jeunesse scolaires dans
les lycées ainsi que les clubs des auberges de la jeunesse que va s’amorcer
l’intérêt ensuite un engouement relatif d’une partie de la jeunesse pour la
danse aussi bien traditionnelle ou orientale, que classique et occidentale. La danse des
hommes entre hommes dans le rituel du mézoued de la première moitié du XXème
était une danse de marginaux une sorte de prolongement d’un paraître fallacieux
et qui ne convainc guère. La danse de la génération née avec l’indépendance est
la prise de parole du corps dans un espace social où la liberté de parole est
interdite. Le corps ne fait plus honte, il est une affirmation d’être et d’un
vécu à la fois douloureux par les frustrations subies, et jubilatoire dans le
partage avec ses congénères.»
(Ali Saïdane)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire