Aya Takagi, Mémoire de la lumière.
Aya Takagi était seule. Seule moins nous (la pauvre), qui errions sur la dalle glacée et lugubre de l'École de médecine, goûtant débilement d'y faire claquer notre talon, c'est bête, pour l'entendre, résonner, ahuris aussi devant certaines des belles oeuvres de Aya Takagi, très sage là-bas, à sa table (c'est juste avant la fermeture, elle doit consulter son Facebook ou autre chose d'important). Aya Takagi, ensuite, nous fit l'aumône de ses gentillesses distinguées, de sa politesse égalitariste abstraite, lors même qu'il semblait évident que nous ne serions pas pour elle le meilleur client de la semaine. Mais va savoir, avec les artistes. Nous la fîmes rire. Involontairement, sans aucun doute. Nous ne souvenons pas très bien. La dernière fois, en janvier, à la Fondation Taylor, elle n'avait pas ri du tout. En sorte que nous avons dû bredouiller, là, un peu gris que nous étions, quelque chose d'extrêmement spirituel et novateur.
De l'autre côté de la rue - à quelques mètres des monstres baignant dans le formol du Musée Dupuytren (désormais rouvert) - il y avait eu, un quart d'heure auparavant, le très mondain vernissage de la rencontre Elsa Cross-Teresa Rubio. Non que nous eussions franchement préféré la première, poétesse, à la seconde, peintre, mais enfin Elsa Cross, petite protégée d'Octavio Paz, parlait quelque part, sur ces murs médicaux déplacés, de la grande lagune de Bacalar, que nous avions connue autrefois, dans un poème disant que :
Les nuages couvrent tout comme le rêve.
Je perds, quant à moi, de ma substance,
je m'écoule, sans forme,
parmi les coteaux endormis.
parmi les coteaux endormis.
Peu de coteaux, ici. De l'endormissement, par contre, tant que vous puissiez vouloir. C'est Paris, après tout. C'est ainsi. C'est l'époque. Nous l'avions, pourtant, emprunté avec vigueur, le chemin de ce coeur battant de l'événement, au bout de la galerie, premier étage gauche. Des flèches photocopiées l'indiquaient avec assez de pédagogie. Partout, des bourgeois ignobles, pathétiques, un ambassadeur du Mexique, ou son sbire culturel errant, traînant son ennui fortuné, obscène, débraillé. Pas tous antipathiques, tous terrifiants de détresse puante. Les plus vieux, certes, titulaires, comme d'habitude, puisque pourvus de certaines références anciennes, des regards les moins morts, peut-être. Leur corps, en attendant, figé sur des chaises. Ou des cannes. Là, sur place, évidemment, ne rien dire du tout. Aviser prestement, d'un regard circulaire impérial, impérieux ! la bouteille de drogue dure bien fraîche qui me portera satisfaction. Je m'en empare d'un geste de prince. Je serai resté - ce dit geste-là et celui, concomitant, de l'embarquement du catalogue luxueux de l'exposition compris - moins de sept minutes. J'ai calculé. D'abord, je retourne guetter, équipé de mon nouveau verre et de ma solitude adéquate, cette grande Mort à la faux du Musée de l'École de Médecine, sise dans un renflement de chapelle, très efficacement étrange, de nuit. Puis déambule derechef, correctement chargé à présent, parmi la promenade et les oeuvres croisées de Teresa Rubio et Elsa Cross. D'où vient qu'il m'avait séduit, déjà, ce but de dérive-là ? Je ne m'en souviens guère, mais je m'auto-moque. Tout de même, quelques topographies turquoises ou enflammées, sanguines (la numéro 17). Ce passage vaguement plotinien :
L'oeil inaugure
sa propre gravitation
dans l'invisible.
Il lie et délie
la forme et la non-forme.
Il brise et restaure
ses miroirs.
sa propre gravitation
dans l'invisible.
Il lie et délie
la forme et la non-forme.
Il brise et restaure
ses miroirs.
Teresa Rubio, Topographia.
Je m'abîme malgré tout (quelque chose ne va pas : un grain de photographie décidément trompeur m'aura mené ici) dans de sombres réflexions informes sur l'oeuvre d'art, à l'heure de sa reproduction m...... Et au-dehors de toute cette grandioseté m'attendent, enfin, des rues bousculées de voitures, des axes encombrés, bruyants, puants. Dans ce café, là-bas, que je distingue tant bien que mal sous la pluie, voilà presque exactement vingt ans, me dis-je, que j'observais, tout en l'embrassant, le visage de certaine femme adorée, plus que tout au monde. Du moins n'ai-je pas changé, moi. Et quant à elle ? Où sera-t-elle partie trahir, encore ? Coup de menton. Sourire satisfait. Gloire des fiertés conservatrices. On rentre.
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