Le moine bleu :
Une Assemblée générale qui tourne au drame
(sous-titre : Tout ce qui divise la classe ouvrière est mauvais),
vers 2012 ap. J.-C.
Un
temps s'avance, plus guère lointain, où les derniers djihadistes survivants de
Syrie, d'Irak, du Val-de-Marne et d'ailleurs, éclopés, épuisés, ayant perdu
successivement la jambe gauche, le poumon arrière puis le testicule droit au
cours de moult batailles acharnées, auront désormais à coeur d'employer le
temps et les organes qui leur restent à servir différemment la
gloire du Seigneur : en d'autres termes à faire des affaires sous son
soleil d'airain. Ils pourront, ce jour-là, se souvenir que M. Erdogan, islamiste
modéré, c'est-à-dire grand massacreur modéré de
kurdes, d'athées et de révolutionnaires turcs, avait, de très longue date déjà,
fourni le modèle impeccable d'une telle parfaite reconversion, d'un
alliage idéal - et même idéhallal, si l'on
nous passe ce néologisme douteux - du capitalisme le plus violent, le plus
impitoyable, le plus dénué de sentiments, en deux mots : le plus efficace et
macronien, avec la rigueur morale suprêmement digne
qu'exige à chaque instant le service fidèle du Très-miséricordieux. L'Arabie
saoudite, l'Indonésie (ou le Qatar, bien entendu, charmant
micro-pays folklorique ami de la France des Lumières, dont il détient
désormais, comme chacun sait, les conditions expresses du rêve permanent sous
forme d'hôtels de luxe ou de clubs de football) pourront alors également offrir
à nos délicats vétérans l'exemple absolu de cette tartufferie splendide (au
sens noble) laissant-faire et laissant-passer en matière
économique (sans oublier de laisser massacrer,
évidemment, tout ce qui - dans un tel cadre idyllique - pourrait ressembler à
une révolte, ou à une simple protestation de travailleurs réduits en esclavage)
cependant, donc, qu'elle reste intraitable sur
le plan des moeurs, de la religion, du
respect perpétuel des meilleures bienséances, bref : sur
le plan des valeurs. Et alors, notre djihadiste de Syrie, ayant jadis tout
donné à la cause, s'étant autrefois grisé de ces belles folies de jeunesse
qu'auront été pour lui les décapitations de masse au couteau rouillé, les viols
collectifs d'enfants mécréants de douze ans ou la destruction systématique à
l'explosif de trésors archéologiques hellénistiques d'inestimable importance,
se plongera, une dernière fois, dans la pure extase mystique en toute
innocence, devant ces gigantesques buildings d'acier dont quelque ancien
collègue de combat lui aura délégué, d'un geste imperceptible, la charge de l'érection proéminente puis, en tournant le regard à l'ouest, ces stades de
coupe du monde, délicieux et saillis, sous ses nouvelles responsabilités
managériales, en quelques mois, à peine, des entrailles de la Terre
pétrolifère, à coups de trique assénés, jusqu'à la mort au besoin - lorsque les
délais et la conjoncture l'auront exigé - sur les épaules d'immigrés infidèles,
et imbéciles. Là, songeant, décidément, à la belle réussite de
synthèse de cet islam moderniste, de cet islam
de paix, de cet islam de l'économie autant que des valeurs lequel,
partout, succèdera - avec la bénédiction du monde, dans le suave concert des
nations réconciliées - aux bien regrettables, sans doute ! aux malencontreux débordements
enthousiastes de feu l'État islamique, notre
héros entrepreneur d'aujourd'hui se dira, une fois encore, goguenard, et dans
un sourire malicieux : « Les valeurs, et les voleurs ! bordel de Dieu,
il n'y a que ça de vrai ! »
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