Le moine bleu,
Cantique à soeur-grosse-batte (détail)
Nous ne sommes pas contre la religion. Nous sommes contre la transcendance. Nous sommes contre la sublimité de tout Dieu ingrat tenté de se maintenir dans une distance infinie, incommensurable, vis-à-vis de la conscience humaine l'ayant un jour engendré. En accouchant de ce Dieu, la conscience humaine accouchait d'un but : celui, non encore clairement aperçu par elle, de célébrer et de hâter la venue définitive de sa propre gloire concrète. Au travers de la gloire de Dieu, nous ne pouvons jamais reconnaître que la gloire travestie de notre propre félicité terrestre, le plaisir humain retardé de tourner enfin autour de nous-mêmes, comme autour de notre propre soleil. Aussi n'avons-nous que faire de corriger à la marge le projet religieux dominant, ni d'opposer niaisement mystique et positivité cléricale. Les mystiques de la transcendance et de la soumission - dont le djihadisme mondialisé fournit le tragique exemple contemporain - valent bien, en termes de pourriture, l'orthodoxie mécanique et froide. Il ne s'agit pas pour nous de fusionner, de disparaître, de nous abîmer en Dieu dans les transes. Il s'agit de devenir Dieu. Il s'agit que Dieu nous laisse à jamais sa place, qu'il aura d'ailleurs pris le soin - et le temps - de chauffer. Tel est le seul grand remplacement que nous daignons connaître et que nous appelons de nos souhaits. « L'essence de l'État comme de la religion est la peur de l'humanité devant elle-même » écrivait le jeune Engels. Le respect sans question accordé à Dieu procède toujours d'une consolation de lâche. Tout Dieu rechignant à céder son trône, regimbant à lâcher son sceptre, renâclant à s'effacer, vieille barbe ! au profit de notre propre règne humain millénaire, ne saurait mériter de notre part qu'un mépris et une colère également putschistes.
Bon d'accord, Moine bleu.
RépondreSupprimerN'empêche.
Nous, on aurait bien aimé avoir quelques défaillances, extases et autres joies suppliciantes comme Hadewijch, Thérèse ou Suster Bertken. Voire celles, plus secrètes, de Jean de la Croix ou Henri Suso.
On a un peu honte.
Mais on aurait bien aimé.
C'est bon, la honte (Senoble).
RépondreSupprimerL'extase, pour échapper au réel...
RépondreSupprimerJe ne sais pas, vraiment je ne sais pas. Quand bien même ce réel aurait la gueule qu'il a en ce moment.
Il faut vraiment que j'y réfléchisse - et notre Moine de nous y aider, le bougre !
Aucune honte à avoir, jeune cinéphile, on est entre camarades.
À quoi le djihadiste - qui connaît par coeur ce discours - répondra, imperturbable, que vous manquez d'humilité et que votre vanité vous perdra. Et très "rationnellement" il ajoutera que si Dieu n'existe pas, il faut absolument l'inventer pour s'assurer que les hommes ne se dévorent pas entre eux. Car que dénonce le djihadiste ? La guerre, l'exploitation de l'homme par l'homme, l'usure, etc. Or seule, selon lui, cette transcendance, synonyme d'égalité entre tous les hommes sous l'autorité d'Allah, peut garantir la fin de la guerre, de l'exploitation et de l'usure.
RépondreSupprimerPour ce qui est de notre manque d'humilité, votre djihadiste pourra bien avoir raison. Pour le reste, vous-même faites erreur. L'islam attend toujours sa théologie de la libération, et son Joachim de Flore. " Il n'y a pas de luttes de classes en Islam " disait Ali Benhadj, que nous faisons l'effort d'écouter et de prendre au sérieux, contrairement aux gens tolérants - d'ailleurs souvent non-musulmans - pour qui il n'est de musulman authentique que "modéré", genre MM. Boubakeur ou Chelghoumi. Le djihadiste ne " connaît par coeur " qu'un seul texte : celui - sacré - auquel il jouit de se soumettre intégralement, et de soumettre sa capacité de raisonnement, sa puissance spécifiquement humaine, en bon masochiste qu'il est. Il ne combat évidemment, explicitement ou implicitement, ni " l'exploitation " ni " l'usure " ni - certainement - " la guerre ".
SupprimerL'arbitraire auquel vous faites référence (cette idée d'une absurdité mettant, en quelque sorte, du fait de son énormité même, tout le monde d'accord devant son caractère sidérant) n'est autre que celui éblouissant encore les débris abrutis-royalistes de l'Action Française et assimilés : le Roi, désigné par l'arbitraire de sa naissance, et placé par icelui, de facto, au-dessus des partis et des classes, etc. La vérité mystificatrice d'une telle position de classe se trouve, bien sûr, éventée de très longue date.
J'aimerais vous donner raison, mais j'ai regardé la dernière production de l'auto-proclamé État islamique, qui nous retrace pendant une heure l'histoire de l'abandon de l'étalon-or et accuse l'Amérique - et bien sûr les juifs - d'avoir abusé de l'usure via les crédits pourris faits depuis quelques dizaines d'années aux États, entreprises et particuliers. Le texte sacré des musulmans condamne, paraît-il, les prêts à taux variables. Pour la "lutte des classes", il est vrai qu'aucun "califat" ni théologien musulman ne l'a jamais, à ma connaissance, défendue (quoique Mohammed Arkoun a bien tenté de lier islam et marxisme). Alors je précise : les délires salafistes s'en prennent à "l'injustice" et non à "l'exploitation". On est loin, c'est sûr, de la "lutte des classes". Mais si le djihadisme offre un certain charme à des musulmans russes, chinois, africains, maghrébins, et jusqu'à de "bons" Occidentaux blancs de culture chrétienne, c'est aussi qu'il prétend s'en prendre au racisme, à l'exclusion sociale et à l'oppression des minorités. Toute frustration est bonne à prendre, certes, mais d'une part le religionnisme musulman prétend justement en finir avec elle(s), et d'autre part il promet en échange une forme d'égalité qui, bien qu'éventée, connaît un succès dont le communisme libertaire peut être jaloux. D'accord avec vous pour remédier à ces frustrations sans s'accrocher à une transcendance, mais avec quoi ? Trenkle, à la fin de son excellent texte (malheureusement mal traduit) appelé "Pourquoi l'islamisme ne peut pas être expliqué à partir de la religion", pose la même urgente question :
RépondreSupprimer"Il existe un point commun fondamental entre les fanatiques islamistes et leurs adversaires militants de Pegida et du Front National. Dans les deux cas, la force motrice est l’impulsion régressive d’évacuer la pression sociale produite par la crise à travers la discrimination d’un ennemi imaginaire. Face à cela, on s’égare complètement en en appelant à une compréhension « interculturelle » ou « interreligieuse » ; car on n’a pas affaire ici à un conflit entre différentes « cultures », mais à une polarisation agressive entre diverses identités collectives régressives au sein même du système capitaliste mondial, une confrontation qui devient elle-même un facteur de la crise globale, en ce sens qu’elle engendre une sorte d’état de guerre permanent. Il est également vain, dans cette situation, de mettre en avant les valeurs républicaines ou démocratiques de liberté et d’égalité. Ces valeurs ont perdu depuis longtemps leur force de rayonnement parce que l’exclusion sociale et raciste, la monétarisation de tous les domaines de la vie et les incessantes campagnes étatiques de contrôle, y compris dans les démocraties occidentales, les ont vidées de leur contenu. Il est bien plutôt indispensable de trouver une nouvelle orientation émancipatrice qui vise le dépassement de la logique capitaliste et de sa subjectivité devenue insensée."
Assez juste. À ceci près que nulle part n'est fait mention, dans la dernière citation, de cette faille archaïque - volontiers béante - s'ouvrant sous les pieds, et dans l'inconscient, des DÉPOSSÉDÉS de toutes époques, lesquels deviennent facilement, par là même, des DÉMONS. Le nazisme aussi, comme le salafisme, promettait l'égalité sans lutte des classes, la fraternité des riches et des pauvres sous une bannière de justice " millénaire ". Il avait, lui aussi, une solide base prolétarienne, tandis que son discours flattait idéalement le petit-bourgeois frustré, et déclassé (moins le grand capitalisme, dès lors qu'il eut rempli son rôle anti-révolutionnaire). Bloch reprochait ainsi, en son temps aux communistes allemands de ne pas avoir combattu la propagande nazie sur son propre terrain, c'est-à-dire, précisément, celui de la frustration et celui de l'imaginaire, relégué par le marxisme vulgaire - économiste - au rang de vieillerie réactionnaire inopérante. En sorte que les nazis pouvaient présenter les communistes comme les jumeaux abstraits-calculateurs des capitalistes-apatrides. Gramsci disait aussi que les concepts ne se frayaient pas jusqu'aux consciences du prolétariat le même chemin facile - et mobilisateur - que les contes, les histoires magiques et païennes méprisés par la bourgeoisie scientiste.
SupprimerLe problème est au fond celui de sortir des hypostases stupides " immigrée ", " migrant ", " musulman", etc, acceptées de manière terrifiante par le gauchisme actuel. Le problème est d'assumer la décomposition - dialectique : à la fois terrible et prometteuse, apocalyptique - à laquelle sont soumises les identités par le capitalisme mondialisé. Debord, dans sa Note sur la question des immigrés, rappelait vers 1986 (cette note a d'ailleurs vieilli sur bien des points) que des esclaves déjà expropriés de leur existence (les "français") seraient bien en peine de se plaindre de ce triste état de fait en en rendant responsables d'autres dépossédés, jetés juste comme eux dans le maelström libéral de perte absolue, d'acculturation, et d'analphabétisme politique, les ayant emportés. Remédier à ces frustrations en s'accrochant à quoi, demandez-vous ? Ma foi, nous ne sommes pas professeurs en désaliénation. La révolution prolétarienne, cependant, pourvoyeuse d'une rage sacrée à l'égard de toute identité et de toute oppression nous paraît une bonne piste. Elle présente hélas ! ses dangers, ses impatiences, et ses désespérances.
Merci pour votre réponse. Je suis content de découvrir vos textes.
RépondreSupprimer(Trenkle et ses camarades de la Wertkritik s'en prennent eux aussi au "marxisme vulgaire" - vous connaissez des marxistes non-vulgaires à l'heure d'aujourd'hui ?)
Oui, on appelle cela des anarchistes. Mais il est vrai que la denrée se fait rare, par les (mauvais) temps qui courent.
SupprimerMerci à vous, en tout cas.
Tout le plaisir était pour nous.
"Nous ne sommes pas contre la religion. Nous sommes contre la transcendance." C'est marrant, cher moine, j'ai tendance à penser l'inverse. "Je ne suis pas contre la transcendance. Je suis contre la religion". Je reconnais volontiers qu'une certaine force morale peut résider dans le dépassement de la transcendance; mais ceci est toujours plus facile à dire qu'à faire; et je ne reprocherai à personne, confronté à la vacuité de l'existence, d'y chercher un réconfort, un moyen de se rassurer. Par contre, si y a bien un truc qui m'énerve c'est de se raconter des histoires ou, plutôt, de raconter aux autres, des histoires, d'affabuler: c'est-à-dire de déformer les faits (ce récit affabulateur est, selon moi, ce qui définit la religion). En cela, la religion est, avec l'idéologie, le pire ennemi de la pensée. Mais je pense finalement que nous sommes d'accord, camarade gauchiste. Et, tant qu'on y est, permettez moi de liker votre dernier billet sur les Femen. Allez, un peu de transe musique pour finir: https://www.youtube.com/watch?v=jtswRJcVI1E
RépondreSupprimerPrh
Likez, likez.
RépondreSupprimerIl en restera toujours quelque chose.
Merci pour ça, moinillon. Vous nous faites du bien.
RépondreSupprimerPrenez garde, ma très-chère, que le bien, c'est le mal.
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