Le mieux, pour approcher la merveille, est de remonter l'aile Sully, pour aboutir dans la salle des Caryatides, figurant ces géantes dont la pointe délicate des seins vous incite - cruelle et délicieuse, et dominé que vous êtes - à remonter vers eux, en léchant, et dévorant, tout ce que l'appétit vous suggère, au gré de rampements soumis d'escargot vil, baveux et misérable. Puis de venir saluer Homère, Hésiode, Pan retirant une épine du pied d'un satyre, et toute cette foultitude de créatures héllènes, nos déesses, nos dieux éternels, ivres et voluptueux, qui feront toujours le bonheur de vivre, parmi ce monde de curés hostiles et méchants. Vous croiserez sur votre chemin la Vénus de Milo, entourée de ces bustes de marbre étêtés aux seins plaqués de tissu inondé (comiquement dénommés, après coup : de pudicité) ainsi qu'un panthéon de sexe et de fesses bombées, dont celles de l'infâme Arès, hélas ! les plus émouvantes, non moins que ses débordements abdominaux, le mufle. C'est au croisement de l'aile Denon, enfin, au sommet du grand escalier Daru, que vous la devinerez déjà, dans un bruissement de plumage, bien avant que de l'apercevoir. Elle y est de retour, après des années de restauration, comme ils disent.
Elle est sublime.
Socle de marbre gris de Rhodes, partie gauche du buste et aile droite de plâtre reconstituées, paraît-il. Certes. Aucune importance. Car voilà cette cuisse gauche servie par la poussée terrible du talon, cette courbure d'élan guerrier, et de pleine santé. A-t-on jamais admiré virilité plus authentique, merci ô femmes ! ni force plus irrésistible que cet écrasement annoncé de l'adversité la plus résolue, la plus laideronne et multiple ? Car voilà la Victoire elle-même, en marbre de Paros, témoignant de quelque réussite navale et militaire, de quelque rosserie grandiose, selon le mot de Léon Bloy, dont l'Histoire peine à recouvrer l'emplacement, ni le nom des protagonistes exacts, et c'est justice d'indifférence. Aucun texte, aucune appréciation notable n'en révèle la signification, depuis ce jour maudit où quelque sombre margoulin français aura décidé d'en dépouiller le sol béni des Grands Dieux de Samothrace, lesquels, orphelins d'elle, attendent à présent son retour, dans le vide et l'espérance.
L'espérance, justement, serait un de ses usages possibles : la Victoire portant secours traditionnel aux naufragés. Mais lesquels, bon dieu ? Nous autres, naufragés modernes, lorsque nous agrippons notre oeil, éméché, sur cette cordelette martyrisant ses seins, qui les écrase, les tire et les montre saillant dessous, encore, ce tissu mouillé de plissements divins, lorsque nous nous délectons à mort de ce velouté de plumes arqué tel l'envergure d'un Satan bienfaiteur, il n'est que ce pur appel qui nous tienne, nous arrache à toute cette boue, nous plaque contre sa poitrine, nous mène au soleil jusqu'à fondre. Il nous domine, nous protège, il veille. Nous ne nous connaissons pas encore du fait que nous sommes infinis, et voilà ce que nous chante cet appel-là, vers quoi au juste ? Peu importe. Cet appel, c'est la seule chose de vrai, la seule vérité inconnue, inconnaissable et surtout absolument familière.
S'il s'agit d'une déesse portant secours aux naufragés, elle donne envie de regagner la terre ferme ! Et s'il s'agit d'une Victoire, d'épouser la beauté !
RépondreSupprimerAllez la voir, cher André. Laissez-vous arracher, et emporter. Une bise à Y.
SupprimerAh, ces mots tracent sa motte trash !
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