« Rance Hendrix, spécialiste en exo-psychologie (psychologie des autres mondes) attaché à la troisième expédition vénusienne, arpentait avec lassitude les sables chauds à la recherche d'un Vénusien ; dès qu'il en aurait rencontré un, il tenterait d'établir des relations amicales : c'était sa cinquième tentative. L'entreprise était décourageante. Les quatre tentatives précédentes avaient abouti à quatre échecs. Les experts attachés aux expéditions précédentes n'avaient, eux aussi, enregistré que des échecs.
Ce n'est pas rencontrer un Vénusien qui était difficile ; mais tous ceux qu'on avait rencontrés ne s'intéressaient absolument pas aux Terriens, et aucun d'entre eux n'avait manifesté la moindre disposition amicale. Cette absence totale de sociabilité était d'autant plus étrange que les Vénusiens parlaient les langues terriennes : des aptitudes télépathiques inconnues leur permettaient de saisir les moindres nuances de n'importe laquelle des langues parlées chez nous, et de répondre aux questions de façon aussi précisément nuancée... mais avec une hostilité sans nuances.
Il en venait justement un, la pelle sur l'épaule.
- Salut, Vénusien, dit Hendrix d'une voix enjouée.
- Adieu, Terrien, répondit le Vénusien sans s'arrêter.
C'était aussi vexant qu'ennuyeux pour Hendrix, qui emboîta le pas au Vénusien. Il devait courir pour ne pas se laisser distancier par le Vénusien aux longues jambes.
- Pourquoi vous refusez-vous à parler avec nous ? demanda Hendrix.
- Moi ? Je vous parle, bien que ça ne me plaise guère. Veuillez vous éloigner.
Le Vénusien s'arrêta et se mit à creuser le sol avec sa pelle, à la recherche d'oeufs de korvil, sans davantage s'occuper du Terrien.
Hendrix le dévisagea, l'air frustré. C'était toujours la même chanson, quel que soit le Vénusien. Toutes les méthodes et procédures enseignées en psychologie terrienne comme en exo-psychologie échouaient.
Et ce sable qui brûlait les pieds à travers les semelles ; et cet air qui, respirable, n'en sentait pas moins le formol en n'en corrodait pas moins les poumons, s'ajoutant à la fin de non-recevoir systématique... C'en était trop, Hendrix y renonça, il explosa :
- Eh bien, va te fourrer ta... dans le... !
C'est là une entreprise qui, pour un Terrien, constitue une impossibilité anatomique évidente. Mais les Vénusiens sont bisexués. Le Vénusien se retourna, incrédule, ravi : pour la première fois, un Terrien lui tenait le langage qui, sur Vénus, est la moindre des marques de civilité.
Il répondit par un souhait du même tonneau, avec un grand sourire tout bleu, posa sa pelle sur le sol et s'assit pour engager la conversation avec le Terrien si aimable. Et ce fut le point de départ d'une merveilleuse amitié et d'une compréhension parfaite entre la Terre et Vénus. »
(Fredric Brown, Politesse).
Tiens donc, ce bon vieux Derf Nworb dans ces parages !
RépondreSupprimerJ'avais oublié cette merveille ; merci !
Et celle-ci, vous la connaissiez ?