mercredi 23 janvier 2013

Riche Belgique (1) Anvers et contre tous




Si vous passez prochainement par Anvers, sachez que le Musée Royal des Beaux-Arts de cette ville, en réfection, demeurera fermé en principe jusqu’en 2017. Une partie non-négligeable des collections qu’il abrite se trouve de fait dispersée entre une poignée d’autres sites, guère éloignés les uns des autres. Pour ce qui concerne la ville d’Anvers même, ces sites sont au nombre de trois : il est possible, d’abord, d’admirer quelques merveilles dans le sein de la cathédrale Notre-Dame, laquelle regorge déjà – lesdites merveilles mises à part – de la beauté la plus ardente, toute froidement gothique brabançonne qu’elle soit. Sa chaire de vérité, par exemple, taillée dans le chêne fut pour nous un complet bouleversement. Nulle part ailleurs (sauf peut-être, voilà quelques années – « Crénom ! » – dans l’église Saint-Loup de Namur) le travail du bois clérical n’avait suscité en nous semblable puissance d’euphorie. C’est que la poussée de l’arbre s’y fait absolument irrésistible, dominant les deux escaliers cernés de brunes racines incandescentes.Tout ici devient cambium, jusqu’aux feuilles, jusqu’aux riches fruits portés par ces somptueuses et noueuses ramures, jusqu’aux oiseaux mêmes accompagnant cette divine montée. Et les reflets se jouant partout (sur le pli vernis, surtout, des voiles et tentures écartées par les séraphins dominant la chaire) déchaînent la volupté, sur le même mode gourmand que le céladon de certains vases chinois, identiquement pâteux, crémeux et sublimes. Du chocolat pour les yeux. Ainsi nous apparaît cette œuvre incroyable de Michel Van der Voort.

Rappelons la présence également séculaire, en ces lieux, de deux œuvres violemment homosexuelles de Rubens, suffisant assez à infirmer, du moins à nuancer cette réputation de simple charcutier flamand qui lui fut souvent faite par certains esthètes décadents, Des Esseintes en tête. Nous parlons de sa très célèbre Érection de la Croix (qui porte, comme suggéré déjà, fort bien son nom) et de son Saint-Christophe, dont le protagoniste – sensiblement musculeux – représente après tout, souvenons-nous en bien, chargé qu’il est de l’énorme poids des péchés du Monde assumé par un Christ négligemment juché entre son épaule et sa nuque, une survivance de l’ère païenne, demeurée adorée en dépit de sa mise à l’index officielle (même remarque que pour l’Érection précédente) par la catholicité de base (la coquine). Le statut théologique particulier de Saint-Christophe aurait-il cependant quelque chose à voir avec ce fait notable que l’œuvre de Rubens se trouve scandaleusement mal exposée (pour tout dire franchement dissimulée) dans un coin obscur de la cathédrale Notre-Dame ? 

Comment croire à une fable pareille...




                                                                
Mais venons-en aux nouveautés issues de notre Musée des Beaux-Arts. De notre point de vue tout à la fois ignare et sévère, parmi celles-ci, il n’en est que deux qui soient authentiquement sidérantes. Elles sidèrent, d’ailleurs, pour une même raison de fond touchant à leurs comparables cruauté et sadisme. La déploration du Christ, en premier lieu, de Quentin Metsys – le plus renommé des peintres anversois du début du 16ème siècle – est un travail de commande exécuté à la demande de la Guilde des Menuisiers de sa ville. Le retable égale pour nous en brutalité, tout en le dépassant dans la goguenardise et le vice (bref, la subtilité) sur son volet de droite, une horreur telle que le Jugement de Cambyse de Gérard David, datant à peu près de la même époque (1498) et visible, quant à elle, au Musée Groeninge de Bruges (ou sur le site, il fallait s’y attendre, des inquiétantes – et tout aussi flamandes – Âmes d’Atala). Le tableau de Metsys nous montre un Christ soumis à la torture d’êtres dont le pharisaïsme et la romanité paraîtraient toutes deux également douteuses, et qu’on jugerait plutôt, à la vérité, parés d’une physionomie approchant celle de quelque lumpenprolétaire local, appréciant de jouer du couteau ou de tout autre instrument tranchant ou contondant disponible, adepte convaincu, enfin, des thèses les plus vigoureuses du Vlaams Belang (fort influent dans le coin : veillez d’ailleurs, si vous vous sentez encore visité, de loin en loin, par quelque vague réminiscence de juvénile gauchisme – surtout en pleine journée – à ne point vous rendre trop vite après la visite de la cathédrale, par inadvertance assoiffée, dans certain estaminet léonin proche de la Grote Markt. Sous peine de subir peut-être, à votre tour, le terrible calvaire imposé ici à Notre Seigneur).



 
Toujours est-il que voilà Jesus-Christ plongé dans un chaudron bouillant, et assailli de toutes parts par des nervis équipés, et lui souhaitant, trognes étonnantes et enthousiastes à l’appui, tout le mal possible et imaginable. Détail piquant (si l’on osait ce terme déplacé), un coup d’œil jeté furtivement sur le bas-ventre du tortionnaire de gauche révèle chez lui une monstrueuse gaule déformante (une seconde érection de la croix, en quelque sorte, oui, vous avez raison). Le misérable se trouve tout ému de fignoler sa besogne. Et l’animalité, de partout, se trouve saillir hors de lui. Notons que Philippe II d’Espagne, l’un des plus grands djihadistes de l’Histoire, qui laissa, avec son fidèle et sympathique lieutenant le duc d’Albe les bons souvenirs que l’on sait en Flandre, voulut (sans succès) se porter acquéreur de ce tableau, ce qui est tout dire. Sans doute l’eût-il contemplé ad nauseam, les soirs d’hiver, en mijotant de nouvelles techniques de soupe à l’hérétique. Et puisque nous causons Inquisition et autres « Tribunaux du sang », rappelons que de telles horreurs se trouvent cette fois dénoncées, révélées en leur complète folie, par une autre merveilleuse œuvre, de Brueghel celle-là, nommée Margot l’Enragée, qu’il est possible d’admirer dans l’ancien logement du collectionneur anversois Mayer Van den Bergh, devenu un musée. Cet homme aura, à lui seul ou presque (voir un peu plus loin) fait redécouvrir à son pays, à l’aube du vingtième siècle, le génie (et parfois jusqu’aux nom et généalogie exacts) de peintres flamands souvent complètement inconnus ou méprisés de son temps. Dans ce même musée, un Saint-Érasme torturé, dont les intestins se trouvent exhibés et spectaculairement embobinés sur une roue de bois, fait aussi son petit effet.




Revenons à Notre-Dame. Le Second tableau exceptionnel, que l’on découvre en réalité en premier en entrant dans la cathédrale, et en la parcourant comme il convient, c’est-à-dire de gauche à droite (non que nous entendissions par là, rassurez-vous, que la droite indique la nécessaire direction de l’Histoire), est celui – un peu plus tardif que le précédent (1554) – de Frans Floris, intitulé Le combat des anges rebelles. Floris représenta longtemps, aux yeux de la xénophobie artistique anversoise spécialisée, une sorte de traître, de cinquième colonne italianisante minant la pureté joyeuse de l’art flamand authentique. C’était encore le cas au moment (1902) de la fameuse exposition de Bruges consacrant en fanfare la « redécouverte » nationaliste des vrais maîtres locaux (dont Brueghel, encore lui) s’étant soi-disant glorieusement préservés, eux, de toute souillure de race ou de goût. Précisons qu’à la même époque, pour la même raison, le terme de « primitifs flamands », jugé péjoratif car/et d’origine française, se trouvait systématiquement écarté. Ainsi donc, la manière de Floris serait italienne et son Combat des anges rebelles évoquerait le Jugement dernier de Michel-Ange. Soit. Les monstres de Floris ressemblent en tous cas à ceux du brugeois Pieter Pourbus, par exemple, qui s’inspira pour sa part sans aucun doute (et tout « dernier primitif flamand » qu’il était, d’ailleurs) de l’œuvre de Michel-Ange (auquel il emprunta jusqu’à son titre : Le Jugement dernier). Quelle œuvre sublime que celle de Floris ! dont, cette fois, la réalisation fut commandée à son auteur par la Corporation des Escrimeurs, d’où la tonalité spécialement martiale de l’ensemble. L’Archange Michel, épaulé de ses légions célestes, s’y affronte à des forces du Mal formant un indicible magma de chairs, soumises aux transmutations les plus effrayantes. Un monstre arbore un chef de sanglier, son pénis, lui, se voit « intercepté » (comme dirait Lautréamont) par une tête de rapace, qui s’ouvre en laissant poindre un bout de langue rougeoyante, tandis qu’au bout de son pied, un ongle a poussé, griffu, formant une arme redoutable. Ailleurs, des figures de singes horribles et de félins dégénérés, et galeux, à cheveux méduséens s’imposent à des corps splendides, au dos desquels des queues s’agitent, serpentines, la gueule avide de mordre, ou plutôt de tournoyer inutilement dans le vide, avec lascivité. Le chaos est maximal. De même, l’évocation et le dynamisme, les monstres semblant pourtant ici moins déterminés à lutter contre les anges (lesquels constituent, à vrai dire, des cohortes à peine plus disciplinées) qu’à s’observer les uns les autres, de frère à frère, figés pour l’éternité dans l’ahurissement imbécile, écrasés par le sort, condamnés impuissants (et émouvants) aux regrets infinis.




Après cette débauche de cruauté et de beauté lumineuses, oserons-nous avouer que la fine fleur de ce que l’on a désormais coutume d’appeler « l’expressionnisme flamand », emmené par sa figure majeure – Constant Permeke – nous parut bien sombre, pauvre, peu digne d’intérêt, tant dans ses manières, coloris et textures que dans ses thèmes, désespérément adhérents à une dure réalité paysanne, dont la monochromie reflète certes parfaitement la répétitive glauquerie. De ce point de vue-là, nous dira-t-on, le but aura été atteint. Nous en convenons volontiers. Nous  préciserons juste que la sélection de la quarantaine d’œuvres liées à ce courant moderniste, toujours issues, d’ailleurs, de la dispersion opérée par ce très fermé Musée Royal des Beaux-Arts, ne nous aura retenus qu’une grosse demi-heure. Quelques-unes suscitent tout de même l’intérêt : Azuur et Les buveuses de liqueur de Gustav Van de Woestyne, ainsi que les productions de deux autres gantois, les gravures de Gustave de Smet (Le paysan, voir ci-dessous) et surtout du génial – et d’ailleurs communiste – Franz Masereel, qui nous subjugue depuis longtemps, mais dont on ne peut ici admirer que deux choses : un Nocturne, et surtout le redoutable Prophète, celui, en l’occurrence (nous sommes en 1937) de la future grande boucherie internationale qui s’avance. Tout cela est observable jusqu’au 24 février prochain, à la Konigin Fabiolazaal d’Anvers, non loin de la gare, elle-même fort impressionnant édifice Art Nouveau.


Tout autre chose, maintenant, en un tout autre lieu. Dominant les bassins du port de plaisance d’Anvers, au Nord en suivant l’Escaut, à une portée de jet de pierre du quartier chaud où les demoiselles damnées par le sort travaillent en vitrine, s’élève le MAS (Museum Aan de Stroom) qui héberge lui aussi des chefs d’œuvres en vadrouille. Une exposition y est organisée, ayant pour nom Cinq siècles d’images à Anvers, dont l’intérêt principal, pour ne pas dire unique, est d’offrir aux jouissances de l’œil certains joyaux (une poignée) du passé. Non que nous n’approuvions pas cette frénésie désormais systématique, dans les musées du monde, de prétendre tout mettre en rapport, non que nous la défendions. Nous nous en foutons royalement, voilà tout. L’idée ne nous gêne point de disposer dans une même pièce un ramassis de pièces (justement) de monnaie de tous âges, le tableau de Jean Fouquet que nous allons bientôt évoquer, et enfin le produit d’élucubrations contemporaines quelconques visant à démontrer que « oui, décidément, aujourd’hui tout est image, et même communication et même que c’est la société du spectacle, et qu’il faut bien comprendre ça pour pouvoir en jouir au mieux et donc savoir se vendre tout en faisant mine d’être vaguement critique et pas dupe – pas con – pour pouvoir gagner sur tous les tableaux, comme une grosse ordure d’artiste intéressé plus que quiconque à la préservation de cette société de merde. »

Cela ne nous gêne point, ou plus. Pourvu que nous puissions profiter, quelques instants, avant l’irruption sacrilège de quelque famille (à poussette), de cette incroyable Vierge à l’Enfant entourée de séraphins et de chérubins dont nous nous approchons maintenant. Que voyons-nous là ? D’abord, il faut bien le dire, c’est un sein que nous voyons, qui nous crève même les yeux, de blancheur et de rotondité phénoménales. Tout ici respire le sexe : la poitrine explosive de la Vierge, destinée à nourrir un Christ aux allures de vieillard parvenant toujours à bander, ou tout au moins rougir, à l’occasion, et puis la taille de la suprême Dame, sa finesse corsetée contrastant avec l’opulence de gorge sus-mentionnée. La blancheur du drap et celle du bébé sont ainsi que celle du sein ou du drap, d’acier ou bien de foutre : cette blancheur est en tout cas d’une violence lactée (et on parlerait pour nous à bon droit de cette œuvre en évoquant une arme blanche). Autour du trône volètent des anges, de couleur rouge ou bleue, certains touchant le trône ou s’en tenant plus près que les autres. Force est de constater que ce sont bien les rouges qui emportent le morceau, en termes de proximité. Quoi de plus normal : ceux-ci symbolisent, nous dit-on, la passion amoureuse et le feu. Autrement dit, ils ont plus faim que les autres, les bleus, lesquels renvoient, eux, aux notions de pureté et de plénitude azurée. Grand bien leur fasse. Notons la texture presque élastique, pneumatique jusque dans ses brillances et tensions, du corps du premier séraphin, en bas à gauche. Notons le reflet blanchissant le haut de sa fesse droite. Puis respirons un peu. Jean Fouquet, peintre à la cour de Charles VII et dont nous connaissons – outre un  portrait fameux du roi en question – les miniatures exécutées pour les Grandes Chroniques de France, employa comme modèle de cette Vierge à l’Enfant la célèbre maîtresse préférée de Charles VII – de vingt ans sa cadette – Agnès Sorel, remarquée par le souverain lors d’un tournoi parmi la suite d’Isabelle d’Anjou, et qui devait le rendre, selon moult témoignages de l’époque, le plus heureux des hommes. Serait-ce alors pas lui que notre Vierge nourrit ici, qu’elle fait revenir en première enfance, repu de lait, comblé, les yeux chassieux, sur le point de roter d’aise, avant pourquoi pas ! de s’endormir dans la satiété de l’amour ?




Cette question nous agitait encore, quelques pas plus loin, au moment de contempler la Vénus Froide (Venus Frigida) de Rubens, une des rares œuvres que l’artiste ait signées et datées, preuve qu’elle lui tenait particulièrement à cœur. Là, rien n’y fait. Ni les taquineries du satyre, ni les doux picotements d’amour ne pourront lutter victorieusement contre l’ennui mortel – immortel – de la déesse. La seule morsure qui vaille, hélas ! est plutôt celle du froid, qui fait grelotter ensemble Cupidon et sa maîtresse, le dos perclus de frissons.


Eh mais ! nous direz-vous, comment un sort pareil peut-il être fait à Vénus elle-même, comment semblable refroidissement pourrait-il survenir ? Il y faut soit l’acharnement patient de toute une vie conjugale défaillante, soit une parole, un geste malheureux ayant le pouvoir de couper la chique, soudain, aux plus déterminé(e)s des licencieux(ses). Vous allez comprendre. Faisons encore quelques pas dans les couloirs de ce MAS décidément édifiant. Nous voilà devant une autre toile, œuvre d’Abraham Janssens, intitulée Scaldis et Antverpia. La première impression qu’elle nous fit fut purement érotique. Un homme aux formes appétissantes et offertes y brandit sous le nez d’une donzelle au regard intéressé un généreux régime de fruits, appel, pensions-nous naïvement, au plaisir de l’opulence partagée. Surtout que la fille, quant à elle, semble désigner de l’index un certain point du corps du sybarite, situé approximativement autour de son nombril ou à l’approche de cette boule molletonnée que dessinent ses muscles abdominaux, vaguement contractés. Les fruits courbes et oblongs d’un côté, le bas-ventre charnu de l’autre : la chose nous semblait entendue. Après tout, nous sommes en Flandre, terre de paillarde liberté, de « dimanche de la vie » et autres pléiades de qualités bien connues. Qu’on juge alors de l’effet aussitôt produit sur notre enthousiasme par cette description aperçue de l’œuvre, dans quelque guide explicatif local :

« Afin d’inspirer les négociateurs des Provinces-Unies et des Pays-Bas espagnols, les autorités de la ville d’Anvers commandèrent au peintre Abraham Jenssens une allégorie politique pour l’hôtel de Ville. Scaldis, le fleuve divinisé, remet à Antverpia, une vierge personnifiant la cité, une corne d’abondance. L’œuvre rappelait aux diplomates présents leur écrasante responsabilité : Anvers devait en effet sa prospérité à l’Escaut ! Le 9 avril 1609, c’est sous la peinture de Janssens qu’ils signèrent la Trêve de Douze Ans. Grâce à cet accord, l’Escaut fut rouvert à la navigation. »


Après réflexion, nous nous résolûmes à considérer cette sinistre explication comme hautement plausible et, du même coup, meurtris autant dans nos désirs que dans nos prétentions herméneutiques, nous décidâmes à l’instant de quitter l’enceinte de ce MAS tellement cruel à notre endroit. Sous la pluie, bien sûr, car la vie est une chienne et le climat belge occidental, souvent extrêmement ingrat.





Pour terminer sur une note de cynisme et d’ultra-violence, nous vous suggérons également d’effectuer une visite au Musée de la Photographie d’Anvers, lequel accueille au moins jusqu’au 27 janvier 2013 (encore quelques jours, donc) deux expositions intéressantes : d’abord celle consacrée à Weegee (surnom d’Arthur Fellig), mythique (pour ceux que cela mite) paparazzo new-yorkais habitué des règlements de compte mafieux, des scènes de crime et policières hardcore ou encore des choses vues à portée sociale, tels ces rassemblements de foules immenses sur les plages de Coney Island dans les années 1940. Le bonhomme vivait dans un taudis, avec ses photographies. Guère sympathique et un modèle d’opportunisme, ce type, mais son talent de faiseur, son œil et sa débrouillardise goguenarde forcent tout de même le respect. Weegee avait installé un labo mobile dans le coffre de sa voiture, afin de développer sur le champ les clichés morbides effectués parfois quelques secondes après le meurtre (ou l’accident), souvent avant même l’arrivée des flics, sur la fréquence desquels notre obsédé était par ailleurs branché jour et nuit. Un autre aspect passionnant de ce type de travail est également dévoilé par l’exposition, concernant la pratique systématique de retouche photographique, parfois incroyablement grossière, exigée une fois sur deux par les titres de presse auxquels Weegee collaborait, ce dernier s’exécutant évidemment sans coup férir, supprimant là un cadavre ficelé dans une malle, ajoutant ailleurs des traces de sang au mercurochrome, etc. Le KGB n’a bien entendu jamais conservé le monopole photoshopique du mensonge historique.




L’autre artiste dont il sera ici possible de découvrir le travail est Gert Jochems, qui est entré en contact, par le biais de réseaux spécialisés, avec des adeptes intègres de sado-masochisme (réduction en esclavage, étouffement, latex, fétichisme) pratiquant leurs recherches érotiques au quotidien, fort normalement, en pays flamand. Ces gens ont ouvert leur porte à Gert Jochems et lui ont montré des choses avec une  confondante tranquillité. Certains parleront d’intrusion ou de voyeurisme. Pourquoi pas. Ce qui intéresse ici, c’est précisément la normalité des décors (souvent des intérieurs flamands de paysans ou autres pauvres ordinaires). Le monstre, derrière la porte, c’est monsieur tout le monde. La normalité implique le désir de meurtre érotique. Lenvie inavouable est universellement partagée. Tout cela n’est pas inutile à rappeler dans un monde pour qui, désormais, la sexualité des enfants serait largement une hypothèse de pervers (à traquer et enfermer) et qui oublie facilement (nous ne l’avons jamais oublié) que le tueur en série Émile Louis, par exemple, qui se livrait, avant d’ouvrir au coutelas le ventre de ses victimes, attachées à un arbre, à toutes sortes de danses archaïques cérémonielles (qui devaient bien remonter en lui, de quelque part obscure) était, au plan sociologique, un employé communal tout ce qu’il y a de plus conservateur et beauf, adhérent sans histoires de la CGT locale, bien apprécié de ses voisins. La vérité est derrière la porte. Et le plus clairement nous parlerons d’elle, çà et là, le moins durement la vérité sera tentée de se venger de nous.  












3 commentaires:

  1. Plutôt que Quentin Metsys, Joachim Patinir m'a souvent émerveillé. Jacques Sternberg le cite dans son Dictionnaire des idées revues, où il le considère comme étant plus fort que Brueghel.
    Son Saint Jérôme dans le désert est un de mes préférés, et vous aurez rapidement compris pourquoi !

    Les chèvres de l'Orée vous saluent des quatre oreilles pour cette belle visite guidée, cher Moine enfanté par Royce Gracie et Gina Carano.

    Oreilles

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    1. Le tableau dont vous parlez, Marquis, est un joyau. Vous m'avez bien cerné, avec vos chèvres. Bien à vous.

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