Nous
 avons déjà évoqué ici l’œuvre de Grisélidis Réal, du moins le traitement spécial qui lui fut réservé naguère, en un vague lieu de
 théâtre. Cette œuvre dépasse de beaucoup le littéraire simple, le simple 
anecdotique compost stylistique. De même que Jünger, soldat contrarié d’une certaine puissance inique contemporaine, comprend 
idéalement la guerre et son sens final, savoir : son seul développement 
technique, la grande Grisélidis, ayant vécu de son corps, entre enfin 
avec lui en un rapport - presque amical
 - de connaissance parfaite, nostalgique, arasée d’illusions, sans 
doute, point de sympathie. Sa vie durant, elle conserve à ce corps - 
pure idée de son être - une entière confiance. Ce n’est pas lui, jamais,
 qui vint trahir en elle l’humanité mais bien les autres : le corps, les 
mensonges et la violence des autres. 
L’existence de la pute, figure libre quoique suprêmement menacée, est tissée de danger. Toujours elle se trouve poursuivie, avec haine, par les plus faibles, les plus misérables des hommes, ou bien ces femmes dérisoires qui les servent, et qui rouleront pour eux jusqu’au gouffre. Toujours le danger vient de ce Bourgeois assailli de pulsions, qu’il réprime, enfouit, enterre, recouvre du sable gris qui lui constitue l’âme.
L’existence de la pute, figure libre quoique suprêmement menacée, est tissée de danger. Toujours elle se trouve poursuivie, avec haine, par les plus faibles, les plus misérables des hommes, ou bien ces femmes dérisoires qui les servent, et qui rouleront pour eux jusqu’au gouffre. Toujours le danger vient de ce Bourgeois assailli de pulsions, qu’il réprime, enfouit, enterre, recouvre du sable gris qui lui constitue l’âme.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, porte-parole du gouvernement socialiste, qui fourbit à cette heure, pendant ces congés payés-ci, son projet de loi future abolissant la prostitution - pénalisant notamment les clients des putes - roula auparavant des années entières pour ce type de personnage auquel elle 
emprunte désormais, plongée dans le rayonnement politique le plus intense, la ridicule 
incarnation, l'expression inepte. M. Gérard Collomb fut ce noble mentor
 dont nous parlons, digne Maire de grande ville, fréquentant peut-être les 
putes, peut-être cela lui arriva-t-il, peut-être non, n’entendant en tous cas pas les apercevoir en bas de chez lui, à proximité d’écoles, à proximité d’enfants. Ceux-ci, face à M. Collomb, doivent rester sans questions. La télévision, seule, plus tard, se chargera des réponses. Elle montrera alors, auxdits enfants devant pour l'heure être épargnés, des putes tout à fait comme il faut, c'est-à-dire postées, en attente, parmi l'ailleurs lointain. Les putes, surtout, ne sauraient apparaître devant ces cafés reluisant d’élégance où M.
 Collomb aime, depuis les premiers élans fiévreux de l'engagement, à causer politique, culture et entreprises d’insertion 
avec ses collègues de gauche. 
La loi, donc, et les élus du Peuple, devraient bientôt rendre encore plus 
dangereuse la vie déjà compliquée des putes, de ces femmes enchaînées, comme les autres, à l’économie (dont le maquereautage ne fournit qu’un secteur 
de pointe,
 temporairement innovant et illégal), de ces femmes libres, pourtant, dispensant leurs cul, chatte et bouche dans un bruit de scandale, cependant qu’une 
caissière salariée soulève, de ce même corps de femme, près d’une tonne quotidienne de 
marchandises dégueulasses. En déchaînant l’immense plaisir de M. Collomb et Mme Vallaud-Belkacem, lesquels, c'est bien connu (ils nous le font bien connaître) se coulent dans des torrents de jouissance chaque fois que de l’emploi, 
par ici, vient à jaillir du néant.
« Marchandisation des corps », disent-ils. Et aussi « Barbarie de l’exploitation ». Ces gens n’ont, en vérité, jamais dit sans le savoir qu’une seule, unique et même petite chose.
« Un jour viendra où nous paierons. »
|  | 
| Félicien Rops, Mors Syphilitica | 
Les faire payer, justement (à tous points de vue, certes), c’est bien ainsi que Grisélidis l’entend. Et cet instrument de vengeance, voilà que la sublime le découvre un beau 
jour, un jour laid, plutôt, et terrible de plus qu’elle se prostitue 
en Allemagne, auprès de soldats noirs (elle a toujours eu pour les Noirs, leur liberté et leur sexe, dit-elle, un amour sans limites) 
casernés en ce pays vaincu, et retors, dans les années soixante. 
Les 
pires violences physiques lui sont alors imposées. Elle sauve sa vie, 
plusieurs fois, d’extrême justesse. Souvent, elle manque mourir 
du fait de cette clandestinité déjà imposée à l’époque, par la morale et ses amis glorieux, aux putes. 
Et
 puis, soudain, dans son malheur, voilà qu’est dénichée l’arme suprême, le Fléau, la maladie ignominieuse dont elle
 se voit frappée, qu’elle entend bien retourner, dès lors, ivre de 
haine, contre tous les monstres, tous les tartuffes l’ayant 
outragée à divers degrés.
La leçon porte, aujourd’hui encore. Et ces derniers, qui n'ont guère changé, gagneraient fort à la méditer.
Grisélidis
 devait certainement ignorer, quoique l’appliquant parfaitement d’instinct, cette divine consigne du camarade Panizza, dans son Concile d’Amour : va donc et baise, et les frappe tous, prêtres de base, curés, archevêques et puis, enfin, papes. 
« Va, descends, et surtout n’oublie pas ! de bien respecter la hiérarchie… »
|  | 
| George Grosz, Les funérailles d'Oskar Panizza | 
« Il
 me vient une blessure à la lèvre, un bouton matelassé de blanc, hideux,
 douloureux. Qu’est-ce que c’est encore ? Non, je ne veux pas y penser. 
Je ne veux pas savoir. Je ne veux pas. Il y a aussi d’étranges taches 
rouges, violacées, sur mon ventre. Ce n’est rien, n’est-ce pas ? 
Quelques veines qui ont sauté, voilà tout. Il ne faut pas s’affoler. Pas
 de faiblesse, hein ! Ne rien croire ! Je n’ai pas peur. Il ne pourra 
rien m’arriver. N’est-ce pas, Seigneur ? Réponds, hypocrite, comédien ! 
Et l’analyse négative, alors c’est quoi, ça ?
J’ai mal, j’ai si mal au fond de la gorge. C’est une angine, voilà tout, une énorme angine carabinée. L’hiver est dur.
Ces
 blessures blanches, maintenant, il y en a plusieurs qui se relaient, 
qui s’avancent au bord de ma bouche. Le rouge à lèvres sur elles ne 
prend pas. Elles restent là, obstinément, luisantes, poreuses, 
blanchâtres. Je ne peux presque plus rien avaler. C’est terrible, cette 
infection des amygdales qui refuse de céder aux pastilles habituelles.
Je vais étouffer si ça continue ! Ne pas penser ! Suce des pastilles, gargarise-toi, tais-toi !
Deux
 mois, avait dit la doctoresse. Si c’était ça ! Je n’embrasse plus 
personne. Ça fait trop mal. Au moindre attouchement, c’est à hurler. Ces
 blessures, elles sont vivantes. Elles bougent, elles voyagent sur mes 
lèvres. Comme de petites bouches qui bouffent la mienne.
Je
 me cramponne, je ne veux pas encore m’avouer vaincue. Et pourtant, si 
je transportais maintenant cette pourriture ? Si elle était incrustée en
 moi, dans ces blessures qui remuent et qui souffrent ? Si j’allais en 
donner aux autres ? Aux Noirs, aux Allemands ? Eh bien, mais qu’ils en 
crèvent ! Le sang noir est plus fort. Qu’il résiste ! Les autres, je 
m’en fous. Chacun son tour !
Un
 matin, plus aucun doute n’est possible : toute la paume de mes mains, 
et la plante des pieds, sont piquetées de petites pointes 
rouges-violettes comme des épines du rosier. Je fleuris, je pourris ! 
J’ai la syphilis ! (…)
Suivent
 les soins et les devoirs imposés par cette royale décoration. On est 
contagieux jusqu’à la deuxième piqûre. Il me reste deux nuits pour 
foutre la syphilis à toute l’Allemagne comme on incendie de vieilles 
hardes ! Et de ce vitriol ils engrosseront leurs épouses !
Si
 je les tenais tous ! Celui qui m’a promenée en voiture toute une nuit, 
dans la forêt, dans le brouillard, pour dix marks ! Celui qui m’a parlé 
d’amour pendant des heures pour me voler deux marks dans mon 
porte-monnaie à cinq heures du matin !
Si
 je tenais celui qui m’a emmenée dans un quartier désert, loin de tout, 
et m’a jeté vingt marks à la figure en menaçant de me laisser sur place 
si je refusais ! Et les deux chancres de cinéma et leurs promesses de 
rôle dans un film, venus à deux dans notre chambre un matin ! Et celui 
qui voulait lâcher sur moi ses chiens !
Oui
 tous ! Tous ! Une grande giclée de pus dans leur bouche ! Pardon, 
Noirs. Pardon à trois de mes Noirs, à trois frères en syphilis. Pardon à
 Roy Blaine Miller, qui l’a cuvée dans sa cellule solitaire. Pardon au 
soldat en uniforme, venu l’après-midi du deuxième jour, pardon à son 
sourire. Pardon au grand brutal de la caserne aux barbelés. Elle vous a 
eus, la rose à l’écume rouge. Elle vous a mordus.
Mais
 les autres, inconnus et mouchetés de bave écarlate ! Paix, Syphilis ! 
Baise et prolifère ! Bouffe les Judas ! Empuantis les Frohe Weihnachten !
 Ô Tannenbaum couvert de pustules, aux verges allumées, enrubannées de 
pus, chantant la gloire du petit Jésus ! Faveurs roses et ficelles 
dorées, chocolats et truffes à la gangrène !
Gloria, Syphilis, Amen !
Avant
 que la pénicilline ne t’emporte, mes cheveux tombés par poignées, mes 
dents pulvérisées, cassées, je te les abandonne. Fais-en des bijoux pour
 tes amants.
Louée
 sois-tu Syphilis. Louée dans les ventres et dans les amygdales trouées.
 Dans les ulcères des sexes et des lèvres brûlées ! Louée au plus haut 
des yeux et sous la plante des pieds. »
Grisélidis Réal, Le noir est une couleur.  


Une sacrée plume tout de même!
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