Dans
la nuit du 21 avril, les vitrines de la bibliothèque anarchiste parisienne la Discordia ont été brisées à coups de
marteau. Les discordistes expliquent dans un communiqué que les positions
qu’ils ont adoptées à l’égard de « l’islamophobie » sont la cause de cette
attaque anonyme.
La
question de l’islamophobie ne devrait pourtant pas diviser les tenants d’une
critique radicale du monde du capital. Ceux qui sont visés par la politique
répressive de l’État et des flics dans un pays comme la France ne le sont pas
parce qu’ils sont musulmans, mais parce qu’ils sont prolétaires. Qu’une partie
des prolétaires se reconnaissent eux-mêmes comme musulmans ou non ne change
rien à l’affaire. Le capital ne donne jamais comme telles, benoîtement, les
raisons de ses nécessités politiques : celles-ci apparaissent avec les
idéologies qui sont la forme même de ces nécessités.
Ce
devrait donc être le propre de la pensée radicale de ne pas se laisser abuser
par les faux débats qui séparent droite et gauche du capital. Ce qui est en
jeu, et qui explique les choix politiques de l’État français, n’est pas
l’opposition entre des musulmans et des chrétiens ou entre des religieux et des
laïcs, mais le rapport entre les prolétaires et la classe dominante. Perdre ce
point de vue, c’est se situer ailleurs que dans la perspective de la critique
radicale. C’est participer au débat qui oppose Manuel Vals à Emmanuel Todd ou
Edwy Plenel.
Et
dans ce débat, tout est biaisé. Ceux qui critiquent l’islam ne critiquent pas
toutes les religions, mais seulement celle-ci. Ceux qui défendent l’islam
dénoncent le racisme de ce qu’ils appellent l’islamophobie mais refusent de
tirer les conséquences de l’inscription de ce racisme dans les rapports de
classe. Ils ne relèvent jamais que l’islam n’est plus tellement une difficulté
quand c’est l’islam des riches. Quant aux prolétaires des cités, ce n’est pas
seulement leur religion, réelle ou supposée, qui pose problème à l’État, mais
bien, à en croire le discours dominant, tout ce qu’ils font : bizness, délinquance,
« incivilités »…
Il y
a aussi la force de l’islam politique, dont il ne faudrait pas sous-estimer
l’appétit de pouvoir. Dire que l’islam est la religion des dominés est un pur
mensonge. Il y a des classes dominantes dont la religion officielle est
l’islam. Il y a des dominés qui se reconnaissent comme musulmans ou chrétiens
et d’autres pour qui la religion n’est en pas un élément d’identification.
L’islam politique, dans ses composantes conservatrices et réactionnaires comme
dans ses formes extrémistes, voudrait faire croire que les bourgeoisies des
pays musulmans et les prolétaires immigrés en occident ont des intérêts
communs. C’est la reprise du credo anti-impérialiste dont on connaît le triste
résultat. L’islam politique joue à l’heure actuelle le rôle que jouait les
idéologies nationalistes de la période de la décolonisation : enrôler des
prolétaires au service de capitalistes dans leur guerre contre d’autres
capitalistes.
La
religion n’est pas un phénomène divin, mais un phénomène social et politique et
c’est en tant que telle qu’elle doit être analysée. La religion apporte aux
appétits terrestres la justification des nécessités célestes. Comme politique,
elle ne peut être autre chose que le discours auto-justificateur du pouvoir. La
critique de la religion est la condition de toute critique.
Toutes
ces considérations sont donc loin d’être partagées puisque la Discordia a été attaquée en pleine nuit.
Quelles que soient nos divergences, tant sur le plan des idées que des
méthodes, je suis dans cette affaire du même côté que les discordistes, tandis
que ceux qui, voulant dénoncer les discriminations, défendent les religions se
rangent à coup sûr dans le camp des dieux et des maitres.
Léon
de Mattis.
[Repris
de son blog.]
À la bonne heure !
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