Je remontais la rue, les yeux bas comme souvent. Le monde autour est tellement laid, et tellement pire que laid : il m'attend. Dans un halo de sourcils, à la faveur de quelque cruel courant d'air, et de ce genre de réflexe idiot que les courants d'air suscitent, je relève brièvement la tête, alors je l'aperçois, qui venait en sens inverse dedans sa vieillerie et ses loques noires et grises. Elle avait repéré, sur un bout plongeant de caniveau, la tentatrice brillance d'une pièce de dix centimes et, du fait que je marchais sans conscience sur elle et cette jolie situation, avait dû se restreindre aussitôt dans sa félicité, s'interrompre un instant dans la descente programmée, avant soudain, à toute vitesse, à toute inquiétude indéfinie (quoique immanquablement justifiée chez les pauvres) de s'emparer enfin à la diable de son trésor, en se baissant alors bien trop vite, en faisant jouer ses muscles et ses nerfs, épuisés, beaucoup trop brutalement. Puisse-t-elle ne point s'être fait mal. Enfin nos regards se croisent, pathétiques mais hétérogènes. Car elle se méprend évidemment sur ma propre étrangeté. Je suis déterré de longue date, surtout le matin à cette heure, mais elle l'ignore. Une contenance apparaît. C'est déjà ça de gagné, me souffle-t-elle en exhibant la pièce tandis que je passe à sa hauteur, et voyant que j'ai vu qu'elle vit. S'excuserait-elle ? Il y a de ça. Mais de quoi au juste ? Et elle me sourit d'abondance, quasi-tremblante. Je lui souris de même. J'insiste. Voilà que ma journée commence ainsi sur le chemin du travail. C'est déjà ça de gagné.
J'ai aussi ce réflexe, Moine, de ramasser le sou qui traîne. Il est sans doute conditionné par mes origines modestes. Une sorte d'"Au cas où..." qui ne dit pas son nom.
RépondreSupprimerConcomitamment, il y a toujours l'idée que ces petites pièces peuvent servir de tournevis. D'où vient cette lubie ? Sans nulle doute, de la pratique adolescente de la mobylette, engin où il y avait toujours quelque chose à visser.
Par contre, le nombre aidant, ces pièces constituent un perce-poche de première bourre. Et comme nous voilà domestique, soudain. C'est à frémir.
Le bonjour chez vous, cher Moine.
Pour moi, c'est la honte coupable de cette dame - issue de mon regard contingentement porté sur elle - qui me plongea dans le plus pénible embarras.
SupprimerEt voilà comment l'argent nous sépare, même sur fond de (petit) bonheur, ou de coup du sort favorable.
Merci. C'est toujours ça de prix.
RépondreSupprimerDe quoi faire des euros.
RépondreSupprimerDes zéros heureux d'errer en déshérence ?
RépondreSupprimerDésert des arrhes arasées...
SupprimerÇa me rappelle la nouvelle de Maupassant où, un jour de marché, un paysan plutôt riche et très radin avait ramassé un bout de ficelle, et se faisait accuser ensuite d'avoir trouvé et gardé pour lui un portefeuille bien garni. Il mourrait fou, en disant "pour une tite ficelle, une tite ficelle". C'était en classe de 7ème avec Monsieur Ricaud, et cette histoire tragique m'avait fait froid dans le dos.
RépondreSupprimerEn tout cas bravo pour votre texte.
Bien à vous,
Catherine
Catherine, ce conte de Maupassant est l'un de nos préférés.
RépondreSupprimerAvec son " Boule-de-suif" et celui relatif au petit chien Pierrot, tombé dans son trou.
Pour des raisons pas si éloignées, d'ailleurs.
Pour ce qui est de Ricaud, nous en connaissions un aussi, au temps de notre jeunesse folle, et qui nous causait force émotion, mais ce ne doit pas être le même.
Ce monsieur Ricaud, très bel homme, fort impressionnant, qui tirait les cheveux des garçons au-dessus de l'oreille, aurait tiré sur ma natte s'il avait vu que j'avais mis deux r à mourait à l'imparfait du verbe mourir et il n'aurait pas eu tort !
SupprimerMille excuses pour cela !
Catherine
Elle m'intéresse, cette nouvelle, mais je dois avouer ne pas en connaître le titre…
SupprimerBen " La ficelle " : tout simplement.
SupprimerOn la trouve en ligne un peu partout.
Ah merci bien, mais si ça s'appelle La ficelle, normal qu'on trouve ça partout en ligne !
SupprimerMais sans vouloir vous asticoter, j'irai pas à la pêche : vous me connaissez, je préfère le toucher du papier…
Je ne l'avais pas jugé un imparfait, et donc point comme une faute.
RépondreSupprimerTout cela n'a pas, convenons-en, grande importance.
Vous avez raison, le conditionnel sonne pas mal, et même presque mieux, mais allez expliquer ça à Ricaud !
SupprimerSinon, parmi les nouvelles cruelles de Maupassant j'aime bien aussi "aux champs", qui faisait partie de la série TV des Claude Santelli , il y a une trentaine d'années. J'ai encore dans l'oreille, le cri de la Tuvache , devenue folle elle aussi, "j'vendions point m'n enfant !" . Réflexe de "bonne mère", qui n'aura servi qu'à son malheur.
Catherine
Cher moine, un regard, un sourire, une parole et... c'est déjà ça de gagné, aussi.
RépondreSupprimerBelle soirée.
Tôi rât vui doc Em dây.
RépondreSupprimerEm co khoê không ?
Cam on anh, em cũng được. Em đang viết ké mémoire, mà thấy khó quá. Em không có thì giờ nhiều với viết nó làm hơi buồn buồn. (cho em, nói, đọc, nghe tiếng Việt cũng thấy buồn, xa lạ, khó với buồn, mà …ké này, em nghi là anh biết rồi. De toute façon, anh biết nhiều) chào anh.
SupprimerBon courage à vous !
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