François Louis en Falstaff,
encadré d'Ariane Lacquement et de Sandrine Baumajs,
extraordinaires interprètes du
Comme le temps passe...
« Les personnages créés par Shakespeare ne sont pas, comme ceux de Molière, les types de telle ou telle passion, de tel ou tel vice, mais des êtres vivants, pleins de passions multiples, de vices variés ; ce sont les circonstances qui développent devant le spectateur les formes diverses et les nombreux aspects de leur caractère. Chez Molière, l'Avare est avare, et rien de plus ; chez Shakespeare, Shylock est avare, débrouillard, vindicatif, bon père de famille, spirituel. Chez Molière, l'Hypocrite fait hypocritement la cour à la femme de son bienfaiteur, prend hypocritement son bien sous sa garde, demande hypocritement un verre d'eau. Chez Shakespeare, l'hypocrite prononce une sentence de justice avec une vaniteuse rigueur, mais selon la justice ; il justifie sa cruauté par le raisonnement profondément pensé d'un homme d'État ; il séduit l'innocence par de puissants, d'attrayants sophismes, non par un ridicule mélange de dévotion et de libertinage. Angelo [dans Mesure pour mesure] est hypocrite en ce que ses actes publics contredisent ses passions secrètes : et quelle profondeur dans ce caractère !
Mais nulle part peut-être le génie si varié de Shakespeare ne s'est reflété avec autant de diversité que dans Falstaff, dont les vices, reliés l'un à l'autre, forment une amusante et difforme chaîne, rappelant la bacchanale antique. Si l'on analyse le caractère de Falstaff, on voit que le trait principal en est la luxure ; jeune, il est probable qu'une grossière galanterie à bon marché a été le premier de ses soucis, mais le voici déjà quinquagénaire, ventripotent, décati ; la gloutonnerie et le vin ont nettement pris le pas sur Vénus. En second lieu, il est poltron, mais, fréquentant constamment de jeunes hurluberlus, sans cesse exposé à leurs railleries et à leurs farces, il dissimule sa poltronnerie sous une insolence évasive et railleuse. Il est vantard par habitude et par calcul. Falstaff n'est nullement sot, bien au contraire. Il a aussi certains plis de l'homme qui a de temps en temps connu la bonne société. De principes, il n'en a aucun. Il est faible comme une vieille femme. Il lui faut fort vin d'Espagne (the sack), copieux repas et de l'argent pour ses maîtresses : pour avoir cela, il est prêt à tout, hormis seulement un danger manifeste.
Dans ma jeunesse le hasard m'a rapproché d'un homme en qui la nature, comme si elle avait voulu imiter Shakespeare, avait reproduit la géniale création de l'écrivain. **** était un second Falstaff : luxurieux, poltron, vantard, point sot, amusant, dépourvu de principes, larmoyant et gras. Une seule circonstance lui donnait un charme original : il était marié. Shakespeare n'a pas eu le temps de marier son vieux garçon. Falstaff est mort auprès de ses belles amies sans avoir été ni mari cornard, ni père de famille : que de scènes perdues pour le pinceau de Shakespeare !
Voici un trait de la vie domestique de mon honorable ami. Son fils, un bambin de quatre ans, tout le portrait de son père, un petit Falstaff III, répétait un jour pour lui-même, en l'absence de son père : " Ce qu'il est blave, mon papa ! Ce que l'Empeleul l'aime, mon papa ! " Quelqu'un entendit le bambin et s'écria : " Qui est-ce qui t'a dit cela, Volodia ? — C'est mon papa ", répondit Volodia. »
(Alexandre Pouchkine, extrait de Table Talk, vers 1836).
Mais nulle part peut-être le génie si varié de Shakespeare ne s'est reflété avec autant de diversité que dans Falstaff, dont les vices, reliés l'un à l'autre, forment une amusante et difforme chaîne, rappelant la bacchanale antique. Si l'on analyse le caractère de Falstaff, on voit que le trait principal en est la luxure ; jeune, il est probable qu'une grossière galanterie à bon marché a été le premier de ses soucis, mais le voici déjà quinquagénaire, ventripotent, décati ; la gloutonnerie et le vin ont nettement pris le pas sur Vénus. En second lieu, il est poltron, mais, fréquentant constamment de jeunes hurluberlus, sans cesse exposé à leurs railleries et à leurs farces, il dissimule sa poltronnerie sous une insolence évasive et railleuse. Il est vantard par habitude et par calcul. Falstaff n'est nullement sot, bien au contraire. Il a aussi certains plis de l'homme qui a de temps en temps connu la bonne société. De principes, il n'en a aucun. Il est faible comme une vieille femme. Il lui faut fort vin d'Espagne (the sack), copieux repas et de l'argent pour ses maîtresses : pour avoir cela, il est prêt à tout, hormis seulement un danger manifeste.
Dans ma jeunesse le hasard m'a rapproché d'un homme en qui la nature, comme si elle avait voulu imiter Shakespeare, avait reproduit la géniale création de l'écrivain. **** était un second Falstaff : luxurieux, poltron, vantard, point sot, amusant, dépourvu de principes, larmoyant et gras. Une seule circonstance lui donnait un charme original : il était marié. Shakespeare n'a pas eu le temps de marier son vieux garçon. Falstaff est mort auprès de ses belles amies sans avoir été ni mari cornard, ni père de famille : que de scènes perdues pour le pinceau de Shakespeare !
Voici un trait de la vie domestique de mon honorable ami. Son fils, un bambin de quatre ans, tout le portrait de son père, un petit Falstaff III, répétait un jour pour lui-même, en l'absence de son père : " Ce qu'il est blave, mon papa ! Ce que l'Empeleul l'aime, mon papa ! " Quelqu'un entendit le bambin et s'écria : " Qui est-ce qui t'a dit cela, Volodia ? — C'est mon papa ", répondit Volodia. »
(Alexandre Pouchkine, extrait de Table Talk, vers 1836).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire