lundi 15 décembre 2014

Comme une bande d'enfants inconnus


« L'amour, les enfants, les beaux jours, les gaies compagnies, les voyages et un peu d'art : la bonne vie était simple (...). Mais si disposée qu'elle fût à se sentir inutile, Agathe portait néanmoins en elle tout le mépris de l'être né pour la révolte à l'égard de cette trop simple simplicité. Elle y reconnaissait l'imposture. La vie prétendue "pleinement vécue" est en vérité absurde comme un vers sans rime, il manque quelque chose au bout, au vrai bout, c'est-à-dire à la mort. C'est, se disait-elle en cherchant l'expression la plus juste, comme un entassement d'objets que n'organise aucune aspiration supérieure : une abondance sans plénitude, le contraire de la simplicité, une confusion que l'on accepte avec la joie de la routine ! Sans transition, elle pensa : C'est comme une bande d'enfants inconnus que l'on observe avec une gentillesse apprise et une angoisse grandissante parce qu'on n'arrive pas à y découvrir le sien. »

(L'homme sans qualités, II, 21)

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