jeudi 12 septembre 2013

Lohengrin


« C’est au commencement une large nappe dormante de mélodie, un éther vaporeux qui s’étend, pour que le tableau sacré s’y dessine à nos yeux profanes ; effet exclusivement convié aux violons, divisés en huit pupitres différents, qui, après plusieurs mesures de sons harmoniques, continuent dans les plus hautes notes de leurs registres. Le motif est ensuite repris par les instruments à vent les plus doux ; les cors et les bassons, en s’y joignant, préparent l’entrée des trompettes et des trombones, qui répètent la mélodie pour la quatrième fois, avec un éclat éblouissant de coloris, comme si dans cet instant unique l’édifice saint avait brillé devant nos regards aveuglés, dans toute sa magnificence lumineuse et radiante. Mais le vif étincellement, amené par degrés à cette intensité de rayonnement solaire, s’éteint avec rapidité, comme une lueur céleste. La transparente vapeur des nuées se referme, la vision disparaît peu à peu dans le même encens diapré au milieu duquel elle est apparue, et le morceau se termine par les premières six mesures, devenues plus éthérées encore. »

Le texte ci-dessus, extrait d’un commentaire de Franz Liszt au Prélude de Lohengrin fit sur Baudelaire une impression notable. Dans son Richard Wagner et Tannhäuser à Paris, le poète insiste, en le citant longuement (les italiques étant par ailleurs de son fait) sur la jouissance particulière – synesthésique – dans laquelle ce morceau l’aura lui-même plongé. Et après y avoir, de fait, reconnu une coïncidence parfaite avec ses propres conceptions, en rappelant les deux premiers quatrains de ses Correspondances (« Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. »), Baudelaire évoque le surgissement primitif, puis les aventures diverses causées en son âme par le fameux Prélude, parlant là « de l’extraordinaire volupté qui circule dans les lieux hauts », ici d’« un immense horizon », ailleurs d’une « large lumière diffuse », de la « sensation d’une clarté plus vive, d’une intensité de lumière croissant avec une telle rapidité, que les nuances fournies par le dictionnaire ne suffiraient pas à exprimer ce surcroît toujours renaissant d’ardeur et de blancheur, etc »…

Pour nous, ce morceau fut toujours celui du soleil qui s’avance, au matin, en quelque endroit calme et retiré, infiniment tranquille, infiniment irisé, mais se renforçant peu à peu et finissant par tout envelopper de sa gangue chaude, bientôt brûlante. Un orgasme de soleil, en quelque sorte, montant par nappes épaisses, s’établissant par degrés et volumes toujours reconquis, tout lointains et évanescents qu’ils soient, à force – paradoxale – de discrétion, c’est-à-dire de puissance absolue. Autant reconnaître que cette colorisation psychologique wagnérienne incontestable serait davantage à nos yeux celle du rouge, de l’orangé, du doré, en tous cas celle de la chaude brillance et de ses intensités conquérantes, impériales. Liszt nemploie-t-il pas l expression de « rayonnement solaire » ? Pourtant, la tonalité de Lohengrin dans son ensemble, à en croire certains spécialistes autorisés, devrait plutôt être associée, sans lombre dun doute chromatique, au « bleu argent ». Telle était, par exemple, l’opinion de Thomas Mann que Martin Gregor-Dellin reprend à son compte dans sa célèbre - et excellente - biographie (Wagner).
Bref, chacun son chant des voyelles.
Voilà pourquoi, à vous lectrices, Lecter, Hannibal, et tous les autres, Le Moine Bleu (acier), outre le Prélude de Lohengrin lui-même, offre céans, l’accompagnant, deux illustrations d’absolument égales qualité et pertinence : le Soleil levant de Giuseppe Pellizza da Volpedo, d’abord, et puis ensuite (ci-dessous) une sublime coquille bleu-argent de l’excellente maison Divshare, coquille au moyen de laquelle, lectrice, lecteur,  etc, tu pourras à ton tour jouir de cette œuvre immortelle.
En sorte que chacun, de cette façon, pourra sereinement établir vers où tendent ses préférences profondes.
Et qui a dit que nous étions de mauvaise foi ? 
 


 Note du 12 mai 2015 : La coquille ci-dessus ne fonctionnant guère, qu'à cela ne tienne. On se rabattra, pour écouter le Prélude suprême, sur la vidéo ci-dessous.

                     

1 commentaire:

  1. Je pensais à un orangé plus qu'au rouge, il y a quelques douceurs...

    Max

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