Cascade de l'Éléphant (27ème niveau) |
La grotte du Moine Bleu se
trouve, à peu de chose près, équidistante du temple de Sambor Prey Kuk et de la ville de Kanchanaburi. On la définirait
d’ailleurs plus justement un aven
qu’une grotte, eu égard à la disposition rapidement plongeante de ses multiples galeries et boyaux, lesquels
s’enfoncent bientôt dans les ténèbres de sa structure karstique, sur des
distances douteuses, la grotte n’ayant jamais fait l’objet d’investigations
spéléologiques modernes ni poussées. Sa profondeur exacte reste à ce jour inconnue.
Les seuls témoignages y faisant référence sont le fait d’habitants des
localités voisines, installées sur la Rivière Jaune, pour qui une poignée de
ces passages mèneraient tout droit au centre de la Terre, et au risque,
conséquemment, de traverser celle-ci
de part en part avant de subir, de l’autre côté, les affres d’une chute
éternelle, parmi toutes sortes d’astres défunts. La grotte est dite aussi, par
la population des environs, abriter en ses abysses des démons enfermés ici par
les incantations de puissants magiciens, ainsi que des créatures géantes et étranges, mi-poisson
mi-serpents, aveugles par nécessité et raffolant du sang – qu’elles détecteraient
à des lieues – et des os humains. Il semble que l’origine de telles croyances
soit à rapprocher, entre autres choses, de l’existence authentique, au sein de
ce biotope particulier, totalement dépourvu de lumière, d’une faune
exceptionnelle, déployant des formes et des apparences rares, dont nous aurons
à reparler.
L’entrée principale se trouve
comme dissimulée par le filet jaillissant, juste au-dessus d’elle, d’une source
baignant une foule disséminée d’épiphytes, rendus euphoriques, semble-t-il, par
l’administration d’un tel traitement de faveur, et dont les excroissances, par
endroits très impressionnantes, la masquent facilement au regard du marcheur,
concentré sur son effort. Cette entrée se voit aussi tapissée d’une abondance
de mousses invariablement ruisselantes, fixées sur ses parois latérales. En franchissant
l’obstacle liquide, on pénètre soudain une cavité presque perpendiculaire à la
roche, si brutalement insérée dans sa
chair qu’on se trouve à l’instant comme rendu, presque au sec, à un univers
purement minéral, la source persistant à glouglouter derrière nous, avec
nostalgie, ayant fini ici de soumettre la pierre aux effets fertilisants de son
écoulement. On se trouve préservé de la pluie, et dans une moindre mesure du
vent, inexistant le jour, certes – au point d’ailleurs d’écraser tous les êtres
d’une lourde et étouffante rigidité – mais souvent glacial sitôt la nuit
tombée. La coulée perpétuelle, dehors, n’interdit nullement l’examen extérieur
puisque suivant obstinément le même chemin, et destin, central. De part et
d’autre de cette cascadette, le paysage se compose ainsi, ou se découpe, au gré
des éclaboussures et autres insensibles nuées rafraîchissantes dispensées au
hasard. Des fougères arborescentes de belle taille (telles ces Dicksoniaceae que d’éminents spécialistes jugeaient encore ces dernières
années absentes de la région,
incapables de s’y adapter) déroulent avec langueur leurs crosses majestueuses,
depuis les hauteurs immédiates où leurs troncs se sont installés, affleurant
ainsi, pointant en quelque sorte le bout de leurs spores devant la grotte, en la partie supérieure de son
ouverture, laquelle peut bien avoir trois mètres de diamètre. C’est au travers
des frondes de ces fougères, déposées avec élégance sur le fil de l’horizon,
que, depuis quelque bât flanc d’aménagement sommaire
faisant face à l’entrée, sur lequel on s’allonge, l’on peut distinguer – quoique les lieux soient déjà
plongés dans une semi pénombre – les collines avoisinantes, d’abord,
recouvertes de végétation foisonnante et grasse, puis la cascade de l’Éléphant,
sur la gauche, tumultueuse en saison des pluies, réduite à un filet clapotant,
et bourbeux, de fin Février à Juin. Aussitôt derrière elle, dans l’ombre de son
rideau liquide écumeux, on devine un sentier tortueux, quasiment de niveau sur
une cinquantaine de mètres mais dévalant ensuite, dans le secret du feuillage, une
litanie de racines à contreforts et de pierres scélérates, sans discontinuer
jusqu’à la Rivière Jaune, avant d’aboutir, enfin, au premier des villages
bordant celle-ci, distant au total, depuis la grotte, d’environ deux kilomètres
et demi. Ce sentier n’est entretenu qu’en saison sèche. Sous l’effet des pluies
ininterrompues, de Juillet à Septembre, les coulées de boue qui le recouvrent
en rendent l’ascension difficile, sinon impossible, et même le font peu ou prou
disparaître. Tout, en réalité,
disparaît alors, dans la confusion végétale et l’exhalaison douce des
corruptions accélérées. Partout, celle-ci se donne à apprécier, aux narines
émues, également saturées, comme tout le reste, le vivant, l’immobile,
d’humidité poisseuse et chaude.
J'espère y être invité avant l'effondrement global, l'endroit me semble charmant.
RépondreSupprimerPs:venant de retrouver un de vos commentaires dans ma Boîte à Spam, il est à présent disponible (et commenté) sous le A.399 y afférent.
Si le coeur vous en dit, pourriez-vous m'envoyer votre adresse mail via la mienne ? Rien ne presse. Bonnes vacances à tous.
Cher Marquis,
RépondreSupprimerVous trouverez notre adresse mail dans la rubrique " saluer le vieil océan " (cliquer sur le moine bleu), sur votre droite après la grotte.
Bien à vous.
Hé hé, cher Moine, votre plume envoûte lorsqu'elle se laisse aller et pâmer ainsi : "dans la confusion végétale et l’exhalaison douce des corruptions accélérées", j'en redemande !
RépondreSupprimerCe billet a un petit parfum de Tintin et le temple du soleil, album qui m'a toujours exalté…
Et puis ce titre est mieux venu que Dans la motte du goitre bleu.
Cher George,
RépondreSupprimerVous êtes exquis, comme toujours. Par les temps qui courent, mieux vaut une plume dorée qu'une plaie de rhume. Vous ne trouvez pas ?
Certes, mais je me suis gourancé dans mes pinceaux, comme d'habitude : j'aurais plutôt dû évoquer la glotte du moine beur…
RépondreSupprimerL'eussiez-vous su, b(ou)rrique ?
RépondreSupprimerJ'ai lu Kubrick, en effet…
RépondreSupprimerCher Georges,
RépondreSupprimerLe cas est rude et balèze...
Ah Moine Bleu, je n'en finis pas de découvrir les pépites que contient ton blog, et celle-ci n'est pas des moindres. C'est exactement le type d'images dont je garde la tête pleine après quelques séjours sur ces terres magiques d'Asie du Sud-est, bouleversement des sens que l'horreur sociale thaïlandaise m'a finalement obligé à mettre quelque peu de côté.
RépondreSupprimerUn endroit à équidistance entre Sambor et Kanchanaburi (deux lieux non moins fabuleux), serait-ce donc du côté de Sa Kaeo, ou de Tublan ? De Loei ? De Nan ? Mais il est vrai que plus on remonte, plus les possibilités sont nombreuses, jusqu'a Phongsaly par exemple. J'opterais toutefois pour les premières propositions. Je suis curieux, tant me fascine le moindre bout de jungle dense de cette partie du monde.
Amitiés
Vous comprendrez que, dans un souci de discrétion et de tranquillité maintenues, nous conservions le silence sur l'emplacement exact des lieux ici évoqués. D'autant que les rapports avec les habitants voisins ne sont - déjà - pas toujours au beau fixe, ainsi que précisé dans le second volet de l'évocation en question.
SupprimerMerci de votre bienveillance, et pour vos amitiés, que nous vous retournons aussitôt.
Miam !
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