jeudi 23 mai 2013

Dans la grotte du Moine Bleu

Cascade de l'Éléphant (27ème niveau)


La grotte du Moine Bleu se trouve, à peu de chose près, équidistante du temple de Sambor Prey Kuk et de la ville de Kanchanaburi. On la définirait d’ailleurs plus justement un aven qu’une grotte, eu égard à la disposition rapidement plongeante de ses multiples galeries et boyaux, lesquels s’enfoncent bientôt dans les ténèbres de sa structure karstique, sur des distances douteuses, la grotte n’ayant jamais fait l’objet d’investigations spéléologiques modernes ni poussées. Sa profondeur exacte reste à ce jour inconnue. Les seuls témoignages y faisant référence sont le fait d’habitants des localités voisines, installées sur la Rivière Jaune, pour qui une poignée de ces passages mèneraient tout droit au centre de la Terre, et au risque, conséquemment, de traverser celle-ci de part en part avant de subir, de l’autre côté, les affres d’une chute éternelle, parmi toutes sortes d’astres défunts. La grotte est dite aussi, par la population des environs, abriter en ses abysses des démons enfermés ici par les incantations de puissants magiciens, ainsi que des créatures géantes et étranges, mi-poisson mi-serpents, aveugles par nécessité et raffolant du sang – qu’elles détecteraient à des lieues – et des os humains. Il semble que l’origine de telles croyances soit à rapprocher, entre autres choses, de l’existence authentique, au sein de ce biotope particulier, totalement dépourvu de lumière, d’une faune exceptionnelle, déployant des formes et des apparences rares, dont nous aurons à reparler.
L’entrée principale se trouve comme dissimulée par le filet jaillissant, juste au-dessus d’elle, d’une source baignant une foule disséminée d’épiphytes, rendus euphoriques, semble-t-il, par l’administration d’un tel traitement de faveur, et dont les excroissances, par endroits très impressionnantes, la masquent facilement au regard du marcheur, concentré sur son effort. Cette entrée se voit aussi tapissée d’une abondance de mousses invariablement ruisselantes, fixées sur ses parois latérales. En franchissant l’obstacle liquide, on pénètre soudain une cavité presque perpendiculaire à la roche, si brutalement insérée dans sa chair qu’on se trouve à l’instant comme rendu, presque au sec, à un univers purement minéral, la source persistant à glouglouter derrière nous, avec nostalgie, ayant fini ici de soumettre la pierre aux effets fertilisants de son écoulement. On se trouve préservé de la pluie, et dans une moindre mesure du vent, inexistant le jour, certes – au point d’ailleurs d’écraser tous les êtres d’une lourde et étouffante rigidité – mais souvent glacial sitôt la nuit tombée. La coulée perpétuelle, dehors, n’interdit nullement l’examen extérieur puisque suivant obstinément le même chemin, et destin, central. De part et d’autre de cette cascadette, le paysage se compose ainsi, ou se découpe, au gré des éclaboussures et autres insensibles nuées rafraîchissantes dispensées au hasard. Des fougères arborescentes de belle taille (telles ces Dicksoniaceae que d’éminents spécialistes jugeaient encore ces dernières années absentes de la région, incapables de s’y adapter) déroulent avec langueur leurs crosses majestueuses, depuis les hauteurs immédiates où leurs troncs se sont installés, affleurant ainsi, pointant en quelque sorte le bout de leurs spores devant la grotte, en la partie supérieure de son ouverture, laquelle peut bien avoir trois mètres de diamètre. C’est au travers des frondes de ces fougères, déposées avec élégance sur le fil de l’horizon, que, depuis quelque bât flanc d’aménagement sommaire faisant face à l’entrée, sur lequel on s’allonge, lon peut distinguer – quoique les lieux soient déjà plongés dans une semi pénombre – les collines avoisinantes, d’abord, recouvertes de végétation foisonnante et grasse, puis la cascade de l’Éléphant, sur la gauche, tumultueuse en saison des pluies, réduite à un filet clapotant, et bourbeux, de fin Février à Juin. Aussitôt derrière elle, dans l’ombre de son rideau liquide écumeux, on devine un sentier tortueux, quasiment de niveau sur une cinquantaine de mètres mais dévalant ensuite, dans le secret du feuillage, une litanie de racines à contreforts et de pierres scélérates, sans discontinuer jusqu’à la Rivière Jaune, avant d’aboutir, enfin, au premier des villages bordant celle-ci, distant au total, depuis la grotte, d’environ deux kilomètres et demi. Ce sentier n’est entretenu qu’en saison sèche. Sous l’effet des pluies ininterrompues, de Juillet à Septembre, les coulées de boue qui le recouvrent en rendent l’ascension difficile, sinon impossible, et même le font peu ou prou disparaître. Tout, en réalité, disparaît alors, dans la confusion végétale et l’exhalaison douce des corruptions accélérées. Partout, celle-ci se donne à apprécier, aux narines émues, également saturées, comme tout le reste, le vivant, l’immobile, d’humidité poisseuse et chaude.

11 commentaires:

  1. J'espère y être invité avant l'effondrement global, l'endroit me semble charmant.

    Ps:venant de retrouver un de vos commentaires dans ma Boîte à Spam, il est à présent disponible (et commenté) sous le A.399 y afférent.

    Si le coeur vous en dit, pourriez-vous m'envoyer votre adresse mail via la mienne ? Rien ne presse. Bonnes vacances à tous.

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  2. Cher Marquis,

    Vous trouverez notre adresse mail dans la rubrique " saluer le vieil océan " (cliquer sur le moine bleu), sur votre droite après la grotte.
    Bien à vous.

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  3. Hé hé, cher Moine, votre plume envoûte lorsqu'elle se laisse aller et pâmer ainsi : "dans la confusion végétale et l’exhalaison douce des corruptions accélérées", j'en redemande !

    Ce billet a un petit parfum de Tintin et le temple du soleil, album qui m'a toujours exalté…

    Et puis ce titre est mieux venu que Dans la motte du goitre bleu.

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  4. Cher George,

    Vous êtes exquis, comme toujours. Par les temps qui courent, mieux vaut une plume dorée qu'une plaie de rhume. Vous ne trouvez pas ?

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  5. Certes, mais je me suis gourancé dans mes pinceaux, comme d'habitude : j'aurais plutôt dû évoquer la glotte du moine beur

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  6. Cher Georges,

    Le cas est rude et balèze...

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  7. Ah Moine Bleu, je n'en finis pas de découvrir les pépites que contient ton blog, et celle-ci n'est pas des moindres. C'est exactement le type d'images dont je garde la tête pleine après quelques séjours sur ces terres magiques d'Asie du Sud-est, bouleversement des sens que l'horreur sociale thaïlandaise m'a finalement obligé à mettre quelque peu de côté.

    Un endroit à équidistance entre Sambor et Kanchanaburi (deux lieux non moins fabuleux), serait-ce donc du côté de Sa Kaeo, ou de Tublan ? De Loei ? De Nan ? Mais il est vrai que plus on remonte, plus les possibilités sont nombreuses, jusqu'a Phongsaly par exemple. J'opterais toutefois pour les premières propositions. Je suis curieux, tant me fascine le moindre bout de jungle dense de cette partie du monde.

    Amitiés

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    1. Vous comprendrez que, dans un souci de discrétion et de tranquillité maintenues, nous conservions le silence sur l'emplacement exact des lieux ici évoqués. D'autant que les rapports avec les habitants voisins ne sont - déjà - pas toujours au beau fixe, ainsi que précisé dans le second volet de l'évocation en question.
      Merci de votre bienveillance, et pour vos amitiés, que nous vous retournons aussitôt.

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