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≪ Le chien et les animaux de la même espèce sont unis à cause d'une commune nature spécifique [note du MB : aujourd'hui, on parlerait d'ADN] qui se trouve en eux, nature spécifique qui, de toute façon, serait contractée en eux même si l'intellect de Platon ne s'était pas forgé les espèces par la comparaison des similitudes entre les individus. L'intelliger est donc postérieur à l'être et au vivre quant à son opération, puisque, par son opération, l'intelliger ne peut donner ni l'être ni le vivre, ni l'intelliger même ; mais du point de vue des choses intelligées, l'intelliger de l'intellect lui-même suit aussi par analogie l'être, le vivre et l'intelliger de la nature. C'est pourquoi les universaux qu'on fabrique en comparant entre eux les individus sont similaires aux universaux contractés dans les choses particulières ; et ces universaux sont déjà dans l'intellect même de façon contractée, avant même que celui-ci ne les développe, par son acte d'intellection (qui est son opération propre) dans l'extériorité où ils sont connus. On ne peut en effet rien intelliger qui ne soit pas déjà en soi-même de façon contractée. En intelligeant, l'intellect développe, au moyen de notions et de signes comparatifs, un monde de similitudes qu'il contracte en lui.
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≪ Les péripatéticiens ont, d'une certaine façon, raison de dire que les universaux n'existent pas en acte en dehors des choses. Seul le singulier est en acte, lui en qui les universaux sont, sur le mode de la contraction, le singulier même. Les universaux ont pourtant, conformément à l'ordre de la nature, un certain être universel, susceptible d'être contracté par le singulier, non pas que les universaux soient en acte avant la contraction, ce qui serait contraire à l'ordre de la nature (puisque l'universel susceptible d'être contracté n'a pas de subsistance propre), mais ils sont en acte dans ce qui est en acte ; ainsi le point, la ligne, la surface précèdent, selon un ordre progressif, le corps dans lequel seul ils sont en acte. En effet, les universaux (...) ne sont pas seulement des êtres de raison, bien qu'on ne puisse pas les trouver en acte en dehors des singuliers, de même que la ligne et la surface, bien qu'on ne puisse les trouver en dehors des corps, ne sont pas pour autant de simples êtres de raison, puisqu'ils sont dans les corps comme les universaux sont dans les choses singulières. Cependant, l'intellect les fait exister en dehors des choses au moyen de l'abstraction (...) et c'est cette abstraction qui est un être de raison.≫
(Nicolas de Cues, La docte ignorance, 1440)
RépondreSupprimerTrès joliment touffu ! Même en suivant son usage de retournement, de point de bascule, je ne saisis pas le « point de vue des choses intelligées », et vous ? J'imagine le réel, mouaip... Je vais donc ruminer le « contracté » du Cusain.
Non sans rapport, ce qui suit*, en thématisant la notion de point de vue à partir de ce « certain universel » de la partie 2., mais selon un ordre non progressif. Où, cette fois, l'apparaître n'apparaît plus, extensivement du moins. Ordre, cohérent à sa manière, qui abîmerait paradoxalement ce raisonnement universaliste en profession de foi relativiste – à partir de laquelle on reconnaîtra, pour autant qu'on l'étoffe par la pratique de la mesure, l'ensemble de la science, y compris dans ce qu'elle peut produire de plus faux en faisant jouer les points de vue.
* Le point est une ligne vue d'un de ses deux côtés tout à fait perpendiculaire, et réciproquement. Ils sont le même être que le segment vu de tout autre côté, et pas nécessairement sous le même plan, à cette distance respectable située, comme selon la parabole, plutôt de la taille de la paille que de celui de la poutre. Le point et la ligne sont aussi le même être que ce qui apparaît comme surface dès lors que l'un ou l'autre n'est vu ni d'un de ces deux côtés perpendiculaires, ni non plus sous le même plan.
Chez le cusain, c'est le couple "COMPLICATION"-"explication" qui est décisif. 1°) La complication, c'est l'unité de tout ce qui est, en Dieu, absolument transcendante (c'est la différence avec Hegel, chez qui l'Absolu s'exprime et se connaît lui-même dans cette expression immanente : pas de frontières, donc, chez Hegel entre essence et manifestation : ce qu'il nomme "logique du CONCEPT".
Supprimer2°) L'ex-pli-cation, c'est le déroulement des plis de l'être : autrement dit la manifestation, ou l'aliénation de l'idée dans la nature (comme dirait Hegel). 3°) Le troisième terme fondamental : "contraction" prête à confusion, car il évoquerait plutôt un resserrement, vers l'unité, donc. Or, ce n'est pas le cas : de ce que l'on en comprend, la "contraction" ici évoque plutôt le sens "pathologique" : "contracter une maladie", autrement dit : l'Absolu doit "contracter" l'être sous forme de pluralité (bref : la vie, sous différents espèces). Il y a donc une exigence logique que l'universel soit, existe : l'absolu doit se faire universel, un universel de deuxième classe relativement à l'absolu. Dieu est un universel absolu, ne s'épuisant pas dans sa procession, mais il se "contracte" dans un universel de deuxième niveau (qui est, par exemple, l'universel cosmique, astronomique). Giordano Bruno reprendra cet univers infini-là, en le radicalisant (en supprimant la différence entre universel-absolu et universel-"contracté).
En somme, chez le Cusain, il y a une nécessité logique de "sortie de soi" de l'Absolu via l'universel (les "universaux"), sorte de seconde hypostase (l'Intellect, comme disait Plotin et consorts). Ces universels (les "notions") sont donc à la fois a priori et seconds vis-à-vis des êtres singuliers. On reste dans l'aporie classique (présente dès les Catégories d'Aristote) entre réalisme et nominalisme, mais avec une ligne de fuite, annonçant Hegel, vers une logique dialectique (coïncidence des opposés). Mais selon certains, cette logique en reste à l'essence (contradiction désormais bienvenue en logique, identité de l'identité et de la différence), elle ne passe pas au Concept (plus de frontière transcendante, chez Hegel, entre l'Absolu et sa manifestation en savoir : chez De Cues, la frontière entre Dieu et le savoir ou l'intellect humain reste infranchissable, un infranchissable qu'il nomme justement "contraction", au sens maladif (chute).
En somme, il y a DEUX infinis (ou maximum), chez le cusain : un infini absolu (Dieu), et un infini "contracté" (au sens déchu) : l'univers astronomique. Dans le premier infini, tout est Un : le cercle, par exemple, est ligne : puisque la courbure induite par la circonférence d'un cercle tend à disparaître (en poussant cette circonférence à l'infini, ce que De Cues appelle "transomption", qui ressemble beaucoup à une Aufhebung : passage d'un être à son maximum, à son état-limite, au delà duquel il devient "autre") la circonférence "infinie" tend vers l'angle plat, vers les 180°.
SupprimerEn sorte qu'en Dieu, tout est un (la géométrie et la fusion universelle des concepts les uns dans les autres : point, ligne, triangle ; puis : ligne, surface, corps, etc, servent de matrice conceptuelle au cusain dans la première partie, géniale ! de la Docte Ignorance). Cet inifini-là est le paradis de la négation, et donc de la Théologie négative (du Pseudo-Denys).
Dans l'infini "suivant" (en quelque sorte), la "deuxième hypostase", les concepts géométriques renvoient toujours à l'unité, mais cette unité est désormais moins "parfaite" que l'Un divin, elle se "contracte" en diversité conceptuelle : lignes, points, figures diverses, etc.
Après relecture, plutôt le vivre que le réel, comme « point de vue des choses intelligées ». Hum !
RépondreSupprimerOui : la nécessaire "vie" du concept ! Le fait que le point de vue de Dieu doive "passer" en vie, et en "multiplicité intellectuelle des choses". Le fait qu'il doive y avoir quelque chose, plutôt que rien (ou que L'Un, impassible et solitaire). Dieu doit se faire vie du concept, dit De Cues. Il doit aussi se faire mort ! précisera Hegel. Dieu doit souffrir et mourir sur la croix, sous la forme de Jésus. Hegel ajoute la "souffrance du négatif" à la simple "coïncidence" (vivante et euphorique) des "opposés" du cusain.
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