vendredi 11 août 2017

Éros et civilisation (française)

19 commentaires:

  1. C'est beau, c'est grand, mais Calmos réclame quand même une remise en contexte :

    https://www.youtube.com/watch?v=K-gBVzuExIc
    https://www.youtube.com/watch?v=MAx64qjE8YY

    Autrement, excusez-moi, mais c'est un peu du découpage postmoderne, du jechoisiskimplé dans la totalité, de l'économie du petit morceau mis en bon ordre, bref de la dégoulonasserie ouebique pour flux sociaux intersectionnels où chacun lèche à sa plaie, amère forcément à ces purs maladroits pour qui l'index est un complément d'objet indirect, que nous tordrons donc pour leur faire bien chier les oreilles :

    https://www.youtube.com/watch?v=heKPfMEQXIY

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    1. Pas d'accord avec vous, sur le découpage. Nous nous sommes exprimés ailleurs sur le partage - au fond impossible à faire - chez Marielle, entre utopie et beauferie conservatrice (voir l'échange de commentaires dans : http://lemoinebleu.blogspot.com.es/2016/03/mitraillage-sec.html ).
      Du coup, le titre choisi ("l'hédonisme vulgaire") nous parut bien trouvé, dans son ambivalence (vulgaire=vulgus). Précisons toutefois que Joël Séria est pour nous bien plus précieux que Blier (ce dernier : moins empirique, plus abstrait, davantage soucieux - sans doute - de respectabilité intellectuelle petite-bourgeoise de gauche (ce dont, à sa décharge, il semble au reste tout-à-fait conscient de manière générale, voir, par exemple ici : https://www.youtube.com/watch?v=1F1n0OeenQ4)

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    2. Dans Calmos l'hédonisme prend la tournure d'une réunion non-mixte, un truc entre mecs qu'on peut se permettre parce que les femmes ne vont pas venir nous emmerder (propos qui, si je me souviens bien, clôt le film). Dès le début du film, comme le montre le premier lien, il y a opposition entre gourmandise et luxure, qui serait quant à elle un truc de femmes (dans cette satyre d'un certain féminisme, ce sont les hommes qui sont des hommes-objets traqués jusque dans leurs « safe spaces »). Donc, ce n'est pas tellement que ce serait plus beauf qu'utopique, juste que cet hédonisme gourmand ne se célèbre qu'en contrepoint d'autre chose et non pour lui-même (on flirte d'ailleurs gentiment avec des désirs d'autodestruction).

      https://www.youtube.com/watch?v=WOhpZTyiUeQ
      https://youtu.be/ZR70c6fHBIY?t=500

      Je ne connais pas Joël Séria, bien à tort visiblement (la scène de la robe de chambre violette est énormissime), mieux Blier, qui à mon avis n'a jamais fait mieux que les Valseuses.

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    3. Sur Calmos, vous avez absolument raison.
      Mais que faites-vous de cette scène précise, choisie justement dans cette séquence "hédonisme vulgaire", et de cette suite, hallucinante, de répliques Marielle-Rochefort :
      "- J'ai pas faim.
      - Moi non plus, j'ai pas faim : en voilà une excuse !"
      (ceci fait faiblement penser à cette tendance romaine, puis néo-romaine, proprement gastronomique-transcendentale voulant que le plaisir véritable de la table commence avec/après la satiété organique, comme la vie commencerait après la survie (assurée).
      Puis, ceci :
      " (Marielle) : - Ce choléstérol qu'on va se taper !!!"
      Où trouver, en l'espèce, ce trip "réunion non-mixte" dont vous parlez (et par ailleurs présent, en effet, dans le reste du film) ?
      Or, c'est cet aspect-là qui nous intéresse.
      D'où l'ambivalence beauf-utopie que nous pointions ici.
      Séria est, à notre sens, plus sincère, plus spontané, mais - du coup aussi - plus problématique, plus inquiétant pour nous.

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    4. La non-mixité pointe dans « Attention Albert si tu t'écoutes t'es bon pour rentrer chez Geneviève et becqueter son cachou » (d'où tu dois absolument manger, au besoin sans désir). Même si, ainsi tronçonné, ça pourrait aussi bien passer pour une simple critique de la domesticité.

      Quant au cholestérol, il fonctionne avec le sucre juste avant le coucher qui va bien attaquer l'émail. On lorgne, je pense, plus vers La Grande Bouffe que vers la mise en cause d'une hygiène qui ne fait que prolonger pour le principe de la prolonger une vie dont elle tue chaque moment. Peut-être est-on aussi là dans une critique en miroir inversé du féminisme puritain, pour qui il vaut mieux écraser les instincts et cultiver l'anti-érotisme que prendre le moindre risque de faire bander le Patriarcat (alias « les hommes »).

      En fait je crois qu'au final le problème est que la scène coupée ne peut s'assumer en tant que citation tout en demeurant employée trop platement pour prétendre au détournement. D'où le sentiment d'embrigadement. C'est trop carré, trop propre, il manque l'ambivalence que le film donne à cet hédonisme, qui s'en trouve déproblématisé. Un peu comme la scène de l'autoroute dans Les Valseuses :

      https://www.youtube.com/watch?v=tZyS9HSvn0A

      Si on l'intitule « Jouir ou conduire, il faut choisir », ça fonctionne, parce qu'on isole un aspect (comique) qui appartient en propre à la scène. Mais si on opte pour « Leçon de savoir-jouir en voiture », je trouve qu'on entre dans la trahison, parce qu'en terme de jouissance ce qui se joue dans la scène est l'autonomisation du désir de Marie-Ange, pas du tout la virtuosité acrobatique (qui a par ailleurs été un bide total durant tout le film). Dans le premier cas, on joue simplement avec le focus, dans le second, on mutile, on réduit, on arrache la forme au prix du fond, pour citer un film qui de ce fait n'existe pas.

      Tout bien pesé, on tourne autour de la question de savoir ce qui sépare un bon détournement d'une mauvaise citation.

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    5. En ce qui concerne l'autonomisation du désir de Marie-Ange, la meilleure scène du film est pour moi le récit par Marie-Ange du fameux pied, qu'elle réussit enfin à prendre avec ce gars timide qui ne paie pas de mine, ex détenu, qui n'ose ni ne lui impose rien, mais qui lui apprend tout sur son désir et sa jouissance à elle. « Alors, là !, non mais alors là ! ». Récit qui lui vaudra d'être balancée à la flotte une 2ème fois, car trop c'est trop.
      Dans la voiture elle retombe dans les travers des deux loulous. L'orgasme mécanique sans bouleversement. La routine.
      Le pendant de la scène du récit, c'est la scène où Jeanne Moreau, ex-détenue elle aussi, demande aux deux zozos : « ça vous dirait de coucher avec une vieille ? ». A leur tour d'être intimidés mais ils gagnent un huitième ciel inattendu. Ce sera encore plus chèrement payé.
      Il aura finalement fallu deux ex-abstinents cabossés pour révéler nos trois héros.

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    6. Oui, mais après la scène du double-plongeon, il y a celle de la potée, où on voit que Jacques, l'ex-puceau timide, s'est aussi révélé comme le mâle alpha de la bande. Celui qui s'asseoit en bout de table, se fait servir en premier les meilleurs morceaux de viande, et considère Marie-Ange avec autant si ce n'est plus de condescendance que les autres, puisque son nouveau statut tient précisément à ce que lui a triomphé d'elle (quand bien même c'est elle qui a « tout fait »). À ce stade on est donc dans quelque chose de très machiste (et d'autant plus drôle que Jean-Claude et Pierrot, serrés sur leur banc, dominent Jacques physiquement).

      Dans la voiture, rappelons que Jacques n'est plus là, ce que Marie-Ange est anxieuse de savoir, c'est justement si son plaisir était lié à cet amant particulier (schéma machiste, la jouissance féminine étant en définitive la puissance de tel ou tel mâle) ou si c'est elle qui a appris à jouir (puissance autonome). Au-delà de l'effet de distanciation comique propre à Blier, le fait que ce soit assez mécanique répond à cette question, et même plus puisqu'il y a même dépassement de l'opposition classique, encore latente dans la scène du plongeon, entre l'homme être sensuel et la femme être sentimental.

      Et c'est d'autant moins la routine qu'ensuite, quand ayant découvert dans le journal qu'ils sont recherchés ils essaient de la débarquer pour la préserver (et on voit qu'eux ce sont effectivement ouverts aux sentiments « À l'idée de te voir croupir dans une centrale, ça me rend malade. J'peux pas l'supporter tu comprends, t'es trop jolie, t'es trop fragile, t'as trop besoin d'affection, toi. », bien loin de « on cherche un cul ? j'ai trouvé un cul ! ») sa réponse plus que spontanée est « Au moment le plus jouissif !? Ah non, négatif ! ».

      https://www.youtube.com/watch?v=K8R7ZD26qYg&feature=youtu.be&t=6199

      (Misère, me voici relapsé dans le péché de tartine !)

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    7. (notre intervention suivante, ci-dessous, du 16 aout répond à celle de l'anonyme du 15 aout. Sinon, on comprend plus rien, c'est le bordel)

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    8. Vilbidon
      Je n'ai pas vu le film depuis des années. Vous me faites revenir la scène de la potée en mémoire. J'y retourne immédiatement (voir le film).

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  2. Une fois encore, votre interprétation est intéressante, mais cependant pas convaincante, elle reste une interprétation. Quittons un peu Calmos, voulez-vous, et le fond de ce film (fond masculiniste, sur lequel nous sommes parfaitement d'accord). Revenons à ce qui faisait le fond de ce billet : l'objet même présenté ici, accouplement de trois séquences constituant un nouvel objet. Peu importe le nom qu'on donne à cet objet composite : détournement, ou citation. La fin d'un détournement c'est toujours précisément la fin, le but d'une telle opération. Ce but nous demeure inconnu (ce qu'a bien pu vouloir dire son auteur youtubesque, au juste...). Il n'en reste pas moins que cet objet existant, étant-là, il suscite un certain effet objectif, pour nous comique et critique : de même qu'un rêve compose lui aussi un certain effet visuel renvoyant à un sens latent, ou caché, lié au sujet qui le produit inconsciemment. Pour nous, en l'occurrence, dans ces trois séquences accouplées, dans ces trois apparitions de Marielle, le titre proposé ici, une fois de plus, fait sens ("l'hédonisme vulgaire"). Et la contradiction qui traverse ce titre nous semble développable en celle-ci : pulsion de mort et éros au sein même de la civilisation, de la "culture" française, que le moustachu viril archétypal Marielle incarne tout simplement, sensiblement. Vous aviez d'ailleurs flairé cette pulsion de mort dans l'extrait de Calmos, ce qui amène de l'eau à notre moulin. Mais vous avez sans doute négligé le regard critique, autocritique, porté par Marielle (et le réalisateur des trois films) sur son propre personnage. Comment penser que le masculinisme de Marielle, l'avarice (deuxième extrait), ou le narcissisme sexuel pathétique (3ème extrait) soient ici juste célébrés ? Dans l'extrait de Calmos autant que dans les deux autres, les tonalités critique et favorables se rejoignent et s'épaulent dialectiquement pour exprimer (pour nous pertinemment) le caractère contradictoire de la civilisation française (mariellesque) en question : mélange célinien de bassesse rouée et de naïveté innocente et féconde. Marielle et Rochefort, dans le 1er extrait, évoquent un couple beckettien, en fin de partie : ils sont risibles et absurdes autant que porteurs de quelque sens que ce soit. De même qu'est risible l'apologète du bruit et de la luminosité de la thune du second extrait, et celui qui lance, sans penser à mal, sans penser, d'ailleurs, à rien d'autre qu'à lui-même, dans le dernier moment :
    - Ton cul, mon génie !
    Tout cela dresse, au final, un portrait assez saisissant - contradictoire - de la France éternelle, comme dirait le Général.
    Et au-delà de toute interprétation, de tout théoricisme, cela nous suffit au plan sensible.

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    1. Pour « Ton cul, c'est mon génie ! », ça reprend ce qui est dit de Courbet, « Quel génie il faut pour peindre ça ! ». Or, on peut certes le comprendre comme « il faut être un génie pour savoir peindre un cul » mais aussi comme « il faut être un génie pour voir dans un cul un sujet », ce qui me paraît la vraie originalité de Courbet. Le sens de l'exclamation devient alors « Ton cul, c'est mon sujet ! », c'est ce qui me bouleverse bien au-delà de la grivoiserie à laquelle on s'arrête à l'ordinaire (et qui ramènerait dans l'obscénité), c'est ce dont ma sensibilité (de génie, du coup) me permet d'éprouver le sublime. Quand au bruit de la thune, j'y ai vu plutôt un argent redevenu pure valeur d'usage, équivalent à sa stricte matérialité. Mais peut-être les films, que je n'ai pas vus, vous donnent raison, ce qui à son tour fait tourner mon petit moulin.

      C'est d'ailleurs un peu l'expérience que j'ai faite avec la robe de chambre violette. Tout est terriblement vulgaire et de mauvais goût, mais les deux amants sont tellement dans le même jeu que ça en devient beau et donc subversif par rapport au compassé qui domine souvent la représentation du sentiment amoureux (là on a de la guimauve plein les yeux, mais au sens propre). C'est comme cela que je le prenais, mais en m'intéressant à Joël Séria je m'aperçois qu'il a voulu peindre un beauf épique, d'où j'ai peut-être tout faux sur la scène ou, en tous les cas, le fait que le violet bien flashouille le mette en transe sort certainement du cadre de la complicité amoureuse.

      Plus qu'une question d'interprétation, je crois que c'est une question de point de vue. Une citation doit pouvoir assumer toute la relation qu'elle entretien avec l'œuvre dont elle est issue. C'est ce point de vue là, cette obligation de considérer l'ensemble qui me paraît requis. Après, oui, l'interprétation qui opère cette synthèse peut évidemment être disputée à l'envi. Ici, ma « dialectique » serait plutôt vis-à-vis du spectateur : ce qui nous sépare fondamentalement de ces zozos, c'est que nous ne sommes même pas drôles. Ce qui ramène effectivement à une position autocritique, vers un dépassement dans l'autodérision réjouissante (peut-être la limite française : on se débine volontiers mais c'est presque de la mortification, je dirais qu'il nous manque quelque chose de belge).

      (Pour Calmos, c'est masculiniste oui et non. L'évocation du djebel, le rappel au devoir conjugal pour assouvir ses pulsions naturelles et irrépréssibles, c'est clairement une attaque en inversion d'une degueulasserie typiquement masculine — et d'autant que les deux bonshommes, le très délicat Rochefort au premier chef, sont loin d'être des concentrés de testostérone. C'est un peu le problème de ce film, ça tire dans tous les sens, ça fait souvent mouche, mais au final ça ne sait pas où ça veut en venir — d'ailleurs Blier le qualifie lui-même de « daube passionnante » : https://youtu.be/N76kIj2jNQQ?t=109 )

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    2. Vous pensez vite, bien, et en désordre. Et de même, du coup, vous faites penser aussi. Comme Séria. On n'en demande pas plus (mais plus encore : sans fin). Merci à vous.

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    3. Oui, j'ai une pensée un peu bidonville, le tout finit par se tenir mais cache mal la faiblesse architecturale qui structure l'ensemble. J'avoue avoir un peu hésité avant d'allonger ce fil avec ma dernière tartine, mais après tout ce n'est là qu'une petite revanche pour tout le temps pareillement « perdu » sur ce blog (entre autres, voilà qu'il me faut dégoter les films de Séria). Au plaisir peut-être d'un prochain... potlatch, donc. Amitiés.

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  3. Ce n'est précisément pas un cul "la plus belle chose du monde" (son origine) qu'avait peint Courbet. Pour ces mecs à la Audiard dont Marielle est un acteur distancié on disait "cul" pour dire "con".

    Qu'est-ce qui fait rire dans la scène finale, défoulant tendrement le refoulé homosexuel masculiniste, des "Deux crocodiles" de Séria ? Est-ce la révélation comme schadenfreude anti-masculiniste selon laquelle tous les mecs sont des pédés qui s'ignorent ? Ou bien est-ce parce qu'elle termine en point d'orgue un film où toutes les relations libidinales sont frustrantes et liées à l'argent ?

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    1. C'est vrai que « cul » à plusieurs acceptions. Mais mieux que l'Origine du monde cette scène évoque à mon avis La Source (d'inspiration ?) : https://wikisource.org/wiki/File:Gustave_Courbet_-_La_Font_(1862).jpg https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Gustave_Courbet_-_The_Source_-_WGA05506.jpg

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    2. Certes, il n'y pas que l'origine dans la vie, il y a aussi des sources.

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  4. Eh bien, ce qui fait rire, ou ce qui fait plaisir, ne serait-ce pas simplement l'état désarçonnant de notre état affectif à la vue de ce genre de scène contradictoire ? Ni franchement libérateur ni complètement affligeant. Tout ce qui se rapproche ainsi de la contradiction assumée nous rapproche de la seule vérité concevable. Un humour sans souffrance, par exemple, serait le début du fascisme. Voyez Beckett, une fois encore.

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  5. Désarçonnant en effet. Bien trouvé, pour une belle chute !

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