« Si tu veux être heureux,
Nom de dieu !
Pends ton propriétaire,
Coupe les curés en deux,
Nom de dieu !
Fous les églises par terre,
Sang-dieu !
Et l'bon dieu dans la merde,
Nom de dieu !
Et l'bon dieu dans la merde.
Peuple trop oublieux,
Nom de dieu !
Si jamais tu te lèves,
Ne sois pas généreux,
Nom de dieu !
Patrons, bourgeois et prêtres,
Sang-dieu !
Méritent la lanterne,
Nom de dieu !
Méritent la lanterne. »
***
Il paraît qu'en marchant à la guillotine un certain jour de juillet 1892, le prénommé Ravachol eut juste le temps de gueuler les choses ci-dessus à la face de l'assistance, médusée, avant de se trouver interrompu - fort vulgairement, d'ailleurs - par la lame de l'honnête artisan Deibler.
Pour tout vous dire, on ne sait pas. On ne peut pas l'assurer vraiment. On n'était pas là. Ce qu'on sait, en revanche, c'est qu'à l'époque, en France, la religion des pauvres, comme disent les sociologues libertaires contemporains, c'était le christianisme. Et que, à l'époque, toujours, et en France, toujours aussi, eh ben les anarchistes en avaient rien à foutre de la religion des pauvres, et pis aussi du patriotisme des pauvres, ou même de quelque autre aliénation des pauvres que ce soit. Si ce n'est, peut-être, justement, que ces aliénations-là, toutes ces croyances imbéciles et débilitantes, constituaient précisément à leurs yeux le premier obstacle, et le dernier empêchement sur le chemin de la libération de conscience, d'une conscience de classe.
Ces temps-là sont bien loin où l'on tenait, avec de parfaitement bonnes raisons, qu'aimer les pauvres réels revient précisément à exécrer leur existence de classe, autrement dit toutes leurs aliénations, toutes leurs misères les plus concrètes, les unes derrière les autres, en enfilade dégueulasse : soit ce que le capital fit, et fait aujourd'hui, et puis fera d'eux, encore, pour des siècles et des siècles, des pauvres, durant toute leur chienne de vie, en les empêchant d'être tout ce qu'ils promettent, ce qu'ils eussent promis d'être, en termes d'humanité achevée, c'est-à-dire de bonheur. En les tuant dans l'oeuf, en somme. Dès cette vie misérable.
Résumons-nous. Du fond des crâne et cerveau des anarchistes d'alors, qui avaient oublié d'être cons, décidément, et auxquels nous resterons, nous, indéfectiblement fidèles, autant que d'autres le demeurent sans gêner grand-monde, visiblement, à leurs pathétiques histoires de prophètes imbéciles quoique pluri-séculaires, du fond de leur caboche, donc, aux compagnons, germa là en vérité cette idée sublime et fatale : lesdites aliénations dont nous causons ici depuis tantôt toujours demeureront des pauvres l'ennemi principal, avec leur poisse maudite de sectateurs associés, d'escrocs divers organisés ! Jusqu'à la fin des temps, oui, jusqu'à la fin du monde, leur monde, lequel est malgré tout le seul réel dont nous disposons, en propre et en sale, parce qu'il n'y en a pas d'autre. Or, savoir qu'il n'y en a pas d'autre, amis, aussi peu d'autre monde, en vérité, qu'il existe de Dieu dans l'univers, voilà bien le seul secret méritant jamais d'être su, et hautement révélé, d'autant qu'il est très aisément public et accessible strictement de par soi. D'autant, surtout, qu'il est un autre secret suivant aussitôt celui-ci, déboulant même juste derrière, à très courte distance : celui, obligatoire, de la révolution, eh ouais ! dès lors en effet nécessaire à celui qui n'a rien puisque il n'y a pas de vie outre la mort, et qu'il n'y a pas de dieu.
Mais baste. Chut ! On vous sent fatigués. Ne cassons pas l'ambiance. Foin de sectarisme ou d'idéologie. Foin d'intolérance. Du calme. Ne nous payons plus de mot. Et place à la musique. Nom de Dieu.
Assurément, nous avons de l'amour pour les anarchistes de cette époque.
RépondreSupprimerCeci dit, je m'interroge.
Cette conviction dans le prolétariat auto-organisé, qui fit les beaux jours de la propagande par le fait avant de faire ensuite les beaux jours des conseillistes, cette confiance dans l'avènement d'un monde d'un monde meilleur ("je lègue mes yeux à la science pour qu'ils voient la fin de votre société" Raymond Callemin) tout ceci ne relève-t-il pas de la foi du charbonnier ?
Jusque dans les gestes iconoclastes et magnifiques des anarchistes espagnols qui vont fusiller l'image du crapaud de Nazareth sur le Cerro de los Angeles, n'y a-t-il pas une idée profondément religieuse ?
Je sais, rien de neuf là-dedans depuis Norman Cohn ou "L'incendie millénariste"...
Et lorsque je tombe, à Binefar, en Aragon, haut lieu du communisme libertaire (quand les mots avaient un sens) sur une plaque à la gloire du curé martyr de 1936, je ne peux m'empêcher de cracher par terre.
Mais je m'interroge sur cette question de foi.
A part ça, merci d'avoir fait allusion à "la fausse conscience " de J. Gabel dans votre article sur le gauchisme.
En voilà un qui reste ô combien jubilatoire.
Bien à vous;
Je vais vous faire une réponse évidemment impropre à lever vos interrogations.
RépondreSupprimerMais enfin, voyez-vous, de notre point de vue, si ça n'était que cela, la religion, alors elle ne nous poserait bien entendu aucun problème, aussi peu que les millénaristes concrets s'étant succédés dans l'histoire humaine. L'expérience, et la doctrine nous montrent hélas ! toutes deux que la religion prône, d'ordinaire et massivement, la paix sociale, l'extinction des seuls conflits légitimes au nom de la grande paix, de la grande harmonie. Voilà donc l'ennemi. Car à cette heure terrible et désespérante de bêtise et de frustration, voilà ce qui détourne, au profit des nuées nihilistes, du juste chemin munzerien, celui menant aux incendies de châteaux, et à l'utopie toujours renaissante.
Foutre dieu, bien répondu, le Moine !
RépondreSupprimerT'as vu...?
RépondreSupprimerCamillo Berneri : "Je déclare que tout en ne pratiquant aucun culte et en ne professant aucune religion, je serai au cours de la révolution italienne aux côtés des catholiques, des protestants, des juifs, des grecs orthodoxes, chaque fois qu'ils revendiqueront la liberté religieuse pour les cultes. [...] Quand, lors du dernier congrès mondial de l'AIT, je disais aux délégués espagnols que je considérais non anarchiste, étroit et dément l'anticléricalisme prêché par la CNT et de nombreux membres de la FAI, et que l'un des facteurs du succès du courant fasciste espagnol était leur anticléricalisme, j'avais sous les yeux une motion rédigée par des anarchistes espagnols où ils niaient le droit des cultes à s'extérioriser [...] L'anticléricalisme assume trop souvent le caractère de l'Inquisition ... rationaliste. Un anticléricalisme non libéral, quelqu'en soit la couleur, est fasciste."
RépondreSupprimerMalatesta, à propos d'un attentat contre une procession religieuse qui avait fait 40 morts à Barcelone, auquel avait applaudi une revue anarchiste : "Aucune raison, aucune excuse, rien; comme s'il était héroïque d'avoir tué des femmes, des enfants, des hommes sans défense parce qu'ils étaient catholiques. Cela n'est plus de la vengeance, c'est la même fureur morbide des mystiques sanguinaires, l'holocauste sanglant sur l'autel de dieu ou de l'idéal, ce qui revient au même. O Torquemada ! O Robespierre !"
Engels, à propos d'un manifeste rédigé par les blanquistes réfugiés à Londres après la Commune : "Nos blanquistes ont ceci de commun avec les bakouninistes qu'ils prétendent représenter le courant le plus avancé, le plus extrême[...] Il s'agit donc d'être plus radicaux que tous les autres en ce qui concerne l'athéisme. [...] Pour prouver qu'ils sont les plus radicaux de tous, ils abolissent Dieu par décret, comme en 1793 : "Que la Commune débarrasse à jamais l'humanité de ce spectre, de ses misères passées (Dieu), "de cette cause" (Dieu inexistant serait une cause !), de ses misères présentent. Dans la Commune, il n'y a pas de place pour le prêtre, toute manifestation, toute organisation religieuse doit être proscrite " |extrait du manifeste des proscrits à Londres]. Et cette exigence de transformer les gens en athées par ordre du grand mufti est signée par deux membres de la Commune qui ont certainement eu l'occasion de constater que, premièrement, on peut écrire autant d'ordre que l'on voudra sur le papier sans rien faire pour en assumer l'exécution, et que, deuxièmement, les persécutions sont le meilleur moyen d'affermir des convictions indésirables !"
Pour finir, une moquerie qui plaisait bien à Engels : selon lui, l'athéisme chez quelques bakouninistes espagnols avait ses limites : "Croire en Dieu est contraire à tout socialisme, mais croire à la Sainte Vierge, c'est différent, tout socialiste qui se respecte doit croire en elle !"
Reconnaître qu'en Dieu, c'est l'Homme qu'on honore, toujours : voilà l'essentiel.
RépondreSupprimerCe fut la leçon du jeune Hegel révolté (période de Berne) et de Feuerbach, déclenchant : " l'enthousiasme immédiat : nous fûmes tous, alors, feuerbachiens." (Marx)
Le but étant, toujours, à terme, pour un communiste, de se sortir de cette extériorisation de soi de l'homme, de cette aliénation (au double sens allemand de "entaüsserung" (sortir de soi) et de "entfremdung" (devenir étranger à soi).
L'hypocrisie que nous ne supportons plus, chez les gauchistes contemporains religio-compatibles est qu'il n'avancent pas francs du collier vis-à-vis de ceux qu'ils proclament leurs alliés, voire les représentants de "leur" classe : les prolos bouffés par la conviction cléricale.
Qu'ils leur disent, donc, en pleine vérité, ce qu'est leur position profonde, relativement à l'existence de Dieu. Qu'ils assument - surtout - leur projet à long terme.
Le projet à long terme de tout mystique communiste, au nom même de la qualité humaine de cette mysticité qui sera dépassée et conservée sous le communisme, c'est la sécularisation de Dieu, la reprise en l'homme de toute la grandeur de dieu. C'est la forme de putsch, ou d'insurrection millénariste de Bloch : Dieu chassé du trône par l'homme, destiné à prendre sa place et à retrouver ses droits, à retrouver - en quelque sorte - sa place (du mort, comme en voiture) que Dieu, complaisamment, aura accepté de lui chauffer jusque-là.
Cher moine,
RépondreSupprimerSi l'islamophobie n'était qu'une forme d'anticléricalisme, je serais bien d'accord avec toi, tout en prenant résolument parti pour Berneri et Engels.
Mais j'y vois surtout du racisme, la passion que certains mettent à fabuler et à se complaire dans l'édification de nouvelles frontières, dans le rejet d'un autre fantasmé, y incline.
Houellebecq rédigeant Soumission est animé de cette passion (voir la place qu'il y donne aux femmes, l'oppression qu'il décrit, et leur absence de révolte), il est islamophobe.
Bernard Maris qui fait l'éloge de ce livre, d'ailleurs mal écrit, est islamophobe.
Comme beaucoup il y a très longtemps que je n'attendais rien de Charlie hebdo si ce n'est de l'ennui et l'art de flatter le lecteur complaisant. Apparemment, il était également complaisant avec les islamophobes.
Cher André, il y avait des racistes anti-arabes bien avant qu'il n'y ait de "l'islamophobie" : néo-concept ayatollesque, inutile et suspect, ne serait-ce que parce qu'il prétend combattre une "phobie" en la réprimant médicalement, ce qui témoigne d'une grande indigence intellectuelle. La "brigade anti-négrophobie", par exemple, ne luttera à notre sens pas très efficacement contre la propagation du racisme (qui relève, certes, pour nous, de la pathologie mentale - et sociale) à coups de barre à mines ou de lois d'État.
RépondreSupprimerSeule " l'homophobie " (ou la "transphobie") peut, à la rigueur, exprimer quelque vérité si elle désigne la peur de se sentir soudain attiré - pour un homophobe - par quelqu'un du même sexe, et donc menacé dans ses certitudes et son identité. En revanche, stigmatiser quelqu'un (arabe, français, kabyle ou eskimo...) sous l'épithète d'" islamophobe " en raison de son rejet argumenté et rationnel d'un corpus religieux monothéiste déterminé nous semble renvoyer aux splendides heures de la psychiatrisation soviétique de masse des dissidents. Si les gauchistes étaient clairs sur cette question, et qu'ils combattaient l'aliénation religieuse avec autant de vigueur que les laïcards (que nous ne sommes pas, bien sûr), ce ne serait pas aujourd'hui les fachos de merde qui ramasseraient la mise, sur des questions inattendues. Et la mère LP ne pourrait se faire passer à tous les repas pour une féministe bouffeuse de curés, lesquels curés manif-pour-tous se réjouissent désormais, non sans raison, de la voir bientôt arriver aux commandes.
Pour le reste, nous nous sommes suffisamment exprimés sur cette question.
Nous n'avons qu'un ennemi : c'est la masse homogène de ce monde.
La religion n'en constitue qu'un avatar, une modalité ignoble, et transitoire.