mardi 19 avril 2022

Allez, les nains ! On vote Alberich !

≪Ce lieu obscur n'est pas nécessairement une mine. Ce pourrait être tout aussi bien une fabrique d'allumettes, avec son phosphore jaune, sa nécrose phosphorée, ses gros dividendes, ses actionnaires. Ce pourrait être, de même, tout aussi bien une fabrique de céruse, une usine de produits chimiques, une manufacture de poterie, un atelier de constructions mécaniques, une boutique de tailleur, une petite blanchisserie industrielle ou n'importe quel autre lieu où la vie et le bien être humains se trouvent quotidiennement sacrifiés afin de permettre à quelque folle créature d'adresser un chant triomphal à l'idole plutonique.
À l'intérieur, la mine résonne du tintement des enclumes des nains, lesquels travaillent misérablement à entasser des richesses pour leur maître. Alberich y a installé son frère Mime, plus familièrement Mimmy, afin qu'il lui fabrique un casque. Mimmy perçoit, d'une façon vague, obscure, que dans ce casque gît quelque magie. Aussi essaie-t-il de le conserver ; mais Alberich le lui arrache des mains et lui montre, à ses dépens, que ce casque est le voile qui dissimule l'invisible rouet de la faim : que celui qui s'en coiffe peut apparaître sous la forme qui lui plaît, ou disparaître entièrement de sa vue. Ce casque est un article très commun dans nos rues. Généralement, il y prend la forme d'un chapeau haut de forme. Il rend un homme invisible en tant qu'actionnaire, et le montre alors sous des aspects variés : un pieux chrétien, un donateur aux hôpitaux, un bienfaiteur des pauvres, un mari et un père modèles, un Anglais indépendant, rusé, pratique, que sais-je encore. Or il n'est, en réalité, qu'un parasite piteux vivant sur la communauté, un parasite consommant beaucoup et ne produisant rien, un parasite qui ne sent rien, ne sait rien, ne croit à rien et qui ne fait rien en dehors de ce que font tous les autres. Et il en est ainsi parce qu'il a peur de ne pas le faire ou, du moins, parce qu'il fait semblant d'avoir peur≫.

(George Bernard Shaw, Le parfait wagnérien, 1898)

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