Ils sont leur corps et leur esprit individuels, et par là même aussi bien leurs rapports inter-individuels. Mais qui niera que ce corps, cet esprit et ces rapports les font bel et bien précisément être à nul autre être pareil, en tant que ce complexe indissoluble, en tant que ce cela fondamental les désignant toujours, en tous temps et tous lieux ? En d'autres termes : une essence. Le genre humain.
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« L'essence, le genre n'est pas une abstraction. L'essence existe, elle a une existence. Mais l'existence de l'essence n'est pas l'existence dans sa singularité, elle n'est pas ce phénomène singulier, mais elle est l'existence dans sa totalité, l'existence de tous les phénomènes singuliers pris ensemble, l'existence simultanée de tout ce qui est singulier comme un tout indivisible. »
(Feuerbach, Pensées sur la mort et l'immortalité)
« Mais l'essence humaine n'est point chose abstraite, inhérente à l'individu isolé. Elle est, dans sa réalité, l'ensemble des relations sociales. »
(Marx, sixième thèse sur Feuerbach)
Passage de l'Être à l'essence. (Momentum où Marx a lâché Hegel). Qualität and sich Quantität ? zusatz 111
RépondreSupprimerStirner n'avait sans doute pas tort ("nos athées sont des gens pieux") de voir en Feuerbach ("l'universaliste-générique") un continuateur clandé non seulement de Hegel, mais du christianisme. Bloch a ensuite confirmé avec son "Athéisme dans le Christianisme", qui en est la traduction paradoxale et positive ("seul un athée peut être un vrai chrétien, seul un chrétien peut être un vrai athée").
SupprimerSeulement, pourquoi diable Marx échapperait-il, quant à lui, à cette filiation hégélo-chrétienne ?
Gérard Lebrun : " Chaque fois que vous entendez parler doctement de "l'idéalisme hégélien", soyez sûr que le critique (ou le rabâcheur) n'a pas songé que bien des évaluations hégéliennes pourraient encore loger en son discours : l'expression "idéalisme hégélien" - c'est ainsi - est devenue le sur-indice de cette égayante ingénuité. De ces évaluations, je ne ferai pas ici le compte. Citons-en deux, seulement. Que le genre soit la destination de l'individu, que l'universel s'atteste dans l'effacement des limitations, voilà des convictions tenaces qui survivent au "renversement" - et, qui sait ? se faufilent à travers les "coupures" . - L'avertissement de Stirner est donc à prendre au sérieux : il se pourrait que l"'anthropologie", spéculation travestie, soit, par ce biais, "la derniere métamorphose de la religion chrétienne". Contre cette assertion, Feuerbach s'insurge. Mais que vaut sa défense ? "
Il a suffit à Marx de comprendre que les qualités ne peuvent être dites objectivement que selon des logiques de l'ordre de la quantité. Et c'est pourquoi il ne passe pas à “de l'Être à l'essence”. D'où qu'il s'enquiert, résolument et rassuré qu'il est par cette impasse philosophique, de facteur subjectif. Mais certes, son singulier, pendant et acteur de l'universel, n'est pas l'individu “nu”.
SupprimerPour le dire autrement en répondant à la première question. En rappelant que les “Thèses (Ad Feuerbach”) ci-dessous évoquées étaient des notes de lecture non destinées à publication, en forme de boussole et d'adieu à la philosophie.
Voici comment Marx avait essayé d'échapper à cette filiation.
La philosophie est toujours trop religieuse. On sait au moins aujourd'hui que l'universel se réaliserait dans le dépassement des conditions sociales de production des limitations (Thèse 11). Mais aussi, cette fois par Stirner, que l'individu, destination de soi-même, n'apparaît à lui-même et ne “se réalise” (riche et troublant double sens en français) que pour autant qu'il échappe aux déterminations sociales. De ce pas aventureux et aventurier amorcé par Stirner, Marx n'en reconnut que “l'individu abstrait” correspondant au citoyen dans sa, néanmoins salubre, critique concrète du Droit (de la société civile, i.e. bourgeoise) Sur la question juive, contre Bruno Bauer et sa proposition d'une émancipation spécifique, communautaire au sens communautariste. Comme s'il lisait Bauer dans Stirner..., un soi-même comme “communautarité” en guise de liberté.
Pour autant, Marx pataugeait encore dans “l'essence humaine” feuerbachienne, ou du moins lui collait-elle encore aux pattes sous la forme de l'humanité sociale, gesellschaftiche Menschheit (Thèse 10).
Les pavés réifiés des loisirs n'avaient pas encore été posés, les identifications étaient encore libres et bordeliques. Et au cœur de notre repli contemporain, on n'a pas progressé, au sens de l'émancipation, depuis ces règlements de compte de la Freiheit. Puisqu'une kyrielle de normes comportementalo-sociologiques ad hoc fait écran aux spasmes et aux manières de combler l'ennui de la vie quotidienne. D'ailleurs, on entendrait très étrangement, au pied de la lettre des usages d'aujourd'hui, votre formule "que le genre soit la destination de l'individu", comme dans ce cri de dépression collective où la déconstruction est appelée à être abyssale.
Cela dit, et quoique nous en soyons encore là, haut les cœurs ! Ceci n'est qu'un passage.
Rappel : il ne s'agit pas de "notre formule" mais de celle de Gérard Lebrun, tirée de sa très passionnante étude : " La spéculation travestie" (https://dokumen.tips/documents/lebrun-gerard-la-speculation-travestie.html).
SupprimerLebrun - avec Stirner puis Nietzsche - fustige ici la religion "continuée" (chez Feuerbach puis Marx). NOUS le suivons sans problème dans cette analyse, mais cette fois, de notre côté, pour l'assumer parfaitement. Il y a belle lurette que nous aurions cessé d'aimer et de lire Marx si nous ne sentions, partout encore à l'oeuvre chez lui, cette tendance "générique", ou universaliste, ou même encore : philosophique, si vous voulez, absolument transcendantale. Y a pas marqué "Althusser" ici...
Je n'avais aucun doute, ni sur votre humanisme ni sur ce à quoi renvoyait “les "coupures"” à travers lesquelles se seraient faufilé les “convictions tenaces”. Mais certes, dans mon élan et dans ma précipitation à repérer comme le mot “genre” a, si je puis dire, glissé de sens, je vous ai attribué à tort une formule ce Gérard Lebrun, que je ne connaissais pas. Un historien de la dialectique donc.
SupprimerVous êtes bien trop fougueux et impulsif, en effet. Souvenez-vous bien que vous n'arriverez ainsi, de toute façon, nulle part, étant donné ce dispositif structural surdéterminé dans lequel nous sommes condamnés à évoluer toujours.
SupprimerFatalitas !
Supprimer... Mais cette 6e thèse n'est-elle pas à rapprocher de celle de Hegel selon laquelle "l'individu est une abstraction hypostasiée par l'entendement : la réalité humaine est supra-individuelle et totale, et dans cette totalité, qui est l'oeuvre de tous et de chacun, on ne peut isoler les divers plans d'existence et les considérer comme indépendants" ?
RépondreSupprimerSi, bien entendu ! Chez Hegel, chez Marx, chez Feuerbach, suivant une même intuition de fond, "la totalité est la catégorie révolutionnaire en philosophie"...
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