mercredi 4 janvier 2017

Réaliser la métaphysique


« Porter la raison latente à la compréhension de ses propres possibilités, ouvrir ainsi au regard la possibilité d'une métaphysique en tant que possibilité véritable : c'est là l'unique chemin pour mettre en route l'immense travail de réalisation d'une métaphysique, autrement dit d'une philosophie universelle. C'est uniquement ainsi que se décidera la question de savoir si le but, le Télos qui naquit pour l'humanité européenne avec la naissance de la philosophie grecque : vouloir être une humanité issue de la raison philosophique et ne pouvoir être qu'ainsi, dans le mouvement infini où la raison passe du latent au patent, et la tendance infinie à l'autonormation par cette vérité et authenticité humaine qui est sienne, n'aura été qu'un simple délire de fait historiquement repérable, l'héritage contingent d'une humanité contingente, perdue au milieu d'humanités et d'historicités tout autres ; ou bien si, au contraire, ce qui a percé pour la première fois dans l'humanité grecque n'est pas plutôt cela même qui, comme entéléchie, est inclus par essence dans l'humanité comme telle. »

(Edmund Husserl, La crise des sciences européennes et la Phénoménologie transcendantale)

4 commentaires:

  1. Pile ou face ? La pièce métaphysique lancée en l'air n'en finit pas de retomber. Son "mouvement infini" ouvre les paris.

    Voici ce que dit le philosophe sinisant François Jullien au détour d'une insatisfaction que lui intima involontairement Marc Richir, phénoménologue français et traducteur de certains textes de Husserl :
    "L’Occident par contre, comme l’histoire de la pensée grecque nous l’enseigne, serait né d’une rupture franche entre pensée d’inspiration théologique et pensée rigoureusement rationnelle, soucieuse de logique et de vérification. Je ne prendrai pas la peine ici de discuter ce point de vue strictement positiviste et scolastique, carrément abandonné, je crois, par les penseurs contemporains les plus hardis et, je le rappelle une fois de plus, par un Heidegger lui-même qui publiait après guerre un entretien avec un philosophe japonais sur le ‘cheminement de la parole’, jusqu’à la source unique, il va sans dire, de tout ce qui peut se dire du secret."

    Jullien est à la fois, et contradictoirement à mon point de vue, l'auteur d'un stimulant bouquin d'introduction à la pensée chinoise "Le Détour et l'Accès", philosophe pour managers d'entreprise et auteur d'un bouquin récent d'intervention politique intitulé "Il n'y a pas d'identité culturelle".

    Bien emberlificoté tout ça. N'empêche que son rejet de la "rupture franche" entre théologie et raison me fait rire quand elle est étayée par la copulation (qui plus est "après guerre") spirituelle entre Heidegger et "un" philosophe japonais. Et ce d'autant plus que je tiens la phénoménologie (que j'ai peu très fréquentée pour cette raison) pour la plus théologique des traditions philosophiques occidentales encore efficientes.

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    1. La question ici n'a rien à voir avec la phénoménologie, idéologie contemporaine. C'est d'abord le fondement de l'autorité scientifique que traque ici Husserl : cette supériorité définitive que le discours scientifique prétend avoir sur tous les autres. C'est, ensuite, le relativisme philosophique, se donnant lui-même pour scientifique, qui est visé dans la "Krisis" : ce que nos différencialistes modernes continuent d'asséner en présentant a priori toute forme d'universalisme (la très maudite "identité") comme totalitarisme en gestation. Que la philosophie, comme exigence universelle d'épanouissement humain, soit effectivement née en Grèce (et d'une rupture formelle avec le discours mythologique), cela est évidemment contingent.Pas de "génie racial ou ethnique" philosophique grec. Ca aurait pu arriver ailleurs, avant, après, etc. Chaque peuple a son moment universel, dépassant justement sa spécificité, ce qui est - pour nous - chaque fois la partie la plus inessentielle de son être. Cela étant dit, la philosophie étant néanmoins désormais là, et disponible, après cette naissance géographiquement contingente, elle ne peut pas non plus se réduire à une simple idéologie localisée et circonscrite. Inversement, à supposer qu'on conçoive un moment "français" dans l'histoire universelle, ce ne sera pas à cause du fromage français mais plutôt de ce fait que la France fut le pays de la révolution bourgeoise (légale et sécularisatrice) victorieuse : c'est en cela qu'elle aura éventuellement dit quelque chose au monde. L'Allemagne, de même, pourrait être dit le pays d'un certain accomplissement philosophique, et ainsi de suite. La race, les traditions, les origines données, bref ce qu'on subit toujours le plus passivement - comme une famille de départ - constitue le résidu ennemi contre quoi il convient, toujours, de se battre, qu'il s'agit toujours de nier, de dépasser vers la liberté universelle (tout au moins l'idée de celle-ci, comme une direction invincible, celle de l'épanouissement humain). Ce qui attache, ce qui lie, par là même interdit semblable développement. Et doit donc être déposé.

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    2. Comme tout le monde devrait le savoir, Julien, philosophe adepte du relativisme culturel au service des managers d'entreprise est un âne; ses lecteurs également, d'ailleurs.
      Préférez lui Jean-François Billeter et ses leçons sur Zhuang Zi (éditions Allia)

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    3. Françoise Jullienne9 janvier 2017 à 22:47

      On se demande si Lao Zi a lu F. Jullien...
      En outre, les ânes sont très intelligents.

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