« L’homme, nous le savons, n’est d’une manière exclusive ni matière ni esprit. La beauté, en tant que réalisation achevée de son humanité,
ne peut donc être d’une manière exclusive ni vie ni forme : elle
n’est pas seulement vie, bien que cela ait été affirmé par de sagaces
observateurs qui s’en tenaient trop strictement aux témoignages de
l’expérience, et bien que le goût du temps aimât la réduire à ce rôle ;
elle n’est pas seulement forme, bien que cela ait été allégué par des
philosophes dont les spéculations s’éloignaient trop de l’expérience, et
par des artistes qui, philosophant sur la beauté, l’expliquaient trop docilement par les besoins de l’art. La beauté est l’objet commun des
deux instincts, c’est-à-dire de l’instinct de jeu. Cette expression est
pleinement justifiée dans l’usage de la langue qui a coutume de désigner
par le mot de jeu tout ce qui n’est ni hasard subjectif ou objectif, ni contrainte externe ou interne. Comme l’âme se trouve, quand elle
contemple la beauté, à une heureuse distance égale entre la loi et le
besoin, elle est, précisément parce que partagée entre eux, soustraite à
la contrainte de l’un autant que de l’autre. L’instinct sensible et
l’instinct formel prennent au sérieux leurs exigences, parce que, en
matière de connaissance, le premier considère la réalité des choses,
le second leur nécessité, et que, en matière d’action, le premier
vise à maintenir la vie et le second à sauvegarder la dignité. Tous les
deux ont donc en vue la vérité et la perfection. »
(Friedrich Schiller, Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme,1795)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire