Dédié à Lilith Jaywalker et au Marquis de l'Orée, dont l'amour pareil de l'institution muséale - et des autres - aura toujours constitué un glorieux exemple.
Il s’agissait de devenir gardien
de musée. Il s’agissait – dans ce but – de passer un certain concours, de se
soumettre avec discipline à un certain nombre de tests à caractère culturel,
voire logique. On recensait au total, ce matin-là, 1270 candidats. On
fournissait deux postes. Il y aurait une onzaine d’admissibles qui le seraient,
admissibles, à s’exprimer – un peu plus tard – devant certain aréopage qui le
dirait enfin, s’ils le seraient ou non, gardiens de musée. J’étais porteur du
numéro 731. J’entamai mon premier QCM et tout de même les choses roulèrent car
je savais qui au juste, en ce pays, était le chef des Armées, ensuite ce que
signifiait exactement l’acronyme EPCI. « Dans trois minutes, vous poserez,
glapit une voix de femme, vos stylos ». S’ensuivirent des menaces,
relatives aux peines encourues par tout scribouilleur tenté de persister, sans
parler des tricheurs de tous ordres annexes. D’un bout à l’autre de ce hangar
(gigantesque), une poignée de surveillants au physique de lutteur et à pull-over
rouge (la sécurité incendie), arpentait le territoire. Des détails étaient
romanesques. Sans doute furent-ils aperçus de quelques personnes, une telle
aperception requérant peu de temps, sinon de finesse. Dehors, auparavant, une
foule s’était groupée en tas dessous la pluie glacée, dans les lueurs de
l’aube. La température était basse. Puis la foule s’était structurée en rangs,
à l’appel aboyé de noms. Un agrégatif causa avec une fille, porteuse de dents
jaunâtres, dont l’air était d’une effrayée, d’une instable, d’une frigorifiée.
La fille sembla familière des questions artistiques. Le terme de médiation
culturelle fut exprimé. Une conversation,
d’aspect déséquilibré, s’engagea entre ces deux personnes quant aux relais
divers parfois nommés (lors des informations télévisées, par exemple, du soir)
des passerelles vouées à relier
plus efficacement les mondes de l’entreprise et de la création. L’agrégatif
semblait clairement entreprendre de séduire la fille. Leur excitation commune
était perceptible. Il s’agissait de devenir gardien de musée, de seconde
classe. « Ce sera donc mon troisième » murmura l’agrégatif, sous le
crachin, signifiant par ces mots que le concours tenté ici serait, pour ce qui le concernait, le
troisième de la semaine, d’où sa fatigue également suggérée, murmurée dans un
souffle d’indéniable tranquillité (d’apparence cynique) à l’oreille de la
fille, au cul – également – du calamiteux stationnant juste devant eux, dans la
file. Ayant parfaitement ouï l’agrégatif, ce dernier estima brutalement,
aujourd’hui et vis-à-vis de lui, ses chances de succès tout à fait
négligeables, étant donné ses niveaux d’orthographe et de culture générale,
peut-être insuffisants. Il manifesta par certains signes grossiers – une
tendance à l’expiration bruyante ainsi qu’à l’hyper-mobilité scapulaire et, de
manière générale, au trépignement quasi-ambulatoire – sa redoublante hésitation
face à l’humiliation qu’objectivement représentait cette file, dont il
constituait une partie. Cette queue symbolisa soudain cruellement en son esprit
– au fond, bien davantage que l’échec de toute une vie professionnelle – une
simple perte de temps et de sommeil réparateur et confortable. 1270 candidats.
Deux gardiens de musée. Entra-t-il, pour finir, celui-là ? Peu m’importait, à moi,
désormais, qui entamai avec confiance le deuxième exercice : un cas pratique.
Il s’agissait d’assurer l’évacuation correcte d’une poignée de visiteurs (il y
aurait un colis suspect et les démineurs seraient en route) dans un
établissement à deux étages, comment s’y prendre ? Eh bien, d’abord,
évidemment, bloquer les caisses au rez-de-chaussée, afin de refouler tout
nouveau client éventuel. Puis, par un jeu adroit de conversations téléphoniques
savamment élaborées, transmettre les consignes aux collègues demeurés à
l’étage, avec la meute. Calmer celle-ci. La rassembler dans la salle qui était
la salle M 3, d’après le plan fourni. Envoyer quelqu’un en arrière, histoire de
vérifier que personne ne manque : un traînard quelconque, resté planté devant
quelque toile par trop éblouissante ou enclavée. Faire donner, enfin,
synchroniquement, l’annonce d’usage (une voix chaude et rassurante quoique de
synthèse, peut-être). Et les envoyer tous, en privilégiant les vieux et les
jeunes (et faisant porter éventuellement les uns par les autres) en bon ordre,
par l’escalier E 2 (d’après le plan fourni). « Vous allez maintenant poser
vos stylos ! » glapit derechef la voix au bout de son hangar – et ce sont
les mêmes hangars, absolument, qu’ils ont à l’aéroport Tân Son Nhât de Saigon,
avec à l’intérieur les carcasses d’hélicoptères yankees n’ayant jamais pu être
évacuées. On les distingue parfaitement, du ciel, à l’approche de la piste
d’atterrissage. Je me retourne vers l’antillais assis juste derrière moi, le
numéro 732. Nous confrontons – avec une fatalité surjouée – nos réponses.
L’antillais douche immédiatement ma satisfaction. Il me rappelle, en effet, que
sur deux points majeurs, mon protocole d’évacuation péchait. D’abord, avais-je
ordonné de bloquer l’ascenseur A 1 ? Certainement pas, hélas ! Or, en
situation réelle, j’aurais bien à rendre compte de tous ces cadavres d’enfants
rôtis ou asphyxiés, pour s’être jetés tête baissée, au pire moment, au fond de
ce piège mortel.
« Mais il ne restait
personne. On l’avait…vérifié.
– Mmmh, sourit l’antillais,
sarcastique, en principe, il n’y avait
plus personne. C’est vrai. Le Jury ne devrait pas être trop dur sur cette
histoire de protocole. »
Une sueur froide inonde mon dos.
J’ai fauté.
Sans compter qu’ai-je refermé, deuxièmement – ou fait refermer, car il s’agit de devenir en quelque sorte gardien de musée-chef, un poste à responsabilité – les inévitables portes coupe-feu, à l’étage, suivant la progression générale des évacués ? Il me faut bien convenir que non. Le sourire de 732 tourne franchement au paternalisme. Il se fait protecteur. Consolateur. Je ne suis qu’un étron pestilentiel. À qui l’on ne manquerait certainement pas de présenter la facture (après l’explosion et l’incendie) de toutes ces œuvres d’art parties en fumée là-haut, dans un unique battement de cil. 1270 candidats. Deux postes. Je vois dans mon délire ce 732, par ailleurs extrêmement sympathique, s’asseoir tranquillement à la droite de Dieu aux côtés des élus, cependant qu’une odeur de souffre commence à m’environner, irrésistible, se faisant chaque seconde plus précise et forte. Je parviens à masquer, néanmoins, mon désarroi, d’un sourire blasé. Je me retourne au-dessus de ma table. Je laisse errer mon regard. Et c’est à ce moment, le pire, que je LA vois. « Nous allons à présent, glapit la voix du bout du hangar, vous distribuer le dernier sujet ! Vous attendrez notre signal pour retourner la feuille distribuée… » Je ne l’entends plus. C’est que la créature, là-bas, est sublime, dont j’estime le numéro de candidate aux alentours du 614-618. La jeune fille est diaboliquement belle et rousse, ce qui ne l’empêche nullement de mordiller prosaïquement, en toute simplicité nerveuse, le bout grotesque de quelque stylo-bic de fabrication délocalisée. Elle se tient cambrée sur sa chaise. La ligne de sa colonne vertébrale, souplement étirée, est parfaite, ainsi qu’en juge d’ailleurs, de manière parfaitement ostensible, le numéro…617, mettons ! lequel est un homme d’allure quadragénaire et grasse, immédiatement installé derrière elle, aussi proche de cette perfection, aussi opportunément inaperçu d’elle que peut l’être, en cet instant même, 732 vis-à-vis de moi. 732 se trouve justement alors renifler bruyamment, avec satisfaction, en découvrant le dernier exercice présenté à la sagacité générale. « Ah ! le devis ! dit-il. C’est encore ce que je préfère… ». L’on dépose le sujet sur ma table. Je le déchiffre, fort machinalement. Il s’agit d’assurer l’organisation, d’estimer le budget moyen, de rédiger le devis général d’un prochain vernissage. « Vous venez d’être affecté en qualité d’Adjoint d’accueil, de surveillance et de magasinage de 2ème classe dans un musée parisien. En l’absence de votre supérieur hiérarchique direct, l’ABSM (assistant spécialisé des bibliothèques et des musées), le secrétaire général vous demande de préparer un projet de note au commissaire de l’exposition qui souhaite inviter 500 personnes. » Le choix doit ainsi être effectué – incisivement – entre les salles 1, d’une superficie de 400 m2 et séparée de l’entrée d’un couloir de 600 mètres, et les salles 2 et 3, de superficie différente (voir le plan fourni) et d’accès parfois plus complexe et rébarbatif, sachant que la jauge d’occupation fixée par la Préfecture de Police de Paris est traditionnellement de 1 personne pour 3m2, ce que je découvre avec un enthousiasme quasi-nul. Mettre en place un circuit idéal permettant à tous les visiteurs de déambuler légalement, fluidement, confortablement d’une salle à l’autre : cela, c’est mon travail, ainsi qu’estimer le coût total de l’embauche d’un personnel concerné dont le taux de rémunération horaire est destiné, le soir du vernissage, à fluctuer, attendu que l’événement se déroulera de 20 heures à 24 heures, autrement dit à cheval sur trois taux : 20 euros de 20 heures à 22 heures, puis une première majoration de 25 % après 22 heures, et une seconde pour la période après minuit (+ 50 %). Tout cela, oui, c’est – ce serait – mon travail, lequel implique également de tenir compte du prix d’un plateau-repas moyen destiné à ce même personnel qu’il s’agit de rémunérer selon l’usage : 16 euros. Le menu n’est pas spécifié. Je jette un œil au nombre total d’employés, cependant que dans mon dos, 732 s’agite quelque peu, faisant aller sa chaise d’avant en arrière, et celle-ci crisse. Le bruit m’agace et me distrait. Je relève la tête et laisse dériver mon regard du côté de 614-18. 616-et-quelques, hélas ! m’interdit désormais toute plongée visuelle au-dessous de la ligne scapulaire de 614-18. Seule la tignasse rousse de cette dernière, saillant encore dessus la ligne indistincte des autres candidats six-centenaires, témoigne encore de sa présence émouvante et évanescente dans le secteur. Je postule alors franchement que 616-et-des-brouettes a, de manière définitive, renoncé à concourir, qu’il entend seulement jouir au mieux, quelques minutes réglementaires encore, de ce spectacle féminin déroulé devant lui, relativement auquel il aura organisé, sans équivoque, le meilleur positionnement possible, m’interdisant de fait, à moi, tout angle de vue profitable. Tel est l’égoïsme humain. La table et la chaise de 732 crissent de nouveau. Cette fois, je me retourne et lui adresse un sourire forcé et gêné, désireux de signifier quelque chose d’assez radical, un message du genre : « Je me mets à votre place : il est certain que cela doit être bien pénible d’ennuyer ainsi les gens, sans le faire exprès mais sans pouvoir remédier à ce pénible état de fait. Toutefois, je ne vous en veux pas trop de cette ignominie. » Nous étions, avant cet épisode, avec 732, non pas amis, ce serait beaucoup dire. Mais nous avions cependant indéniablement développé des liens formels de complicité. C’est précisément la formalité de ces liens qui vient d’apparaître, pour ne pas dire leur facticité civilisée. Ladite apparition pourrait être liée à un complexe d’émotions, parmi lesquelles assurément le dépit de ne plus apercevoir adéquatement la ligne idéale du dos de 614-18 et celui de sentir, de moins en moins confusément, que s’éloigne la perspective de devenir bientôt gardien de musée (adjoint de surveillance, deuxième classe) pourraient être présentés comme congruents. Toujours est-il que le bruit de crissement émis derrière moi cesse aussitôt. Sur les feuilles de brouillon bleu dont je dispose, les chiffres et les nombres se mettent rapidement à pleuvoir, commutativement ou non, inscrits ou non dans le chaos – programmatique – d’un plan de salle d’exposition par moi-même brillamment ébauché (voir ci-dessous). Deux ou trois fois, sevré d’excitation algébrique, je me corrige et dois à la vérité tout reprendre, m’étant, par exemple ! omis dans le calcul général des sommes dues aux employés, ce qu’un psychanalyste compétent – je pense – saurait sûrement débrouiller, en tant qu’élément signifiant.
Sans compter qu’ai-je refermé, deuxièmement – ou fait refermer, car il s’agit de devenir en quelque sorte gardien de musée-chef, un poste à responsabilité – les inévitables portes coupe-feu, à l’étage, suivant la progression générale des évacués ? Il me faut bien convenir que non. Le sourire de 732 tourne franchement au paternalisme. Il se fait protecteur. Consolateur. Je ne suis qu’un étron pestilentiel. À qui l’on ne manquerait certainement pas de présenter la facture (après l’explosion et l’incendie) de toutes ces œuvres d’art parties en fumée là-haut, dans un unique battement de cil. 1270 candidats. Deux postes. Je vois dans mon délire ce 732, par ailleurs extrêmement sympathique, s’asseoir tranquillement à la droite de Dieu aux côtés des élus, cependant qu’une odeur de souffre commence à m’environner, irrésistible, se faisant chaque seconde plus précise et forte. Je parviens à masquer, néanmoins, mon désarroi, d’un sourire blasé. Je me retourne au-dessus de ma table. Je laisse errer mon regard. Et c’est à ce moment, le pire, que je LA vois. « Nous allons à présent, glapit la voix du bout du hangar, vous distribuer le dernier sujet ! Vous attendrez notre signal pour retourner la feuille distribuée… » Je ne l’entends plus. C’est que la créature, là-bas, est sublime, dont j’estime le numéro de candidate aux alentours du 614-618. La jeune fille est diaboliquement belle et rousse, ce qui ne l’empêche nullement de mordiller prosaïquement, en toute simplicité nerveuse, le bout grotesque de quelque stylo-bic de fabrication délocalisée. Elle se tient cambrée sur sa chaise. La ligne de sa colonne vertébrale, souplement étirée, est parfaite, ainsi qu’en juge d’ailleurs, de manière parfaitement ostensible, le numéro…617, mettons ! lequel est un homme d’allure quadragénaire et grasse, immédiatement installé derrière elle, aussi proche de cette perfection, aussi opportunément inaperçu d’elle que peut l’être, en cet instant même, 732 vis-à-vis de moi. 732 se trouve justement alors renifler bruyamment, avec satisfaction, en découvrant le dernier exercice présenté à la sagacité générale. « Ah ! le devis ! dit-il. C’est encore ce que je préfère… ». L’on dépose le sujet sur ma table. Je le déchiffre, fort machinalement. Il s’agit d’assurer l’organisation, d’estimer le budget moyen, de rédiger le devis général d’un prochain vernissage. « Vous venez d’être affecté en qualité d’Adjoint d’accueil, de surveillance et de magasinage de 2ème classe dans un musée parisien. En l’absence de votre supérieur hiérarchique direct, l’ABSM (assistant spécialisé des bibliothèques et des musées), le secrétaire général vous demande de préparer un projet de note au commissaire de l’exposition qui souhaite inviter 500 personnes. » Le choix doit ainsi être effectué – incisivement – entre les salles 1, d’une superficie de 400 m2 et séparée de l’entrée d’un couloir de 600 mètres, et les salles 2 et 3, de superficie différente (voir le plan fourni) et d’accès parfois plus complexe et rébarbatif, sachant que la jauge d’occupation fixée par la Préfecture de Police de Paris est traditionnellement de 1 personne pour 3m2, ce que je découvre avec un enthousiasme quasi-nul. Mettre en place un circuit idéal permettant à tous les visiteurs de déambuler légalement, fluidement, confortablement d’une salle à l’autre : cela, c’est mon travail, ainsi qu’estimer le coût total de l’embauche d’un personnel concerné dont le taux de rémunération horaire est destiné, le soir du vernissage, à fluctuer, attendu que l’événement se déroulera de 20 heures à 24 heures, autrement dit à cheval sur trois taux : 20 euros de 20 heures à 22 heures, puis une première majoration de 25 % après 22 heures, et une seconde pour la période après minuit (+ 50 %). Tout cela, oui, c’est – ce serait – mon travail, lequel implique également de tenir compte du prix d’un plateau-repas moyen destiné à ce même personnel qu’il s’agit de rémunérer selon l’usage : 16 euros. Le menu n’est pas spécifié. Je jette un œil au nombre total d’employés, cependant que dans mon dos, 732 s’agite quelque peu, faisant aller sa chaise d’avant en arrière, et celle-ci crisse. Le bruit m’agace et me distrait. Je relève la tête et laisse dériver mon regard du côté de 614-18. 616-et-quelques, hélas ! m’interdit désormais toute plongée visuelle au-dessous de la ligne scapulaire de 614-18. Seule la tignasse rousse de cette dernière, saillant encore dessus la ligne indistincte des autres candidats six-centenaires, témoigne encore de sa présence émouvante et évanescente dans le secteur. Je postule alors franchement que 616-et-des-brouettes a, de manière définitive, renoncé à concourir, qu’il entend seulement jouir au mieux, quelques minutes réglementaires encore, de ce spectacle féminin déroulé devant lui, relativement auquel il aura organisé, sans équivoque, le meilleur positionnement possible, m’interdisant de fait, à moi, tout angle de vue profitable. Tel est l’égoïsme humain. La table et la chaise de 732 crissent de nouveau. Cette fois, je me retourne et lui adresse un sourire forcé et gêné, désireux de signifier quelque chose d’assez radical, un message du genre : « Je me mets à votre place : il est certain que cela doit être bien pénible d’ennuyer ainsi les gens, sans le faire exprès mais sans pouvoir remédier à ce pénible état de fait. Toutefois, je ne vous en veux pas trop de cette ignominie. » Nous étions, avant cet épisode, avec 732, non pas amis, ce serait beaucoup dire. Mais nous avions cependant indéniablement développé des liens formels de complicité. C’est précisément la formalité de ces liens qui vient d’apparaître, pour ne pas dire leur facticité civilisée. Ladite apparition pourrait être liée à un complexe d’émotions, parmi lesquelles assurément le dépit de ne plus apercevoir adéquatement la ligne idéale du dos de 614-18 et celui de sentir, de moins en moins confusément, que s’éloigne la perspective de devenir bientôt gardien de musée (adjoint de surveillance, deuxième classe) pourraient être présentés comme congruents. Toujours est-il que le bruit de crissement émis derrière moi cesse aussitôt. Sur les feuilles de brouillon bleu dont je dispose, les chiffres et les nombres se mettent rapidement à pleuvoir, commutativement ou non, inscrits ou non dans le chaos – programmatique – d’un plan de salle d’exposition par moi-même brillamment ébauché (voir ci-dessous). Deux ou trois fois, sevré d’excitation algébrique, je me corrige et dois à la vérité tout reprendre, m’étant, par exemple ! omis dans le calcul général des sommes dues aux employés, ce qu’un psychanalyste compétent – je pense – saurait sûrement débrouiller, en tant qu’élément signifiant.
Cent fois sur le
travail, comme dit le poète. Tout de même,
ça y est. J’ai fini. J’achève. Je conclus. Je triomphe. Une ultime vérification
me comble d’aise. J’eusse dû faire mathématiques. Je me fusse grandi, jadis –
et élevé – à polytechniciser. J’en eusse fondé, alors, des musées, plutôt que
prétendre, comme aujourd’hui, suer sang et eau à les surveiller bien, voire
même les saturer de devis en tous genres, ô besognes tellement éloignées des
merveilles de l’Art. Je bouche mes stylos, compagnons fidèles. Je range mon sac,
fais tournoyer au-dessus de ma tête quelque main volontaire annonciatrice – la
mienne – celle qui me signale, empressée, aux autorités compétentes. Pauvre de
moi. Pauvre de mon âme, de ce cœur qui se brise. C’est ainsi en me levant, déjà
libérable ou presque, que me saisit l’effroi, depuis ce point de vue, depuis
cette hauteur nouvelle. 614-18 est déjà partie ! Elle s’est fait la malle ! Elle en a eu
marre ! Mais depuis quand, au juste ? Et voilà entamé le grand bal
des reproches. Ah, diable ! que n’ai-je senti chez elle cette lassitude
compréhensible qui me déchire maintenant si loin de mon amour ! J’étais
trop occupé dans mes chiffres, je le confesse, oui ! dans mes désirs de
gloire et de réussite. Ils me laissent ce goût amer que rien ne saurait éteindre.
Dans un ultime sursaut, je me jette, je m’extirpe, je m’enfuis de ce hangar
putride, longue plaine asphodélique des étreintes perdues, à force de n’être
pas, celles-ci, de n’avoir pu être. Je franchis les portes, voilà que je me rue
au travers d’une zone commerciale immense, et désolée, que j’arpente en tous
sens, accrochant – partout – le signal désespéré de mes regards en fièvre. Je ne
la vois pas. Je ne la verrai plus. Je l’ai perdue, invinciblement. Où es-tu,
614-18 ? Où es-tu, ma mie, ma chair, mon sang ? Où es-tu, par-delà
ces soupirs égrenés dans le vent ?
- Eurydice !
- Eurydice !
À quoi il avait été répondu, avant que l'ensemble ne soit regrettablement effacé par les soins de M. Blogger :
RépondreSupprimer- par le magnanime Marquis de l'Orée, d'abord :
" Le coeur cisaillé par la perfection du manque, il parcourait la zone commerciale vidé de son sang. Le musée sera bientôt planétaire, se dit-il."
- par le redoutable Cédric, ensuite :
" J'adore ! Parfait. ( J'étais le 235, à un moment donné j'ai vu passer une rousse, je l'ai suivie. ( je ne peux pas vous en dire davantage. ))
( Manque un petit 's' à "Mai nous avions cependant indéniablement..." )
( " Cent fois sur le travail, comme dit le poète. " J'aurais plutôt dit "Vingt fois..." mais bon c'est comme vous le sentez.
voir " L'Art poétique". )
Au plaisir !
Et enfin, pathétiquement, par nous-mêmes :
" Nom de Dieu, Cédric ! Le 235, c'était... c'était VOUS ?
Vous en qui j'avais toute confiance ????
Bref, oui : " vingt fois " plutôt que "cent fois " remettre le travail sur l'ouvrage (à moins que cela ne soit l'inverse). Voilà une des raisons pour lesquelles je n'obtins pas le poste, finalement, de gardien de musée, ce jour-là (ni les suivants).
Bien à vous. "
Je tiens à indiquer que M. Blogger a encore fait des siennes : il a écrit "pathétiquement" alors qu'il faut lire "magistralement" !
SupprimerUn autre amour gâché par la lutte pour l'emploi : La seule issue c’est de s’en sortir - Extraits de L’état des sentiments à l’âge adulte, de Noémi Lefebvre
RépondreSupprimer"La seule issue, c'est de s'en sortir" J'adore cette phrase !!
SupprimerCrénom, quelle transmission de pensée !
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