samedi 11 juin 2022

Proximité du système philosophique, de la solitude et de la folie


≪La grande philosophie était accompagnée de la frénésie paranoïaque de ne rien supporter qu'elle-même et elle poursuivit ce qui se dérobait avec toute la ruse de la raison.≫
(T.-W. Adorno, Dialectique négative)

≪Je n’ai pas besoin d’expliquer ici la différence entre ces deux termes : l’égoïste se soucie de ses seuls intérêts, l’égoïsme est un phénomène moral ; l’égocentrique se croit le centre du monde, l’égocentrisme est, avant tout, un phénomène logique et ontologique. Avec l’égoïste, le dialogue reste possible ; convainquez-le qu’il défend mal ses intérêts bien compris et il changera d’attitude. Avec l’égocentrique il n’y a pas de dialogue possible car pour le convaincre il faudrait redresser la distorsion des coordonnées logiques de son existence. L’enfant est égocentrique car sa maturation n’est pas encore parvenue au stade du dialogue, le malade mental est également souvent égocentrique car il a perdu secondairement le sens du dialogue, le sens de la rencontre (...). Qu’est-ce que l’égocentrisme des malades mentaux ? Je prends un exemple à la fois imaginaire et banal (...). Une personne délirante – disons plutôt pour être précis : pré-délirante – se promène dans la rue. Elle rencontre coup sur coup deux personnes vêtues de noir. Elle en conclut que ses ennemis en veulent à son existence et elle voit dans cette rencontre le signe destiné à lui faire comprendre l’imminence de sa fin. Il y a dans cette démarche une certaine logique, mais cette logique est radicalement faussée par le fait qu’elle considère son Moi comme le centre de l’univers. La logique du malade mental est donc une logique qui fonctionne dans le vide (...) “Le fou, dit l’écrivain Chesterton, n’est pas quelqu’un qui a perdu la raison, mais quelqu’un qui a tout perdu sauf la raison”. Revenons un instant sur cette rencontre. Notre délirant a rencontré deux messieurs en noir, mais le fait de la rencontre en tant que phénomène interhumain est ici comme écrasé par la signification subjective projetée sur les personnes rencontrées. C’est là un phénomène très général ; le délirant est incapable de rencontre ; il rencontre son propre délire, il se rencontre lui-même ».

(Joseph Gabel, Mensonge et maladie mentale)

2 commentaires:

  1. Réjouissant Joseph Gabel qu'on ne connaissait que par sa "Fausse conscience", une petite merveille qui a très bien vieilli.

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    1. ... et bientôt rééditée par L'ÉCHAPPÉE ! (en octobre).

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