Charles d’Orléans
avait 21 ans au moment de sa capture par les troupes anglaises, lors du
désastre d’Azincourt (1415), dont tout le monde se souvient
aujourd’hui, bien entendu, avec émotion en France. Après tout, il
s’agit de notre patrimoine, autrement dit de notre être profond, et d’ailleurs, y en aurait-il un autre ?
Mais revenons à Azincourt.
Périrent
en un clin d’oeil, dans cette considérable rosserie, environ 7000
hommes, dont une grande majorité de chevaliers comptant pour certains,
tels le Connétable de Clisson, parmi les plus titrés du pays. Et dans
la boue du lieu-dit, ce à quoi l’on assiste ensuite reposerait tout
entier dans ces deux mots : massacre et barbarie. Fait exceptionnel,
des soldats qui s’étaient rendus en masse se trouvent d’abord, en
effet, consciencieusement exterminés sur place.
D’autres, parmi lesquels, précisément, ce délicieux poète que fut
Charles d’Orléans, lié à la maison d’Armagnac par son mariage avec
Bonne, fille de Bernard le septième, se voient emmenés en un terrible
exil, les fers aux pieds, sur le territoire hostile de leurs
vainqueurs. Charles ne reverra jamais son grand amour. Bonne
disparaîtra, quelque vingt ans après cette maudite bataille perdue, tandis que son homme subira pour longtemps encore son épouvantable destin d’otage et de prisonnier.
Quelle ignominie, nous direz-vous, que tout cela !
Certes.
Vous avez raison.
Au total, vingt-cinq ans de captivité. Oui ! Vingt-cinq années pour ce piteux engagement salement préparé, pour cette défaite annoncée, pour – en somme – cette dramatique erreur de jugement…
Vingt-cinq ans de prison pour avoir, au fond, simplement répondu aux circonstances suivant ce que la norme, la conformation d’esprit du jour imposaient, pour avoir – comme mécaniquement, du point de vue de Charles d’Orléans – obéi à l’exigence du rang, du serment, en quelque sorte d’un idéal,
dont on peut bien penser ce qu’on veut (celui, en l’espèce, porté par
son père, le malheureux Louis d’Orléans, déjà assassiné par ces mêmes
Anglo-bourguignons responsables de la magistrale pilée d’Azincourt).
Torture
inouïe ! Dégoûtante ! Bien digne, assurément, de notre redoutable
Moyen-Âge. Mais tranquillisons-nous. Les temps ont changé, dame !
Heureusement.
Une telle rigueur dans la
vengeance, une telle absurdité dans le ressentiment, contre le perdant
lointain de luttes désormais obscures, dont les millions d’apôtres
actuels de M. Prudhomme se fichent à peu près (selon sa délicate expression et car il faut, tout de même, redevenir un petit peu sérieux) comme de l’an quarante, oui ! une chose pareille, disons-nous bien, serait de nos jours devenue absolument impossible.
L’État de droit actuel, dans cette sagesse qui l’enveloppa dès
l’origine, lorsqu’il jugea, sublimement, d’en finir une bonne fois pour
toutes – voilà deux siècles – avec l’odieux et barbare Ancien Régime, ne permettrait plus à ce genre d’ignominie de refaire surface.
Il
convient de s’en réjouir. Hautement. La vengeance, ici, ne saurait plus
trouver asile. C’est fini. La messe est dite. Place au Droit ! Place
aux Lois ! Place à la Justice des hommes inspirés et magnanimes,
délivrant des fléaux anciens, de la guerre, de l’arbitraire, et du
chaos éternels. Vingt-cinq ans de prison pour une simple idée, et puis
sa traduction, d’ailleurs courageuse, dans les faits ! O folie ! O
tristesse ! Cela n’arrivera plus. Azincourt est tellement loin. Notre
Constitution marque cette distance. Elle figure, dans son intégrité,
cet éloignement même.
Bien
sûr, certain fanatisme contemporain relevant hélas ! la tête, çà et là,
de manière chronique, et avec cette tête hideuse, la sinistre bannière
d’un retour ambitionné de l’obscurantisme et de
la violence bestialement médiévale, le législateur ne saurait, de fait,
laisser le moindre espoir, jamais, à ce type de prétention mauvaise. La
rigueur, on le comprend bien, sera permise au Droit, contre tous ses
ennemis.
C’est
pour cela, au fond, pour cela exactement que M. Georges Ibrahim
Abdallah, par exemple, se disant lui-même soldat et défenseur d’une
cause ou d’un idéal fort obscurs, mais que l’État de droit, dans sa
grande clairvoyance (qui se trouve aussi faire autorité) définirait
plutôt comme un obscurantiste irrégulier, croupit maintenant depuis vingt-huit ans, en exil, dans une prison du pays de France. Et c’est pour cela, au fond, pour cela exactement, que voilà quelques jours encore, le Parquet du pays de France s’est opposé, automatiquement, ainsi qu’il le fait toujours en semblable occasion, à la remise en liberté de ce monsieur.
Il s’agit d’être ferme, comprenons-nous, et d’être impitoyable.
Il s’agit de vaincre le Moyen-Âge.
À ceux tentés de rapprocher en toute innocence des sorts aussi évidemment différents que ceux de M. Abdallah et de Charles d’Orléans (sans évoquer même celui de M. Rouillan, lequel passa pour sa part vingt-cinq ans en exil, dans une prison du pays de France,
et confia un jour dans l’un de ses livres, à l’adresse de quelque
magistrat de sa connaissance, avoir notamment perdu dans sa cellule
jusqu’au souvenir de ce que pouvait être
la chaleur tendre des cuisses d’une femme), à toute cette brassée de
naïfs, donc, il est question de faire entendre, avec application, la
simple chose suivante.
Dans la grande et merveilleuse histoire des nations du monde, certaines glorieuses batailles perdues servant, à intervalles réguliers, ce patrimoine inépuisable fournissant notre être profond
(d’ailleurs : y en aurait-il un autre ?) seront connues et honorées. On
fustigera volontiers, à titre d’édifiants exemples, toutes cruautés
archaïques les ayant émaillées.
D’autres batailles perdues, en revanche, ne sauraient avoir eu d’existence.
On effacera, en conséquence, et en toute logique, pour des siècles et des siècles, jusqu’à la dernière trace infime qu’elles auront pu laisser.
Vingt-cinq ans pour une bataille perdue !
Rendez-vous compte.
Le Moyen-Âge, mes amis.
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