samedi 25 avril 2015

Du gauchisme (2) : logique formaliste gauchiste et logique dialectique

Je t'apprendrai, moi, crapule sataniste, 
à respecter un ordre du jour 
et un tour de parole d'AG...

Le gauchisme peut bien encore emprunter nombre de mots et de visages, il n'est jamais au fond que dans ce silence de lui-même sur lui-même. Nous ne parlons même pas ici de son inconscience profonde quant à sa propre réalité sociale, mais de sa position contemporaine (et post-moderne) assumée, consistant à toujours s'ignorer, voire se nier publiquement quelque perspective politique générale que ce soit. Le gauchiste d'aujourd'hui n'a, en effet, plus guère de doctrine précise. Il est - de ce point de vue-là du moins - farouchement anti-intégriste. C'est à cela qu'on le reconnaît. Il n'est plus anarchiste ni communiste, tout au plus « libertaire »,  sans que l'on sache vraiment ce que cela signifie au juste, ce qui est pour le mieux. Et s'il consent, donc, du moins, à se reconnaître tel (« libertaire »), c'est encore contraint et forcé, d'un air de confesser quelque crime impardonnable, en n'accordant, bruyamment et à tout moment, aux mots et aux concepts, que le minimum de dignité possible. On fait des choses avec des gens, voilà tout. C'est Robert Hue, penseur du siècle dernier, qui aura ainsi donné le grand signal de transition des classes sociales aux gens. Les gauchistes lui ont emprunté le pas, comme ils auront emprunté le pas de beaucoup d'autres personnages d'obédiences diverses, que les gauchistes du dix-neuvième siècle, pour ne citer qu'eux, eussent été bien étonnés, et sans doute bien marris, de les voir suivre comme un seul homme. Toujours est-il que : fini les phrases, fini les formules fumeuses. On prend, désormais, chez les gauchistes du moment, les gens tels qu'ils sont, et pas question de vouloir les endoctriner, de changer les hommes ni les femmes. Il serait fasciste de vouloir contrarier ainsi, à long terme, une identité humaine que le gauchisme actuel entend respecter dans son intangibilité même, loin (dit-il) de tout essentialisme (le gauchiste ayant là-dessus énormément de mal à apercevoir le caractère précisément, et tragiquement, contradictoire de ses présupposés « anti-essentialistes » !). On aurait d'ailleurs bien du mal, dit le gauchiste, à changer les gens, à les transformer, d'aliénation sur pattes qu'ils seraient, en communistes conscients, par exemple, tant les gens, dès lors qu'ils sont suffisamment pauvres sont déjà spontanément conscients de tout. Rien à voir avec ces sales idéologues honnis du gauchiste (lequel les lit tout de même, à l'occasion, pour des raisons pratiques et sans le crier sur les toits) ayant pour certains d'entre eux décidé, relativement au monde capitaliste, d'adopter, quelle horreur ! un point de vue totalisant, un point de vue systématique, voire universaliste. Que le gauchisme, en effet, ait toujours été spécifiquement substitutiste (quoiqu'il prétende ne pas exister pour lui-même mais à l'unisson de l'ensemble indistinct de la société) ne fait aucun doute. Son grand projet pré-conscient demeure de porter le voeu de l'élite sociale particulière diversement reconnue par chacune de ses écoles (la classe ouvrière qualifiée, ou immigrée, ou voyoucrate, etc) et célébrée par son discours ordinaire,  et même ordinariste : le discours facile, exotérique, humble, bref : «naturelCe sont les gens qui ont raison. Il nous faut donc parler comme eux, devenir comme eux, s'efforcer de leur ressembler en tout point, s'oublier enfin, dans un frisson  masochiste d'humiliation intellectuelle, comme subjectivité libre, afin d'espérer approcher - un tant soit peu - une vérité sinon lointaine, en tous les cas extérieure. 

Entre gauchistes, le débat théorique retrouve toute légitimité. Il est même violemment encouragé, avec les règles formalistes qui le sous-tendent et l'organisent. Son autre absolu, à vrai dire, soit l'attitude naturelle, décontractée, populaire et quotidienne, évoquée ci-dessus, vis-à-vis des formalités politiques de l'existence, se voit d'un coup fustigé, moqué, combattu de la plus vigoureuse des façons. On s'autorise, là, mille circonvolutions, on s'impose mille obligations qui ne conviendraient pas ailleurs. L'aliénation, soudain, vous cerne, imprégnant le langage, qu'il convient de surveiller, de purger, du moindre de ses lieux communs tendancieux ou gravement signifiants. Mais cela n'a qu'un temps. Car bientôt, revoilà le Peuple, la Classe, le Lumpen, l'élite qu'on s'efforce d'approcher et de séduire. Et, de nouveau, tout s'arrête. La rigueur s'effondre. La normalité rentre en grâce. La tolérance redevient générale, et nécessaire. Cela même ne serait qu'une stratégie de pénétration des masses, ainsi que le gauchisme le disait autrefois, que la chose serait détestable. Mais la réalité est plus grave encore. Ce que le gauchiste expérimente là sur lui-même, au gré des exigences contraires de la vie naturelle et du formalisme militant, c'est la douleur d'une phénoménologie scissionnant, dans le langage, tout son être, en un intérieur authentique (avec les autres gauchistes) et une extériorité illusoire (avec les gens), passant alternativement et brutalement l'une dans l'autre. En sorte que le gauchiste, à des degrés divers, évoque cet être schizophrène maniant une forme de pensée non-dialectique, réifiée, ayant spontanément à voir avec le mensonge, cet être malheureux dont Gabel rappelait naguère le caractère psychopathologique de la fausse conscience.
Snif.

4 commentaires:

  1. Vous m'enlevez les mots de la bouche, le Moine.

    La bonne vieille cause a un coup dans l'aile, ne le nions pas. Et, certes, il a fallu rabattre de notre superbe tranchante - je pense ici aux derniers opus des Nuisants. Nous voilà un peu égarés ; quand bien même la Grèce en lutte aurait de quoi nous faire retrousser les manches.

    Quitte à désespérer, autant l'être aux côtés de Günther Anders. Sans pathos.

    Salutations.

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    1. Ou aux côtés de cet autre, avec humour :
      " On m'a souvent reproché un pessimisme noir ; mais je dois dire que je me fais l'effet d'un optimiste incorrigible qui a depuis longtemps quitté le sol de la réalité. " (Herbert Marcuse, La fin de l'utopie).

      Merci pour votre négativité, Pierre.
      Elle a du coffre, tout adornienne soit-elle (ce qui n'est pas notre tasse de chocolat).
      On en reparle bientôt, ici ou ailleurs.

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  2. Cher moine,
    Comment un décroissant pourrait-il comprendre d'être ainsi traité ? Et pourtant, dans les nouveaux mouvements de ce début de siècle, quand bien même ils rejetteraient tous la politique et mettraient en avant leurs nouvelles pratiques de la vie, quand bien même tous sont anti-intégristes, tous restent gauchistes !
    Mais plutôt que de voir en Robert Hue celui qui donna "le grand signal de la transition des classes aux gens", il serait plus juste de l'attribuer à Cornélius Castoriadis, et aux multiples échecs des mouvements précédents !

    Pourtant

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    1. Décroissez, cher André, décroissez ! Il en restera toujours quelque chose (du capital).
      Blague à part, le gauchisme, c'est autre chose. C'est sa mégalomanie défunte, sa prétention délirante et jouisseuse qui nous manque.
      Ne reste de lui, triomphant (jusqu'à la décomposition finale, et prochaine, hélas !), que son riquiquisme cultureux actuel, respectueux de l'identité et de l'essence, et désormais hostile à tout bouleversement réel dans l'individu lui-même, dont l'appauvrissement total, l'aliénation concrète, complète et achevée, n'est plus questionnée par le gauchisme, jamais.
      Pas de révolte valable, cependant, sans projet d'homme nouveau, de femme nouvelle, d'enfants nouveaux, et sans réalisation effective de ce projet (que la révolution vienne et l'emporte ou non, d'ailleurs. Voyez l'Espagne de 36. C'était ça, l'homme nouveau, la femme nouvelle. Et ils et elles aimaient bien fusiller les curés, en ce temps-là. Nous nous languissons de leur retour, inévitable. Le verrons-nous, seulement ? Telle est notre dernière inquiétude.)

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