« Vers 22 heures, nous montâmes sur le haut de la cascade, muni chacun d’une peau de buffle sur laquelle nous nous tenions pour méditer. Le vent était si froid que nous dûmes nous réfugier au pied d’un arbre, dont les racines géantes s’écartaient comme les doigts d’un palmipède. Chacun, debout dans une alvéole, nous méditâmes, immobiles. Nous rentrâmes ainsi dans la catégorie des grands arbres et des rochers, face aux choses mobiles : feuillages, animaux, insectes. Nous avions l’impression de venir prendre place dans la fantasmagorie nocturne. Celle-ci commença par les mille nuances comprises entre la clarté de la lune que l’on apercevait au-dessus des arbres chargés d’orchidées, et l’obscurité totale qui tapissait le fond de notre décor. Sur cette gamme lumineuse, des feuilles, animées alternativement par le vent, envoyaient des éclairs de lune. Entre le sonore et l’insonore, le mobile et l’immobile, on retrouvait les mêmes nuances qu’entre la lumière et l’obscurité. Cependant, sur cet ensemble, un certain nombre de bruits prenaient un relief particulier. Cris d’oiseaux d’espèces variées, insectes qui imitaient en choeur, à la perfection, le va-et-vient d’une scie, vacarme indécent des crapauds, chant précieux de l’oiseau tchik-tiok, plaintes du paresseux, annonciatrices de grands vents. Nous étions tout cela à la fois. Il suffisait de venir s’immobiliser ici quelques instants pour que cette protubérance sémiologique appelée « culture » s’estompe. La forêt nous faisait retrouver notre sens initial (mais non ultime) de la nature : nos corps, à peine protégés par nos fines robes ; nos esprits, fluctuants comme les jeux d’ombres ou la chute d’eau ; nos sensations accordées aux cris d’animaux et aux miroitements lunaires.»
Amphay Doré, L’école de la forêt.
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